Des témoignages inédits et uniques, des photos, inédites elles aussi, fournies par des proches, un travail de recherche considérable dans la presse nationale et régionale, aux Archives, un éclairage personnel très intéressant et surtout un gros plan sur les Pyrénées et la côte catalane, voilà ce que nous propose Jean Claude Pruja dans cet ouvrage captivant. La première moitié du livre nous aide à mieux comprendre comment ce drame fut possible. La deuxième moitié apporte des matériaux nouveaux , une somme remarquable de documents et de connaissances, une mise en perspective des témoignages, des compte rendus de presse. Ce livre ne s’adresse pas seulement aux historiens ou aux étudiants. Il intéressera aussi tous ceux qui ont connu cette période de notre histoire contemporaine en leur permettant de replacer leur vécu dans le fil de l’histoire , en donnant du sens à leur parcours individuel

De la monarchie à la république

Dans cette partie, l’auteur nous explique les faiblesses d’Alphonse XIII. Ce monarque , soucieux des intérêts de la bourgeoisie et des grands propriétaires terriens conduit l’Espagne à la déchéance et à la confrontation qui a déchiré le pays plus tard. Jean–Claude Pruja nous démontre que la naissance de la république ne sera pas le fruit du hasard mais celui de l’anachronisme de l’aristocratie, de la bourgeoisie et de l’armée qui maintiennent une Espagne semi féodale, une société archaïque. La guerre du Rif au Maroc discrédite encore plus la monarchie et conduit à la dictature de Primo de Rivera consentie par le roi lui-même. Ce seront les premiers exils de centaines de milliers d’espagnols vers la France , parmi lesquels de nombreux intellectuels victimes d’une politique d’épuration. Un régime de plus en plus inégalitaire s’installe. L’analyse précise, rigoureuse de Jean-Claude Pruja nous permet de mieux comprendre la suite des événements.

 

La République retrouvée

12 Avril 1931, jour des élections municipales et dernière journée de la monarchie : dans les rues des grandes villes, les gens s’embrassent en entonnant….la Marseillaise… !! Le roi s’exile. Après l’euphorie des premières semaines , le gouvernement de la République doit affronter de nombreux problèmes : doter le pays d’une Constitution, entreprendre des réformes, laïciser l’Etat, transformer la mission de l’Eglise et celle de l’Armée, tenir compte des aspirations séparatistes des basques et des catalans. L’Aristocratie, la bourgeoisie , l’armée et l’Eglise vont tout faire pour s’y opposer. Jean –Claude Pruja nous commente ici les trois périodes correspondant aux changements de gouvernement :1931-1933 : période pendant laquelle sont programmés les changements les plus révolutionnaires ( parmi eux la création de 10786 écoles publiques ! ) 1933-1935 : période pendant laquelle s’installe un début de contre révolution. Le pays glisse inéluctablement vers la guerre dans un climat de violence et d’inquiétudes. Déjà les groupes phalangistes, carlistes et nationaux reçoivent des aides matérielles de Mussolini. Grèves, rébellions se succèdent. Des atrocités de toutes sortes sèment le chaos dans les Asturies où le gouvernement de la République envoie deux généraux pour rétablir l’ordre : Goded et Franco !! A partir du 14 avril 1939 tout s’accélère : l’Armée noue des contacts avec les forces de droite et celles de l’argent. La tension entre droite et gauche se radicalise. Le fascisme s’apprête à combattre le communisme et l’anarchisme. Le gouvernement ne semble plus pouvoir répondre démocratiquement aux besoins des citoyens. Préparé de longue date, le plan de la conjuration est prêt le 1° juillet 1939 avec la nomination d’un Général de renom dans chacune des six régions militaires primordiales.

 

La République assassinée

Les 17, 18, 19 et 20 juillet le pronunciamiento devient guerre civile. Chaque ville résiste selon ses moyens. Les jours de révolte se suivent dans une violence de plus en plus accrue. Trois décisions lourdes de conséquences sont prises du côté du gouvernement républicain : dissolution de l’Armée, création de milices populaires, ordre d’armer les syndicats ouvriers. Madrid et Barcelone résistent. L’issue de la guerre va dépendre de l’aide matérielle et étrangère apportée. Tandis que les démocraties semblent tièdes à s’engager, l’Italie et l’Allemagne nazie se montrent plus résolues à répondre à l’appel de Franco. D’août au 15 octobre 1936 l’Espagne est à feu et à sang (le 16 août Federico Garcia Lorca est assassiné par des membres de l’Action Catholique et de la Phalange) .Franco appelle des renforts venant du Maroc, les bataillons de « regulares » dont la férocité est sans égale.

La Guerre s’internationalise

Les habitants de Hendaye apeurés fuient vers la France par le pont international après l’offensive du général Mola sur Irún. Il y a l’horreur de Guernica …. l’Alcazar de Tolède où le Général nationaliste Moscardó n’hésite pas à sacrifier la vie de son fils , Luis, 17 ans plutôt que de se rendre…la lutte pour Madrid….la situation en Catalogne….Nous suivons pas à pas l’implacable mécanique .Dès juillet 1936 les premiers exodes , les premiers exils voient le jour, suite aux premiers combats très violents. Quatre périodes se succèdent alors : Lors de la chute d’Irún et de Guipúzcoa fin 1936…puis avec la chute de la Biscaye , de Santander et des Asturies à partir d’avril 1937… ensuite lors de la « réduction de la poche de Bielsa » et, la plus importante , à la chute de la Catalogne fin janvier 1939.Jean –Claude Pruja évoque dans ces pages la naissance ,dans l’Espagne républicaine , des colonies scolaires, des garderies et des foyers au service des enfants pour les éloigner des dangers et des privations . Ces colonies ont été hébergées ensuite dans de nombreux départements français. Les derniers épisodes des affrontements sanglants se déroulent en Aragon et en Catalogne le 23 décembre au cœur de l’hiver.

L’impensable retirada en marche

Nous suivons ici le combat inégal entre républicains d’une part et nationalistes allemands, italiens , espagnols de l’autre….La cohorte de civils , ouvriers, paysans, miliciens en fuite….on assiste aux analyses divergentes des membres du gouvernement républicain espagnol, aux atermoiements de la France quand il s’agit d’envisager d’accueillir un premier contingent de réfugiés ( à son souhait de délimiter une zone neutre sur le sol espagnol confiée à une commission internationale en accord avec Franco !) Les premiers réfugiés arrivent en France par la mer , à Collioure et Port la Nouvelle, par la terre à Cerbère , à Bourg Madame tandis qu’au Perthus on note « le passage de personnes d’apparence aisée et circulant dans de belles voitures ». On apprend dans ces pages que des bombardements eurent lieu par erreur au dessus du village de Formiguères et dans la région d’Ax les thermes….La nuit du jeudi 25 au vendredi janvier 1939 c’est la fuite éperdue de milliers de civils fuyant Barcelone au milieu de soldats en déroute. Des cartes très précises permettent de connaître le nombre de camps d’hébergement de réfugiés, leur emplacement ainsi que les chemins de la retirada. Le service d’ordre français sera dépassé par le flot des réfugiés….des régiments venant de Perpignan , de Narbonne, de Béziers seront demandés en urgence par le Préfet. Tous les postes frontaliers accessibles par le rail et la route seront rapidement engorgés. Même les entiers seront empruntés par un nombre impressionnant de réfugiés. « Les flancs des montagnes ruissellent » dira un journaliste présent dans la zone. Des chiffres précis, un travail de recherche considérable nous éclairent sur cette retirada avec les deux périodes d’arrivée en France : du 17 janvier au 4 février où on accueillera des femmes , des enfants , des vieillards sur la décision du gouvernement Daladier et du 5 au 13 février pour tous ,civils et combattants. Jean -Claude Pruja nous détaille ensuite les principaux points de passage et les hébergements provisoires . Cerbère, Le Perthus, Le Boulou , Les Illes , le haut Vallespir, saint Laurent de Cerdan , Prats de Mollo, l’auteur nous fait vivre l’ampleur de ce drame. On y découvre que dans l’ancienne mine de talc de Canta, la plus grande partie des trésors de l’art catalan et espagnols avaient été mis en lieu sûr. Des tableaux de Goya , de Velazquez y ont été entreposés ainsi que des tonnes d’or de la Banque d’Espagne. L’accueil très humain du début d’exode va se changer en peur, incompréhension et source d’humiliation et de souffrance. Le manque de place, les difficultés de ravitaillement rendent la situation plus difficile encore. Jean –Claude Pruja décrit et commente ensuite les camps baraquements, les camps sur les plages , l’accueil par les particuliers, les séparations déchirantes des familles, les réactions des autorités face à cette déferlante, à ces vagues successives qui arrivent. Les réfugiés ont amené un nombre considérable d’animaux, leur bétail, leur monture ce qui posera de nombreux problèmes. Pour donner un ordre d’idée ,le village d’Arles sur Tech va passer de 2500 habitants à 35 000 au mois de février 1939.

 « Al campo »

Cette expression est le seul mot appris et lancé par les gardes mobiles et militaires issus de diverses régions françaises à ceux qui arrivaient à bout de force. Ces « campos » entourés de barbelés donnaient le sentiment d’être traités comme des prisonniers. Les deux plages de Saint-Cyprien et d’Argelès deviennent deux fourmilières nous dit Jean-claude Pruja. Il nous décrit ensuite le dénuement, le froid, la faim , le gigantesque bidonville composé de toiles, de branchages, de roseaux , de joncs. Plus tard il y aura des constructions de nouveaux villages de baraques qui vont remplacer les constructions anarchiques du début. Les trois premiers camps de la Côte vermeille s’avérant insuffisants, de nouveaux camps sont ouverts hors du département. Chacun d’eux répondant à une particularité que nous fait découvrir Jean –Claude Pruja. Il nous explique également comment la vie s’organise dans ces camps ( on y aménage des points d’eau , des latrines) , comment les premiers préfabriqués apparaissent. Dans les dernières pages l’auteur évoque le camp franquiste d’Albaratera , en Espagne, véritable camp de concentration et d’extermination pour les prisonniers républicains . Les camps d’Afrique du Nord également. Il nous commente ensuite la fin des camps avec le départ de certains réfugiés vers le Mexique et le Chili, la création par le gouvernement français des Compagnies de Travailleurs étrangers ayant pour mission de renforcer les ouvrages militaires et l’incitation à s’engager dans la Légion ou à travailler en usine ou dans les exploitations agricoles. Après la signature de l’armistice en juin 40 sous le gouvernement de Vichy, la collaboration étant en marche, certains camps vont fermer et d’autres se transformer en camps de concentration et de répression (Gurs reçoit près de 6500 juifs) Jean –Claude Pruja suit l’itinéraire de quelques combattants espagnols sortis des camps et nous fait comprendre combien ils étaient précurseurs de la lutte pour la liberté contre le fascisme : certains rejoignent les F.F. I., passent dans la Résistance. En entrant les premiers dans Paris avec les chars aux noms des grandes batailles en Espagne, ils ont montré la valeur de leurs convictions. En 1941 le mot «concentration» ayant pris un autre sens on préfère parler de «camps d’hébergements».
En août 1942 les camps d’Argelès et de Saint Cyprien sont fermés.

L’ouvrage de Jean-Claude Pruja s’achève sur l’idée du travail de mémoire qui doit revenir maintenant à ses sources sur la terre d’Espagne. Les études d’archives y voient peu à peu le jour apportant des éléments nouveaux. La recherche de fosses communes, le projet de loi, qu’ a fait adopter José Luis Zapatero, protégeant la mémoire des victimes de la dictature contribuent à lutter contre l’amnésie ou les pressions politiques. Le site du Valle de los Caidos voulu par le dictateur, construit dans la souffrance et l’asservissement des prisonniers républicains pourrait devenir le monument de la réconciliation nationale, nous suggère l’auteur, en restant neutre, en déplaçant les dépouilles de Franco et de Primo de Rivera ce qui « dépolitiserait » les lieux et honorerait les victimes du franquisme.

Noëlle Bantreil © Clionautes