Cheikh Fam est à la fois un praticien de l’école de base, il a été instituteur, et un enseignant chercheur. C’est à ces deux titres qu’il propose deux ouvrages sur l’école au Sénégal : une étude de la mise en œuvre de la réforme du curriculum et une réflexion sur l’école.
Certes ces ouvrages portent sur le cas sénégalais toutefois les réflexions de l’auteur intéresse tous les systèmes d’enseignement.
Réforme de l’école ou réformes à l’école ?
Le curriculum de l’éducation de base au Sénégal : un diagnostic
L’étude issue de sa thèse de doctorat porte sur l’importante réforme initiée depuis 1996 : l’introduction du curriculum. L’auteur s’interroge sur la mise en œuvre et la modification attendue des pratiques enseignantes.
La première partie est consacrée à l’étude du contexte de la réforme et à la présentation du curriculum. Le rappel du contexte socio-historique depuis la conférence mondiale sur l’éducation de Jomtien en 1990 : « Education Pour Tous » jusqu’au Forum de Dakar en 2000 met en avant quelques objectifs dont le développement de l’accès à une école primaire, obligatoire, gratuite et de qualité notamment pour les filles, la mise en place de programmes pour l’acquisition de connaissances et de compétences nécessaire dans la vie courante, l’amélioration de l’alphabétisation des adultes. Dans ce cadre général, l’auteur rappelle la politique sénégalaise en matière d’éducation, il pose la question de la langue d’enseignement qui demeure le français, malgré quelques timides essais d’apprentissage de la lecture en langue locale.
Cheikh Fam développe une très intéressante réflexion dur l’enseignement de l’histoire comme contribution à la cohésion nationale et ses limites dans un pays multiethnique.
Il dresse un bilan préoccupant de l’école sénégalaise en 2016.
Le second chapitre est consacré à une réflexion théorique sur l’éducation en général, la place des valeurs. Le curriculum permet-il une exploitation des valeurs traditionnelles. Permet-il d’atteindre les compétences de la vie courante ? Cette réflexion centrée certes sur le cas sénégalais peut tout à fait interroger nos propres enseignements.
La seconde partie présente le cadre pratique et théorique de sa recherche, du recueil des données à l’analyse des résultats. Après un tableau des données de la situation de l’école élémentaire et du collègue (cycle moyen), de l’évolution des ressources publiques d’éducation l’auteur décrit son terrain de recherche : la commune de Richard-Toll au Nord-Est de Saint-Louis. Il aborde ensuite le cadre méthodologique, une occasion de revisiter les grands courants pédagogiques.
La troisième partie propose des conclusions et des pistes d’action pour une meilleure efficacité de l’école en phase avec les besoins pour le développement du pays et les attentes des familles. L’auteur analyse les freins à l’application de la réforme : formation des enseignants, méfiance des parents, absence d’une culture de l’évaluation, éléments qui pourraient caractériser aussi nos réformes mais il ne faut pas oublier d’autres maux : effectifs pléthoriques, classes provisoires, insuffisance de fournitures scolaires de la compétence des communes depuis la décentralisation.
L’auteur note aussi une certaine résistance des enseignants qui se sentent dépossédés de leur autonomie professionnelle.
Il montre les limites d’une réforme imposée par le haut sans vrai suivi sur le terrain pour évaluer et remédier, adapter, sans assez de manuel dans les classes et de formation des enseignants.
Au-delà du cas sénégalais l’ouvrage propose comme un écho de la situation en France.
Réflexions sur l’école sénégalaise
L’essai s’ouvre sur un peu d’histoire. La question de l’adaptation de l’enseignement aux réalités africaines est déjà posée au début du XXe siècle par Georges Hardy1. La réflexion de l’auteur s’appuie sur cette histoire2 : une école entre adaptation aux besoins de la société et nécessaires exigences pour le développement économique dans un monde moderne globalisé. L’auteur rappelle les différentes réformes depuis l’indépendance. Il porte un regard critique sur l’enseignement des sciences : trop théorique, trop peu expérimental, faible curiosité des élèves, mais aussi difficultés liées à la maîtrise insuffisante de la langue qui met en péril l’apprentissage du raisonnement mathématique.
Il propose une réécriture des programmes, une meilleure formation des enseignants et des pistes d’action : innovations endogènes, recherches-actions, ouverture de l’école sur le milieu et sur le monde.
Pour lui il est nécessaire de ne pas empiler les réformes, une conclusion qui s’appliquerait tout aussi bien en France.
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1 Inspecteur général de l’enseignement en AOF
2 Sur cette période voir Céline Labrune-Badiane, Étienne Smith, Les hussards noirs de la colonie. Instituteurs africains et « petites patries » en AOF (1912-1960), Karthala, 2018,