Autant le dire tout de suite, le livre de John Gaddis n’est pas un manuel universitaire sur la guerre froide mais plutôt une mise en perspective.

Nulle trace ici de chapitres organisés en multiples sous-parties avec notions  et définitions. John Lewis Gaddis, professeur d’histoire militaire et navale  à l’université de Yale, explique son choix de la façon suivante : son livre est destiné à une nouvelle génération de lecteurs pour laquelle la guerre froide ne fut jamais d’actualité.

Pourquoi et comment parler de guerre froide aujourd’hui ? 

L’auteur s’est donc rendu compte que parler de cette période aux étudiants revenait à  leur parler d’une période très ancienne puisque aucun ne l’a connue.  Il précise donc d’emblée ce que ne sera pas son livre : il ne se veut pas annonciateur de phénomènes actuels en repérant des racines dans la période de la guerre froide, pas plus qu’il n’est une contribution à la théorie des relations internationales. Précisons que ce livre date de 2005 mais est seulement traduit maintenant en français. Il comprend un certain nombre de cartes, un cahier central avec des photographies devenues souvent iconiques de la période, une bibliographie et un index. Chaque chapitre est centré autour d’un thème important donc « les chapitres se chevauchent dans le temps et l’espace »  et l’auteur assume de passer du général au particulier et vice-versa. John Lewis Gaddis raconte donc la guerre froide en déroulant les évènements attendus mais toujours avec un angle selon les chapitres.

Le retour de la crainte

Cette idée d’angle du chapitre se voit par exemple dans le premier chapitre avec la façon de penser le monde de la part des deux Grands au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’auteur décrit d’abord l’état de la planète en 1945. Les Etats-Unis et l’Union soviétique, tous deux nés d’une révolution, dominent le monde mais leur situation est bien différente puisque 27 millions de citoyens soviétiques sont morts de la guerre, soit 90 fois plus que les Américains. Il restitue bien le climat en rappelant qu’à cette date on pouvait croire que le communisme autoritaire était autant la voie de l’avenir que le capitalisme démocratique. Il envisage le point de vue de chacun des deux Grands. Il repère notamment les points de blocage comme la question des sphères d’influence ou de la bombe atomique.

Bateaux de mort et bateaux de secours 

Le récit bascule ensuite sur l’exemple de la guerre de Corée. Le bilan  s’établit à plus de 600 000 morts chinois, 2 millions de Coréens et 36 OOO Américains. Au moment de ce conflit, le déséquilibre d’armement était frappant avec plus de 369 bombes atomiques opérationnelles pour les Etats Unis contre peut-être 5 pour l’URSS. L’auteur s’arrête ensuite sur la crise de Cuba en précisant que les intentions de Krouchtchev ne sont toujours pas claires de nos jours. Il rappelle les principaux évènements de ce moment de tension majeure. 

Ordre et spontanéité

John Lewis Gaddis revient dans ce chapitre sur les deux idéologies. Il montre le bilan de l’URSS en la resituant dans un cadre chronologique un peu plus large. L’héritage de Staline fut des plus encombrants et nul dirigeant soviétique ne parvint à l’infléchir. Du côté des Etats Unis, un des objectifs est de relever les économies allemandes et japonaises pour assurer le triomphe du capitalisme. L’auteur insiste ensuite sur les débuts de la Chine communiste et rappelle quelques chiffres comme les trente millions de morts du Grand Bond en avant. La RDA de son côté continuait à se vider de ses habitants jusqu’à l’érection du mur de Berlin. 

Vers un monde multipolaire

L’auteur aborde ici la montée et l’apparition d’autres pays sur la scène internationale.  Il poursuit son portrait de la Chine avec cette fois les conséquences de la Révolution culturelle et envisage aussi l’accession à la présidence de Richard Nixon. John Lewis Gaddis enchaine sur l’affaire du Watergate rappelant les grandes étapes de cette rocambolesque affaire et rappelant au passage cette phrase mémorable de Richard Nixon : « Lorsque le président le fait, cela veut dire que ce n’est pas illégal ». Il précise ensuite plusieurs faits et chiffres sur les actions de la CIA. La liste des interventions en sous-main n’est pas exhaustive mais donne déjà une idée du pouvoir de nuisance de l’Agence. L’auteur consacre aussi un passage à la personnalité et à l’action de Johnson qui, s’il fit de grandes réformes intérieures, s’embourba dans le dossier vietnamien. Il conclut ce chapitre sur la conférence d’Helsinki et sur la situation de la  Pologne au moment où c’est un Polonais qui est nommé Pape. 

Acteurs

On se tourne ensuite du côté de l’Afghanistan car c’est à partir de ce moment-là que le fossé commença à se creuser entre les Etats-Unis et l’URSS. Le budget de la défense de celle-ci était peut être trois fois plus important que celui des Etats-Unis à la fin des années 70 alors que son PNB ne représentait qu’un sixième de celui des Américains ! La Chine, elle, commençait son émergence puisque le revenu par tête tripla entre 1978 et 1994. John Lewis Gaddis revient sur la personnalité et l’action de Ronald Reagan qui augmenta considérablement les dépenses militaires. En effet, en  1985 le budget du Pentagone était deux fois plus élevé que cinq ans plus tôt.  L’auteur n’oublie pas d’expliquer les conséquences funestes qu’aurait pu avoir l’opération « Able Archer » en 1983 puis il poursuit sur le changement opéré par Gorbatchev. Il souligne que, à la différence d’un Deng Xiaoping en Chine, le leader soviétique n’eut jamais la volonté d’aller vers une économie de marché. Dans le dernier chapitre, John Lewis Gaddis revient sur l’année 1989 et ses conséquences. Il propose aussi un épilogue intitulé « La perspective après coup ». « L’humilité est à l’ordre du jour quand il s’agit d’évaluer le sens de la guerre froide » dit-il. Un des grands enseignements est tout de même que, parce que les armes nucléaires pouvaient être utilisées, aucune guerre de ce type n’eut jamais lieu. « La guerre froide restera peut-être comme le moment à partir duquel la force militaire qui avait été la principale définition du pouvoir pour les cinq derniers siècles cessa de l’être. »

John Lewis Gaddis offre donc un récit enlevé de la période, restituant les positions et convictions des différents camps, resituant les décisions dans leur contexte. Il propose une vision synthétique de ce conflit tout en glissant ça et là sa vision de la guerre froide : pour lui, elle « commença par le retour de la peur et s’acheva avec le triomphe de l’espoir, ce qui constitue une évolution inhabituelle pour les grands bouleversements historiques ».

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.