Sur des questions qui touchent à l’éthique, aux modes de vie, les représentants des différentes obédiences religieuses sont sollicités pour intervenir dans le débat public. Cette évolution apparaît aux yeux d’une partie de l’opinion commune remise en cause de la laïcité dans son acception française marquée par la loi de décembre 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État.
La religion avait été alors strictement cantonnée à la sphère privée et l’affirmation de ce principe avait participé du socle fondateur de la IIIe République. Mais, depuis la fin des années 80, ces affirmations de principe ont été régulièrement mises à mal. L’affaire dite « du foulard islamique » a poussé le président de la république à entamer un débat national avec la commission Stasi et la représentation nationale à légiférer sur cette question. Le débat a rebondi avec l’adoption en octobre 2010 d’une loi sur « le voile intégral ». En décembre 2010 certaines déclarations politiques sur la pratique de la prière sur la voie publique ont également déclenché des interrogations multiples.
Enfin dès son arrivée à l’Élysée le Président actuel a introduit une notion qui ne semble pas évidente à décrypter, qui est celle de la laïcité positive. La loi de 1905 serait ainsi remise en cause de fait d’après les mouvements de défense des principes de la laïcité.
Les enjeux liés à la modernisation du principe de laïcité sont ainsi révélés dans toute leur ampleur et continuent de diviser les Français.
On trouvera donc dans ce numéro de «Regards sur l’actualité» des entretiens précieux notamment sur le concept de laïcité de reconnaissance qui serait peut-être à l’origine de la laïcité positive. La laïcité conçue dans la période de combat du début du XXe siècle était une laïcité d’indifférence, résumée dans la formule « l’état ne reconnait ni ne salarie aucun culte ».
Très sensible depuis la IIIe République, la question scolaire a marqué le débat politique d’échanges parfois virulents et de manifestations imposantes. Après les fortes tensions des années 1980-1990, la paix scolaire semblait s’être installée. Toutefois si l’équilibre entre les types d’établissement existe, il n’en existe pas moins des formes de contestations internes touchant au contenu des programmes, et à la place que les religions peuvent occuper dans leur acceptation par les familles. La question du « foulard » a resurgi à partir de 1989, autour du port du « foulard » musulman et de la contestation de certains contenus d’enseignement pour des motifs religieux. La loi du 15 mars 2004 est venue interdire « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » dans les établissements publics. Toutefois, cela se manifeste également par le refus de participer à certains cours, éducation physique, musique, voire sciences naturelles, et par des protestations au nom de la « neutralité de l’école » contre certaines activités dans les écoles. (Sorties dans les musées ou arbres de Noël.)
Concernant le débat récent sur le port du voile intégral appelé burka, ce qui est soi un erreur puisque le terme fais référence à une tradition afghane rendue obligatoire par un régime taliban , le numéro de ce «regards sur l’actualité» comporte une référence précieuses concernant le salafisme dont certaines tendances préconisent le port de ce voile intégral appelé niqab.
les attentats de Madrid en 2004 et de Londres en 2005.
Enfin, pourquoi les femmes appartenant au mouvement salafiste décident-elles de porter le voile intégral ? Trois explications principales me paraissent pouvoir être avancées. C’est une protestation symbolique ; un signe de distinction sociale ; l’expression d’un hyper-individualisme.
Le salafisme séduit un grand nombre de jeunes filles issues de l’immigration musulmane, mais aussi de Françaises de souche. Lorsque celles-ci décident de se salafiser, une minorité seulement opte pour le niqab, la grande majorité choisissant le djilbeb, voile informe mais qui ne masque pas le visage.
Lorsqu’on discute avec les premières, elles expliquent que porter le voile intégral est, pour elles, une manière d’exprimer une protestation, de manifester leur désaccord avec les valeurs dominantes de la société dans laquelle elles vivent, de mettre symboliquement cette société à distance. Le voile intégral marque une rébellion symbolique contre l’ordre hiérarchique incarné par leurs parents, critiqués pour pratiquer un mauvais islam, et contre l’ordre social.
Mais le voile intégral est également le signe d’une distinction sociale. Celles qui le portent et le revendiquent en tirent une grande fierté et le ressentent comme un symbole de respectabilité. En se salafisant et en portant le niqab, d’adolescentes elles deviennent des adultes respectées, notamment dans les quartiers populaires.
Le voile intégral est enfin le signe d’un hyperindividualisme religieux.
Selon des observateurs, le port du niqab, loin d’être volontaire ou consenti, résulterait d’une contrainte émanant du groupe auquel appartiennent ces jeunes filles ou d’un membre de leur famille. De fait, il y a bien contrainte, mais elle ne résulte pas d’une pression sociale externe exercée par un imam ou leur famille sur ces jeunes femmes. Il s’agit bien plutôt d’une contrainte volontairement intériorisée, parce que ressentie comme légitime. C’est en lisant, en écoutant sur Internet des imams prêcher l’islam et la nécessité de porter le voile intégral que progressivement les jeunes femmes qui s’islamisent en viennent à désirer ou à s’imposer de porter le niqab pour se comporter de manière plus conforme à leur foi.
Elles y voient le signe d’une plus grande « islamité », d’une appartenance à une élite, à une avant-garde religieuse appelée à guider la communauté musulmane égarée.
Ce numéro de «regards sur l’actualité», ne se limite pas à présenter un point de vue officiel, mais il sera d’une aide précieuse pour tous ceux qui sont confrontés aux problèmes liés à la laïcité dans les établissements scolaires ou dans la cité.
En effet, au delà des récupérations de cette laïcité en période électorale, si l’on se réfère à certaines déclarations récentes, il y a aussi un combat anti-laïque qui est mené au nom de la nécessaire tolérance mais qui vise surtout à remettre en cause cette valeur fondatrice du pacte républicain. Dans ce combat anti-laïque, ses protagonistes trouvent quelques « idiots utiles » parfois surprenants.
Bruno Modica