Justice ordinaire, vengeance privée, ordalie…, peine de mort, bannissement, châtiments corporels…, le fonctionnement de la justice médiévale est complexe. Exercée par une multitude de juges, laïcs ou ecclésiastiques, professionnels du droit ou pas, c’est un enjeu de pouvoir considérable.
Maïté Billoré est maître de conférences en histoire médiévale à l’université de Jean Moulin-Lyon III et Isabelle Mathieu et Carole Avignon, respectivement maîtres de conférences en histoire médiévale à l’université d’Angers.
Une fois de plus, les éditions Armand Colin – dans la collection Cursus Histoire – nous livrent, si j’ose dire ainsi, un manuel digne d’intérêt, pratique, clair et très bien écrit. L’ouvrage se décline en sept parties, elles-mêmes décomposées en plusieurs sous-parties. On peut donc d’emblée embrasser, d’un seul regard, l’architecture du livre :
- Cadres juridiques et Institutionnels
- Justices et pouvoirs
- La justice en actes : temps, lieux et personnel
- Procédures et procès
- Résoudre les conflits, rétablir la concorde
- Réparer, punir, amender
- Miséricorde, grâce et rémission
Outre une orientation bibliographique, on trouve également un mini glossaire juridique en fin d’ouvrage.
Qu’est-ce qu’une bonne justice ? Comment est elle mise en œuvre par les hommes du Moyen Age ? Qu’en espèrent les autorités qui l’exercent et qu’en attendent les justiciables ? Autant de questionnements auquel l’historien soumet ses sources et les réponses qu’il tente d’apporter. Il faut donc s’affranchir de toute vision téléologique de la justice qu voudrait, par exemple, que seule une justice publique et centralisées soit efficace. Il faut également faire fi d’appliquer ou tenter de le faire des grilles d’interprétation et des systèmes de valeurs propres à nos sociétés contemporaines qui risquent de biaiser les sources. En appliquant une telle méthode, on prend le risque de voir des signes de barbarie et de cruauté quand la violence qui n’est alors ni gratuite, ni désordonnée, y compris à travers la pérennité du sacré dans le processus judiciaire. Rendre à chacun selon son dû », telle est la maxime dont s’est fait sienne Saint Thomas d’Aquin au XIIIème siècle. Sous le regard de Dieu, à qui appartient toute justice, les hommes tentent de s’approcher de cet idéal en assumant du mieux la mission qui leur a été confiée. On s’aperçoit ainsi, en parcourant cet ouvrage, que les clichés d’une justice médiévale bestiale et manichéenne ne tiennent pas la comparaison. Les juges recherchent souvent l’apaisement social et privilégient bien souvent la prudence. Au détriment parfois, il est vrai, de la vérité. La justice et ses applications sont plurielles. Elles jouent un rôle prépondérant en tant que régulatrices sociales et désamorcent des conflits latents (médiation, négociations, arbitrages). Enfin, les juges se doivent aussi de purifier la société, la purger de ses éléments corrompus, de la délivrer du Mal. En ce sens et durant toute le Moyen Age, s’enchevêtrent ainsi fonctions politiques et religieuses. Aussi, la justice reste l’apanage du gouvernement en ce sens qu’elle participe à sa construction, concourt à son autorité et à sa probité morale.
DES SOURCES MULTIPLES
L’historien semble disposer de sources variées, mais souvent hétérogènes et fragmentaires : sources normatives ; narratives ; iconographies. Et, en fonction des périodes étudiées, il faut bien se contenter des matériaux de cette époque. Ainsi, pour l’histoire de la justice au Haut Moyen Age, le chercheur ne peut que s’appuyer sur un corpus législatif d’origine germanique, sur des capitulaires carolingiens, voire des traités didactiques. En parallèle, les normes juridiques qui servent de base à la justice peuvent être étudiées à partir de sources plus simples et plus importantes, tels les recueils de lois ; coutumiers ; édits ou ordonnances royales ; chartes et franchises. Ces textes contiennent des informations sur les institutions, les statuts juridiques des personnes, les obligations, le droit de la famille, etc. Sans omettre les annales et chroniques diverses qui, même si elles ont souvent contribué à donner une image déformée de la justice, n’en renseignent pas moins sur la répression des crimes touchant par exemple l’aristocratie ou le prince (trahisons, révoltes, crimes de lèse-majesté). On touche donc ici, avec ces différents matériaux, à ce j’appellerai la « partie haute » de l’étude. On prend de la hauteur, on surplombe le sujet étudié. Pour autant, – et c’est peut-être le passage le plus ardu – il faut « descendre » et diligenter une enquête sur la « partie basse » du sujet étudié, à savoir l’enquête de terrain, pragmatique, pour se rendre compte de la réalité concrète de la justice médiévale et s’approcher ainsi au maximum de la réalité des faits. Mais pour cela, faut-il encore que les sources sur lesquelles s’appuie l’historien aient pu être conservées. Pour la période carolingienne par exemple, les plaids (assemblée politique ou judiciaire sous les Carolingiens) retracent précisément la procédure ainsi que les sentences judiciaires. Après le creux documentaires des IXème – Xème siècle (invasions vikings, hongroises et sarrasines), les notices prennent un aspect beaucoup plus narratif qu’auparavant, comme semblent en attester les exemples trouvés en Normandie ou dans la région ligérienne. Comme le précisent les auteurs, il faut toutefois nuancer les informations contenues dans ces documents dans la mesure où l’établissement monastique, partie parfois prenante d’un conflit – en biaise le contenu. En revanche, les chartes mettent davantage l’accent sur les arrangements écrits entre différentes parties, voire précises des sentences plus autoritaires. Ces chartes semblent très nombreuses du Xème au XIIème siècle. L’historien de la justice doit par conséquent composer avec l’hétérogénéité des fonds conservés et les incontournables lacunes qui rendent parfois difficile l’exploitation de séries statistiques. Il dispose de registres d’audiences ; d’amandes ; de condamnations ou bien encore d’arrêts des cours d’appel, de lettres de rémission ; de procès-verbaux, d’audiences, etc. Ces fonds ne permettent pas forcément la constitution de série statistiques complètes mais rendent, toutefois, un traitement quantitatif et qualitatif assez complet. (Parlement de Paris – cours de justice du pouvoir ducal à Caen entres autres).
Enfin, la sigillographie (études des sceaux) reste par ailleurs une source non négligeable pour l’étude de la justice médiévale. L’apparition d’une mitre ou d’une crosse sur le sceau des officialités (tribunal de l’évêque) rappelle que l’official (juge ecclésiastique qui exerce la juridiction que l’évêque lui a confiée) est bien le juge mandaté par l’évêque pour rendre la justice à son nom ! Autres supports, les enluminures. Elles donnent à voir où se déroulent les châtiments ; où s’exerce la justice ou bien encore les acteurs de la justice. (Coutumes de Toulouse,par exemple). Les textes littéraires (Lancelot du Lac) ou encore religieux (Bibles historiées, Vies des martyrs) véhiculent des représentations analogues. De même, les peintures et fresques murales peuvent utilement renseigner sur le fonctionnement de cette justice médiévale. Pour autant, il faut garder à l’esprit que ces représentations artistiques construisent un discours de la justice, avec ses codes (pendaison du voleur, décapitation du traître, bûcher de l’hérétique comme préfiguration de l’Enfer, etc.) et sa logique (focalisation sur le juge, figuration de la foule, impassibilité du condamné à mort comme pour mieux souligner l’acception de la sentence)
Un ouvrage fort intéressant, pragmatique et très agréable à lire. On peut cependant noter un fort intérêt pour la période carolingienne. Les temps mérovingiens ne sont pas abordés (rareté des sources, thèses limitées) ce qui explique le choix des auteurs. Il est vrai de rappeler que la cadre géographique de cette époque ne ne coïncide pas avec la France hexagonale. Jusqu’au XIIIème siècle, dans les documents officiels, les rois se disent Rex francorum et non rois de France. Ils président plus un peuple qu’une entité géographique. Outre le fonctionnement de la justice médiévale, l’ouvrage présente une fonction sociologique, politique de la justice.
Pour les puristes, on peut cependant regretter que les éditions Cursus aient opté pour un choix iconographique pauvre (première et quatrième de couverture).
Bertrand Lamon