CR par Gilles Boué, professeur agrégé d’histoire géographie, lycée Hélène Boucher, spécialiste d’histoire militaire à l’époque moderne
Jeremy Black dans cet ouvrage  » la guerre au 18ème siècle »nous propose une réflexion sur la place de la guerre dans l’espace mondial au 18ème siècle. Sa présentation exhaustive (dans l’espace) et analytique nous renvoie à une vision globale et mondiale de l’Histoire.

Les éditions Autrement nous proposent depuis quelques années, la publication d’ouvrages anglo-saxons, dans la collection « Atlas des guerres » (11 ouvrages parus). Cette collection britannique est placée sous la direction de l’historien anglais John keegan. Le tome concernant le 18ème siècle, vient de paraître sous le titre français de « la guerre au 18ème siècle ». Ce titre paru dès 1999 en Angleterre, s’inscrit dans la « global History » qui tend à s’éloigner de l’eurocentrisme pour une approche multiculturelle des phénomènes historiques. Aucun, mieux que le thème de la guerre ne se prête à cet exercice.

Jeremy Black, professeur d’histoire moderne à l’université d’Exeter et auteur prolifique (plus de 100 ouvrages publiés)est un spécialiste reconnu de l’époque moderne, il aborde les problèmes de la guerre sous un angle mondial voire exotique , là où l’on s’attendait à une énième étude de l’Europe Frédéricienne. Les sept chapitres de l’ouvrage, couvrent tout le 18ème siècle de la guerre de succession d’Espagne aux campagnes de la révolution, et toute la planète de la Chine mandchoue et de son expansion aux guerres menées à Hawaï par Kamehameha 1er dans les années 1790. Cette exhaustivité ne permet pas à l’auteur d’entrer dans les détails que l’on pourrait attendre d’une publication savante. La guerre d’indépendance américaine, sujet d’un chapitre entier, nous rappelle que cet ouvrage est d’abord destiné à des lecteurs anglo-saxons non spécialistes.

Jeremy black propose un modèle de synthèse sur la guerre au 18ème siècle articulée autour de trois idées maîtresses. Premièrement, la diversité des pratiques militaires (armes à poudres ou non, importance de la cavalerie ou de l’infanterie , tactiques etc…) dénote une adaptation à des données géographiques et sociologiques. Deuxièmement, les résultats militaires ne seraient donc plus liés à une supériorité technologique (lire à ce sujet « Carnage et Culture » de V.Hanson Flammarion 2002), émergente en Europe au 18ème siècle. Troisièmement, il n’existe pas à l’époque de système stratégique global, de réflexion « opérative » incluant les dimensions de la guerre terrestre et maritime.

Le modèle de la guerre en ligne (de Bleinheim à Valmy)n’est qu’un système militaire parmi d’autres , les systèmes plus exotiques ont eux aussi connus des résultats probants (archerie à cheval de l’empire des Dzoungares par exemple). L’auteur évite donc l’eurocentrisme même si le système européen est l’aune à laquelle sont comparables tous les autres systèmes. Un seul chapitre , le premier, « La guerre sans les européens » nous invite à découvrir l’histoire militaire méconnue des chinois, tibétains ou birmans. Les chapitres suivants ont pour point commun les européens, soit contre les non européens, ou dans des circonstances particulières (guerre d’indépendance américaine ou guerres de la révolution). Le chapitre consacré à la guerre en Europe n’apportera rien de neuf au lecteur qui sera familier des travaux de Jean Chagniot ( guerre et société à l’époque moderne , Nouvelle Clio PUF, Paris , 2001) ou de Christofer Duffy (The Austrian Army in the Seven years War , The Emperor’s press , Chicago , 2000). Les réflexions théoriques sur la guerre ne sont abordées que dans le dernier chapitre , concernant la révolution française. Par une présentation concise et claire, l’auteur fait alors le point sur les acquis et les faiblesse du système de guerre européen. Sa principale force est sa capacité de théorisation (œuvres de Guibert , Folard ou Du Theil). La révolution industrielle qui a aussi une dimension militaire (fourniture d’armes standardisées et surtout d’une poudre de qualité égale)est à peine abordée.

Il reste de la lecture de cet ouvrage un sentiment d’inachevé. La dimension « Atlas des guerres » est bien chétive, 19 petites cartes (bien souvent surchargées) ne permettent pas une vision géographique de l’importance de la guerre. Quelques infographies indignes d’un tel ouvrage présentent des batailles clés (Bleinheim 1704 ou Plassey 1757)sans que l’on voit bien l’intérêt de ces choix. Des illustrations comportent des erreurs , bataille de Sherrifmuir en 1775 au lieu de 1715 ,les peintures qui illustrent l’ouvrage sont présentées sans les noms des peintres et/ou les lieux de conservation. Des légendes sont discutables, présenter Rossbach comme une victoire de l’infanterie prussienne tirant à la « seringue » (tout en marchant , l’arme à hauteur de hanche) est nier la réalité d’une formidable victoire de la cavalerie prussienne. D’autres sont traduites dans un français approximatif « mais ce succès l’obligea [Potemkine] à donner l’assaut en décembre. Ce fut une réussite mais la nécessité d’adopter cette tactique illustre les limites de capacité de siège russe »!!

Cependant, ce livre a l’immense mérite d’exister, il faut se rappeler qu’il n’y a pas eu de livre français sur les guerres du 18ème siècle (je ne parle pas des remarquables travaux d’André Corvisier et de ses élèves sur le fait militaire)depuis les travaux de Lecomte-pajol en 1896. Il faut d’ailleurs regretter que la mort de cet auteur ne permit pas la publication de son « Atlas des guerres de Louis XV ».

Comment utiliser cet ouvrage auprès de nos élèves? Cela relève de la mission impossible vu la portion congrue de l’histoire moderne dans nos programmes (et je ne parle même pas de l’histoire militaire), il me semble cependant que la dimension mondiale de la réflexion de Jeremy Black mérite d’être présentée comme la manifestation d’une histoire s’affranchissant petit à petit de sa vision européocentrée.

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