La grande revanche est un ouvrage court proposé par deux journalistes indépendants liés, entre autres, à Libération, La Croix, le Nouvel Obs et Politis dont la sensibilité de gauche affleure à chaque page de l’ouvrage. Il s’agit de retracer le combat des Amérindiens contre les divers types d’oppressions et d’injustices dont ils sont victimes depuis 1492 en partant du Mexique et en allant jusqu’en Argentine . On voit ainsi que les contextes nationaux diffèrent énormément entre le Brésil et l’Argentine où le pourcentage de la population amérindienne est faible et où la plupart des habitants revendiquent leur origine européenne et la Bolivie ou le Venezuela où la démographie est nettement plus favorable aux « indios » (mot péjoratif, rappelons-le) et d’où sont issus des présidents d’origine amérindienne : Evo Morales et Hugo Chavez.

L’ouvrage est en fait une série de petits articles rassemblés au cours des voyages des deux journalistes à l’intérieur de cinq chapitres organisés de façon chronologique. Le premier, La révolte comme seule issue, montre comment les communautés amérindiennes ont été dénigrées et exploitées par les européens depuis leur arrivée sur le continent, au point que, faute de reconnaissance réelle, ils ont dû se manifester de façon violente, avec des déclarations de guerre fréquentes et souvent plus symboliques que réelles, même si les guerres menées par les Mapuches du Chili ou par Tupac Amaru II, le « Bolivar » des Amérindiens, au Pérou sont loin d’êtres anecdotiques. La seconde partie s’attache à décrire les difficultés de la lutte indienne au XXe siècle, où leur isolement social et politique va en grandissant. La troisième partie fait le point sur les luttes pacifiques avec la reconnaissance progressive du combat des Amérindiens soutenus par une partie de l’Église catholique, par des ONG et par des personnalités médiatiques (Sting avec le chef kayapo Raoni ou encore James Cameron qui, avec le film Avatar, ne fait que transposer le combat indigène dans un décor de SF.

Des intérêts qui échappent

Les auteurs notent avec acuité les limites de ces combats pacifiques où trop d’intérêts extérieurs interfèrent et qui échappent en partie aux Amérindiens, parfois relégués à des icônes immuables de « bons sauvages » dont l’évolution serait forcément mauvaise. Le mythe éculé du « paradis perdu » fonctionne ici à plein régime, avec une surexploitation médiatique de la notion de pachamamma sans trop d’égards pour les conditions de vie réelles des communautés amérindiennes.
Dans la quatrième partie, les auteurs dressent le bilan des années 2000-2010 où la cause amérindienne est reconnue et soutenue par les États, en particulier dans ceux où ont été élus des présidents de gauche issus des communautés amérindiennes : en plus de Chavez et Moralès, déjà évoqués, on peut y rajouter Ollanta Humala au Pérou, ainsi que des non-amérindiens comme Igniacio Lula au Brésil et Rafael Correa en Équateur. Les droits des amérindiens sont inscrits dans les Constitutions et des terres rendues ou étendues. Pourtant, une fois de plus, le résultat final laisse à désirer. En effet, pour des motifs économiques, il est de fait assez difficile pour les gouvernements d’Amérique du Sud de résister aux arguments des grandes compagnies minières et agricoles qui pourvoient de nombreux emplois pour les populations urbaines fragilisées. Et dans la plupart des cas de figure, les Amérindiens finissent du côté des lésés, et sont même vus par une bonne partie de la population d’origine européenne comme un frein au progrès induit par la mondialisation.
A partir de ces constats d’échec, les auteurs valorisent dans une ultime partie la Voie indienne, soit l’idée que les Amérindiens n’ont plus besoin des autres pour se défendre et faire progresser leur cause. Leur éducation grandissante, leur maîtrise des médias (on pense aux indiens du Chiapas avec l’ingénieux Sous-Commandant Marcos) et des TICE, leur investissement de plus en plus important dans la vie civile et militaire en font des acteurs incontournables. En même temps, ce ne sont plus les mêmes amérindiens que ceux dont on a véhiculé l’image dans les années 90. La modernité et la mondialisation ont fini par passer par là. Toutefois, pour la question essentielle de la terre, la piste de l’autonomie territoriale est mise en avant : micro-territoires autogérés par des petites communautés qui échangeraient avec le reste du pays. Les auteurs concluent en faisant le pari de l’espoir de la Voie indienne, tout en étant conscients de ses limites.

La grande revanche est un bon livre de vulgarisation qui mériterait d’être sur les étagères de plus en plus dégarnies de nos CDI. En même temps, il porte sans doute assez mal son titre, puisque l’essentiel de l’ouvrage montre les difficultés de la lutte amérindienne, et jusqu’à nos jours. Mais pouvait-on vraiment donner comme titre La revanche au rabais ou La revanche entravée à cet ouvrage sans trahir les espoirs politiques de ses deux auteurs ?
Enfin, en tant qu’historien et géographe, on sera un peu peiné par le manque de mise en perspective globale du livre, et le recours abusif aux témoignages de sociologues.

Mathieu Souyris, Nouvelle-Calédonie