Une enquête au long cours sur les services de renseignement

En octobre 2013, Romain Mielcarek est un jeune journaliste qui appartient à un collectif de blogueurs connu sur le nom de « l’Alliance géostratégique ». Au sein de cette association qui regroupe des « étudiants, des universitaires, des militaires, de simples curieux de questions géopolitiques » (page 10), il modère une rencontre pour une quinzaine de personnes avec Olivier Lepick, un spécialiste des armes chimiques. A la fin de la conférence, un russe prénommé Sergueï l’aborde et se présente comme un attaché militaire récemment arrivé à l’ambassade de Russie à Paris. Le point de départ d’une vaste enquête aux ramifications complexes.

Peu à peu, les repas et boissons partagés avec Sergueï deviennent régulières. Sans être naïf, l’auteur de ce livre comprend qu’il est la cible d’un « tamponnage », c’est-à-dire de faire l’objet d’une approche apparemment désintéressée de la part d’un agent de renseignement afin d’en faire une source d’informations.

Sergueï n’est pas un simple diplomate. Je l’apprends très rapidement : le poste qu’il occupe est le signe évident de son appartenance aux services de renseignement russes et plus spécifiquement à la GRU, le renseignement militaire. Il n’écume pas Paris pour mieux comprendre la France et entretenir des relations avec ses homologues locaux. Il chasse les personnalités susceptibles de l’aide dans sa mission : influencer des milieux dirigeants, faire passer les messages du pouvoir russe, et, dans l’idéal, récolter des données ou des documents sensibles, voire confidentiels. Tout son comportement à mon égard est classique d’un « hameçonnage » : il essaie de me « recruter » comme source. Les questions posées sur ma vie personnelle et sur mes revenus, sa volonté de me déposer en bas de chez moi doivent lui permettent de situer mon environnement et de trouver comment avoir le contrôle.

Dans le langage courant, on parle généralement d’espion pour qualifier les gens comme lui. Il convient d’être plus précis : un espion, c’est un mauvais officier de renseignement qui s’est fait attraper en train de commettre des actes illégaux. Ce n’est pas un métier : c’est un objet de poursuites judiciaires, un crime. Obtenir des secrets d’État auprès de traîtres, mener de délicates opérations de surveillance ou d’assassinat sont une toute petite partie de l’activité des grandes agences de renseignement.

Les Moujiks – La France dans les griffes des espions russes, Denoël, pages 14-15

Les rencontres entre Sergueï et Romain Mielcarek attire rapidement l’attention des services de renseignement français, notamment la DGSI (ex-DCRI). Le journaliste refuse trois offres de collaboration de services de renseignement français et poursuit son enquête seul.

Cette enquête personnelle au long cours a le mérite d’être mise en perspective avec les principales affaires du monde de l’espionnage depuis la fin du XXe siècle. Paris est une cible privilégiée pour les espions russes en raison de son accessibilité en matière de transport et de son rôle mondial. Parmi les nombreuses cibles, figurent des anciens militaires, des spécialistes en armement, des diplomates, des politiques d’extrême-droite, d’extrême-gauche et des universitaires. L’auteur relate notamment sa rencontre avec le géographie Kévin Limonier, auteur d’un numéro de la Documentation Photographique sur la Russie. Russophone, ce dernier s’amuse de recevoir des cartes de visite de la part d’officiers travaillant pour l’ambassade de Russie à Paris.

Source : Extrait tiré du livre « Les Moujiks » publié chez Denoël, 2022, pages 22-23

En conclusion, cette courte enquête d’un peu plus de 200 pages est une belle introduction pour mieux comprendre les rouages et les enjeux du renseignement russe en France. Il pourra être conseillé à des élèves de terminale pour poursuivre le cours de spécialité HGGSP sur le monde du renseignement depuis la Guerre froide.

Pour aller plus loin :

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Antoine BARONNET @ Clionautes