Lancé en mars 2011, passé rapidement d’un rythme trimestriel à bimestriel, le magazine Guerres & Histoire s’est vite imposé comme une référence et l’un des plus gros tirages dans l’abondante production périodique française sur l’histoire militaire, avec deux points forts : un solide comité éditorial qui réunit autour de Jean Lopez et du journaliste Pierre Grumberg des spécialistes de renom (Laurent Henninger, Michel Goya, Benoist Bihan…), et son appui sur la puissance de frappe du groupe Mondadori France, passé en 2019 sous la houlette de Reworld Media avec l’ensemble de la galaxie Science & Vie dont il est issu (comme le rappelle le logo figurant sur sa couverture).

Dédié à toutes les époques et tous les continents, faisant appel à un mélange de journalistes, d’universitaires et de spécialistes, il se caractérise par des articles rigoureux, une illustration de qualité, l’ouverture sur l’international et la recherche de témoignages exclusifs.

De Ramsès II aux Barbares

Le présent ouvrage en est directement tiré, puisqu’il réunit soixante-et-un articles déjà parus dans le magazine, augmentés de cinq inédits ; les notes qui y sont habituellement insérées sont rejetées dans un glossaire final (p.384-397). Evidemment, comme son titre l’indique, ils concernent tous un aspect de la guerre antique, qui est systématiquement traitée à travers au moins une contribution dans chaque numéro de G. & H., parfois dans son dossier principal. Sont successivement abordés « guerres et batailles », « armes et tactiques », « chefs » et enfin « corps de troupe », des rubriques inspirées de celles utilisées dans le magazine.

Chacune se termine par l’un de ces dossiers plus conséquents, à entrées multiples, évoquant un thème majeur de la période : la guerre du Péloponnèse, la Deuxième Guerre Punique, l’armée d’Alexandre Le Grand et la chute de l’Empire romain. On le sait, la notion d’Antiquité telle que progressivement forgée par l’historiographie reste étroitement liée à une aire géographique qui couvre l’Europe, l’Asie occidentale et le nord de l’Afrique ; et c’est dans ce cadre que s’inscrit cet ouvrage où on ne trouvera aucune référence concernant le reste de l’Asie ou l’Amérique précolombienne. Et s’il contient quelques incursions au temps des anciens empires (la bataille de Qadesh, le char de guerre, Nabuchodonosor, l’armée assyrienne…), l’Antiquité classique et la période gréco-romaine, mieux documentées, s’y taillent évidemment la part du lion.

Ancien officier de la marine marchande, journaliste (il fut dans les années 90 directeur de la rédaction de Science & Vie Junior), Jean Lopez s’est investi depuis longtemps dans la recherche en histoire militaire et est devenu une référence incontournable sur le conflit germano-soviétique, avec nombre d’ouvrages – on citera, parmi les plus reconnus, deux titres écrits avec Lasha Otkhmezuri : une biographie de Joukov : l’homme qui a vaincu Hitler (2013) et Barbarossa : 1941. La guerre absolue (2019) -, essentiellement publiés chez Economica puis Perrin. C’est avec ce même éditeur qu’il lance De la guerre, le premier mook (hybride livre-magazine) d’histoire militaire généraliste en juin 2021.

Il laisse dans La guerre antique la plume à une douzaine de collaborateurs, parmi lesquels on mentionnera Frédéric Bey, Laurent Henninger… et particulièrement Eric Tréguier ; celui-ci, par ailleurs journaliste spécialisé en économie et finances en qui certains lecteurs auront peut-être reconnu une des signatures de l’hebdomadaire Challenges et le coordonnateur de l’enquête annuelle sur les 500 plus grosses fortunes de France, est en effet l’auteur de près de la moitié des contributions ici réunies. Bien aérés par des intertitres, leurs articles rassemblent le meilleur de l’écriture journalistique (densité, concision, clarté) sans trop sacrifier aux accroches un peu faciles qui peuvent y être d’usage. Ils se nourrissent des fondements, des avancées et des diffusions de la recherche ; la plupart se closent par une bibliographie de quelques titres qui mélange sources, études récentes et ouvrages de vulgarisation.

La guerre en couleurs

L’aspect visuel est un autre argument de la publication, comme il l’est du magazine. On ne s’en étonnera pas, en rappelant que Jean Lopez fut, par exemple, le premier à traiter d’une période de l’histoire entièrement au moyen de la datavisualisation dans son Infographie de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2018). On retrouvera ici le même type d’iconographie, avec des cartes plus ou moins schématiques, et de nombreuses illustrations. Celles-ci sont de provenance diverse : issues de l’un ou l’autre des fascicules des prolifiques collections Osprey, d’autres banques de données, ou dues aux pinceaux des auteurs maison que sont Christian Jegou, Edouard Groult et surtout Giuseppe Rava.

Les planches vivantes et colorées de ce graphiste italien autodidacte, intéressé par toutes les époques, sont sans doute ce qui se fait de mieux en matière d’illustration militaire actuellement ; en témoignent ses collaborations avec de nombreux fabricants de figurines, le magazine Vae Victis publié par Histoire & Collections, et les incontournables éditions Osprey dont il a illustré avec régularité plus d’une cinquantaine de fascicules ces dernières années. Les amateurs noteront d’ailleurs avec amusement en voir réapparaître certaines dans le présent volume, tout comme d’autres ayant contribué à l’attrait des boîtes de figurines en plastique des marques Italeri, Waterloo1815, Hät… dans les années 1990-2000. L’ensemble s’avère donc très attractif, tout en restant assez similaire à la maquette plus simple adoptée par le magazine en avril 2021 à l’occasion de son dixième anniversaire… au risque avéré de décevoir certains de ses lecteurs.

A titre de parenthèse, et sans prétendre y voir un effet corrélé, on se permettra d’ailleurs ici d’espérer qu’il n’arrivera pas à Guerres & Histoire ce qui est récemment arrivé à Science & Vie après son passage de la tutelle de Mondadori à celle de Reworld Media : le ressenti d’une restriction de moyens et d’indépendance éditoriale, aboutissant in-fine à un découragement des équipes et à des départs en masse.

La multitude d’entrées qu’il propose, évoquée plus haut, est une des autres qualités de l’ouvrage. La guerre fut, dans l’Antiquité, omniprésente ; si la constitution d’Etats forts devait les conduire à l’institutionnaliser et à la réserver à leur usage, ils ne se privèrent pas de l’utiliser comme mode normal de régulation de leurs relations, avec pour corollaire une mobilisation et une concentration de ressources humaines et matérielles encore jamais égalées, faisant peser un lourd effort sur leurs sociétés. Et elle fut extrêmement évolutive, Rome étant sans doute, malgré moults revers, l’entité qui réussit la meilleure synthèse des acquis de l’expérience, en la faisant évoluer avec pragmatisme ; ce qui, avec la mentalité qui l’anime, lui assura la prépondérance pendant une longue période.

De l’Antiquité nous avons hérité nos manières de penser et de faire la guerre ; on peut discuter du degré d’imprégnation de cet héritage et de ses composantes (on pourra par exemple évoquer ici les controverses qui ont suivi la publication de l’essai de l’historien américain Victor Davis Hanson Le modèle occidental de la guerre), il n’en est pas moins indéniable, et ce passé est de moins en moins mal cerné au gré d’études constantes et diversifiées. Au delà de leur sujet ponctuel, ces différents aspects ressortent en filigrane des contributions qui composent l’ouvrage, dont on appréciera les différents niveaux d’approche (individuelle, événementielle, collective, technique…), la complémentarité de la narration et de l’analyse, et l’étalage sur un temps long et une géographie diversifiée.

Si, comme souligné plus haut, la période gréco-romaine est largement prépondérante, on ne se limite pas en effet à la classique focalisation sur les canoniques phalange grecque et légion romaine pour embrasser leurs évolutions, leurs compléments et les adversaires auxquels ils se heurtèrent (Carthage, les peuples du plateau iranien, les Gaulois et Germains…), dans une interaction constante.

Nonobstant son titre, il ne faut donc pas voir en cet ouvrage autre chose que ce qu’il est : ce n’est pas une véritable encyclopédie, une histoire suivie de la guerre antique, mais une succession de focus pertinents et fouillés qui donnent, au travers d’une lecture plaisante servie par une esthétique attrayante, une vision accessible et actualisée des principaux aspects d’une période charnière et fondatrice dans un domaine qui reste malheureusement pratiqué par l’humanité avec une redoutable constance.