Le contenu est à l’image de la superbe couverture de l’ouvrage, en 19 chapitres, les auteurs font le point sur de nombreuses questions et montrent en quoi cette guerre ne se limite pas à la seule Espagne. Le propos ne se limite pas à un récit de la guerre. Structuré en trois parties, il aborde d’abord l’aspect évènementiel, avant de s’intéresser aux différents engagements, pour terminer par une dimension culturelle et mémorielle.
Evènements
Les thématiques abordées dans les 6 chapitres de cette partie sont variées. La présentation de la Seconde République (1931-1936) est l’occasion de montrer l’importante œuvre réformatrice mis en place par celle-ci dans les domaines politiques, économiques et sociaux. Mais si cette période fut marquée par des moments de violence et d’affrontements politiques. On est loin de la situation de pré-guerre civile invoquée par les Franquistes pour légitimer leur tentative de putsch. Le déroulement de la Guerre Civile espagnole est ensuite présenté avec un rappel de ses grandes phases et des politiques mises en place par chaque camp.
La question de l’internationalisation de la guerre est abordée. On y voit ce que furent les choix des grandes puissances et comment la SDN se trouva rapidement mise hors jeu au profit d’un comité de non-intervention. Deux chapitres traitent de la position de la France durant cette période. L’occasion de montrer les divisions des Français et surtout de leur classe politique à propos de cette guerre. Mais également de s’intéresser à la mémoire de celle-ci en France. Avec un article intéressant sur la représentation qu’ont les Français des années 30 ce conflit. Notamment la manière dont la presse notamment utilise les stéréotypes espagnols pour rendre compte du conflit.Engagements
Cette guerre ne se limita pas à l’Espagne et à un simple affrontement militaire. Les formes d’engagements furent multiples. A commencer par ce non-engagement que fut la politique de non-intervention inventée par la France. Les raisons du choix sont multiples et passées en revue : de la division de la classe politique, à la peur d’une réaction de l’armée en passant par le désir de ne pas mécontenter l’allié anglais.
Si la solidarité internationale envers la République espagnole se limita essentiellement à l’Union soviétique, au Mexique et à la France, il y eut cependant des engagements individuels et associatifs. De nombreuses associations et syndicats s’impliquèrent dans le soutien aux populations. On y trouva des mouvements aussi variés que le CICR, les Quakers ou le Comité d’Action socialistes pour l’Espagne. La solidarité s’exprima particulièrement envers les enfants victimes du conflit. Près de 25 000 furent accueillis, en France mais aussi dans des pays aussi divers que l’Union soviétique ou la Belgique. Mais c’est l’engagement dans les brigades internationales qui demeure encore dans la mémoire collective le symbole de tous ces engagements individuels aux côtés de la République espagnole. L’ouvrage permet un rappel utile de toutes ces situations.
Mais il n’oublie pas le sort des réfugiés. L’accueil réservé à ceux-ci en 1939 fut si misérable, qu’une grande partie choisit de ne pas rester en France. Un nombre important prit le risque de retourner en Espagne. D’autres émigrèrent vers l’Amérique latine et notamment le Mexique. Ceux qui restèrent furent rattrapés par la guerre. Cela permit à certains de combattre à nouveau le fascisme. Ils intégrèrent des unités spécifiques de l’armée française. Ensuite beaucoup s’impliquèrent dans les mouvements de résistance du sud-ouest. On en trouva même dans les FFL à l’image de la « nueve » de la 2°DB qui fut l’une des premières unités à entrer dans Paris en 1944.
Mais c’est l’engagement des puissances de l’Axe dans le conflit qui transforma ce qui était une tentative de coup d’Etat ratée en guerre civile. Les auteurs rappellent comment, par le poids de leur aide en matériel comme en hommes, Hitler et Mussolini ont fait pencher la balance du côté franquiste.
Pourtant il est cependant un domaine dans lequel l’engagement fut bien plus nombreux du côté républicain, c’est celui des intellectuels et artistes. Le combat des Républicains apparaît bien plus porteur de sens que celui des nationalistes. L’évocation du cas de Bernanos vient rappeler comment un auteur de droite en vint à condamner les putschistes.
Cultures
La dimension culturelle de la Guerre Civile espagnole est abordée à travers divers supports. Elle fut l’objet de romans contemporains espagnols comme étrangers (L’espoir de Malraux). L’après-guerre vit chaque camp publier des romans qui défendaient sa vision. Mais c’est à partir de la fin du XX° siècle que la Guerre Civile envahit le paysage littéraire. L’ouvrage montre comment les récits sur celles-ci évoluent avec le temps, reflet des préoccupations mémorielles de leurs auteurs. Même si, comme l’écrit Trapiello, « les écrivains qui gagnèrent la guerre ont perdu celle des manuels de littérature ».
Une formulation que l’on peut largement appliquer au domaine artistique en général et qui fait l’objet de plusieurs chapitres. L’occasion de montrer la qualité des œuvres exposées au pavillon républicain à l’Exposition internationale de Paris en 1937. Ou bien d’étudier comment le cinéma fut utilisé par les deux camps. La diversité des œuvres républicaines s’oppose à l’uniformité nationaliste. Tout aussi originale est l’étude de la propagande graphique de la Guerre Civile.
L’approche consacrée à l’aspect monumental du conflit permet de faire la transition avec la dimension mémorielle de celui-ci. La volonté franquiste d’effacer les mémoires de la Seconde République s’accompagna d’une mise en valeur de lieux précis (Alcazar de Tolède) et surtout de représentations de Franco. Mais dès les années 60 on assiste à un premier glissement, de la célébration de la victoire à des monuments qui invitent à la paix. Le sort de ces monuments se trouve ensuite être un enjeu au moment de la transition démocratique et encore plus dans l’Espagne du début du XXI° siècle. De la même manière que le processus mémoriel passa par une période d’oubli au moment de la transition démocratique.
Mais les années 2000 virent apparaître de nombreuses questions, sur la nature du régime, les victimes, les réparations, l’attitude de la population…Les historiens durent s’expliquer sur leurs choix et pour certains s’impliquèrent dans ce débat mémoriel, parfois vif. On lira avec intérêt les arguments avancés par les deux camps pour tenter de définir ce qu’est la mémoire.
En conclusion
Un ouvrage stimulant par la diversité des thèmes abordés. La bibliographie, très riche et récente, en français comme en espagnol, donne les pistes nécessaires pour approfondir les divers points. La dimension historiographique et mémorielle permet une intéressante comparaison avec la façon dont la période de la Seconde Guerre mondiale est traitée en France.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau