Offre-t-on encore aux enfants des trains électriques ? Si ce jouet a été remplacé par des consoles de jeux, cela est d’autant plus navrant qu’offrir un train électrique équivalait à offrir la panoplie du « petit urbaniste ». Les PUF ne se sont d’ailleurs pas trompées en choisissant comme photographie de couverture de ce Que sais-je ? des maquettes de maisons que l’on positionnait après avoir monté le circuit. En jouant ainsi, l’enfant (ou le parent car ce cadeau fait autant plaisir aux petits et aux grands ) fait de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire et sans le savoir, de la géographie.

Cet opus des Que sais-je ?, consacré au projet urbain, a rencontré un grand succès. Il fait l’objet d’une quatrième édition en 2010. Son auteur est architecte, urbaniste et géographe. Elle occupe un poste de maître de conférence à l’Institut d’urbanisme de Paris. Préfacé par Marcel Roncaylo, ce petit volume vise à faire le point sur les problématiques liées au projet urbain mais aussi sur les échelles de celui-ci. Les conditions d’émergence d’un projet urbain, comme les débats intellectuels qu’il suscite ne sont pas éludés.

Patrizia Ingallina montre que le rôle joué par le temps est central. Un projet urbain doit savoir évoluer à travers le temps et ne pas être figé. C’est Christian Devillers, architecte, qui, dès les années 1970, revendique la mise en place d’un urbanisme de projet et rejette la logique de programme rigide. Il met en œuvre cette idée, avec Chemetov, à Saint-Etienne dans le quartier Saint-Saëns. Dans le cadre de la décentralisation, avec des maires soucieux de « lancer des projets urbains comme démonstration (et parfois aussi caution) d’une politique de l’action », l’idée de projet urbain est dévoyée, surtout dans le contexte de la crise économique et de la montée du chômage. Le terme projet urbain sert souvent de chapeau à des actions ponctuelles ou manquant de cohérence. Cela amène Devillers à formaliser son idée (Le projet urbain. 1994).

La pluridisciplinarité est nécessaire pour que le projet urbain soit mené à bien. Le partenariat entre les institutions publiques est central. Architecture, sciences sociales ou anthropologie ont un rôle actif à jouer dans la réflexion et la mise en place des projets urbains. Désormais, la ville est pensée autrement. L’urbanisme doit rendre la ville attractive et permettre d’attirer de l’activité économique, dans le cadre de la concurrence urbaine ou internationale. Le temps du politique (mandat électoral) n’est pas celui de l’urbanisme et cela amène à bien des contradictions (lancement de projet urbain sans que le temps de le réaliser ou les finances soient disponibles).

Le projet urbain est aussi un objet participatif. La consultation des acteurs publics et privés, des habitants et pas seulement des résidants (surtout dans une société de plus en plus mobile) est centrale. La question de la gouvernance est intrinsèquement liée à la question du projet urbain. De plus en plus, le projet urbain est au service du marketing urbain. Les villes sont mises en concurrence et cela s’oppose à la mise en place d’une planification régionale ou nationale du tissu urbain. Les projets urbains ont nécessité une adaptation des outils spatiaux en cours (POS, SDAU, PLD, PLU, SCOT, loi paysage…). Le traitement de cet aspect du sujet montre les limites de cette quatrième édition. Si les PLU (plan local d’urbanisme) sont évoqués, force est de constater que l’auteur fait plus souvent référence aux POS qu’à leur version nouvelle. Il apparaît aussi que le texte tend à être très historique au fil des pages. Montrer la genèse d’un projet urbain est nécessaire mais le lecteur de 2011 aurait aimé que des exemples plus actualisés soient développés. La présentation du projet Euralille a son intérêt mais elle fait référence à une époque révolue où le Nord était en plein déclin économique, où la gare TGV et l’agglomération transfrontalière n’avaient pas encore vu le jour. De la même manière, les développements sur Rennes ou sur l’aménagement des Halles auraient mérité d’être actualisés afin de proposer un bilan du projet urbain à la date d’aujourd’hui.

Le projet urbain a désormais la forme d’une démarche de réflexion globale sur la ville. Cette orientation a été possible grâce aux lois de décentralisation. L’Italie, (la ville de Bologne en particulier) a servi de modèle aux Français avec la notion de recupero, mise en évidence dans la thèse de l’auteure en 1993. Il faut entendre par là que la ville est pensée comme un tout et non quartier par quartier. La ville est un système relationnel qui a un sens et qu’il faut respecter lorsque l’on met en œuvre des aménagements. Cette approche vise à maintenir la mixité sociale, y compris dans le cas de la rénovation urbaine d’un quartier. La première mise en application de cette approche en France s’est faite dans les années 1970 avec l’aménagement du quartier des Halles. La participation des habitants au projet, par le biais de la consultation urbaine, est une nouveauté.

Patrizia Ingallina conclut que le projet urbain n’est pas une recette que l’on peut appliquer partout. Il n’est valable que dans un contexte particulier. Elsa Vincent, travaillant sur les écrits de Richard Florida, père de la ville créative, montre la même chose. Si l’implantation d’un musée (type Guggenheim à Bilbao) peut être une réussite urbanistique, cela ne veut pas dire pour autant que le modèle est transférable ailleurs.

© Catherine Didier-Fèvre