Le livre posthume de Lucie Favier, conservateur aux Archives nationales pendant plus de quarante ans, présente l’histoire des archives et des bâtiments qui les ont abritées depuis la fin du XVIIIe siècle. L’ouvrage, inachevé à la mort de l’auteur, a bénéficié de quelques mises au point de Jean Favier, directeur des Archives de France de 1975 à 1994.

Les Archives nationales sont nées de la Révolution. La toute jeune Assemblée nationale décide en effet, le 29 juillet 1789, la création d’un services d’archives (p. 11). Les archives antérieures ne sont alors pas concernées. La notion d’Archives nationales apparaît explicitement dans un décret du 12 septembre 1790 : « Les Archives nationales sont le dépôt de tous les actes qui établissent la constitution du royaume, son droit public, ses lois, sa distribution en départements. » L’existence d’une institution centrale rompt ainsi spectaculairement avec les pratiques du Moyen Age et de l’Ancien Régime. Le service est confié au député du Tiers-État de Paris, Armand-Gaston Camus. Progressivement, on prend conscience de l’importance des archives antérieures à 1789, dispersées en plusieurs lieux. Un décret du 2 novembre 1793 place tous les dépôts d’archives sous une autorité unique. Le décret du 25 juillet 1794, « texte essentiel qui préside à l’organisation des archives françaises jusqu’à la loi du 3 janvier 1979, prévoit « un très sévère triage » (p. 43). D’importantes destructions (plus de cinq cent tonnes de papiers !) sont menées par une Agence puis un Bureau du triage qui répartit le reste en deux sections, domaniale et judiciaire, et met en réserve quelques registres et boîtes destinés à la Bibliothèque nationale (p. 59). En 1800, les Archives nationales constituent une institution véritablement autonome. Elles sont alors placées sous l’autorité du ministère de l’Intérieur. Le palais de Soubise, dans le Marais, accueille, à partir de 1808, la majorité des archives parisiennes et voit bientôt arriver de nombreuses caisses venues de l’Empire entier (Italie, Allemagne, Espagne etc.). Napoléon souhaite la construction d’un immense palais des Archives sur les quais de la Seine mais la campagne de Russie et l’échec final de 1815 en empêchent la réalisation.

C’est au début du XIXe siècle, sous la direction de Pierre Daunou, nommé garde des Archives en 1804, que sont établis les principes de classement des documents conservés à Paris. Daunou constitue vingt-quatre séries. Aux séries sont affectées des lettres de l’alphabet (pp. 98-103). La répartition des séries de Daunou ne répond certes pas aux critères actuels. Par exemple, la série K, dénommée « Monuments historiques », n’a aucune unité organique. Elle regroupe des papiers provenant de fonds différents. Il s’agit d’une collection arbitrairement conçue, véritable « fourre-tout » (p. 170), regroupant actes royaux, archives des princes de sang ou encore archives du chancelier. On y trouvait aussi, jusqu’en 1941, date de leur restitution bien tardive à l’Espagne, les archives de Simancas… Ce classement est en fait profondément tributaire du travail important du Bureau de triage. Les archivistes ultérieurs ont d’ailleurs tout fait pour intégrer les documents aux séries de Daunou.

Tout au long du XIXe siècle, les principes qui gouvernent aujourd’hui le fonctionnement des Archives nationales se mettent en place. La création de l’École des Chartes, en 1821, fournit un personnel compétent, capable de collecter, trier, classer, inventorier les documents. L’École s’installe d’ailleurs dans l’enceinte des Archives nationales en 1846 et ce, jusqu’en 1897, date de son transfert à la Sorbonne. En 1892, on ne compte plus parmi les archivistes en poste à Soubise que des chartistes (p. 241). A partir de 1888, les directeurs – au titre fluctuant – sont également, hormis une exception, d’anciens élèves de l’École des Chartes. Un décret de 1897 leur donne une autorité sur l’ensemble des Archives publiques françaises (nationales, départementales, communales et hospitalières). Depuis 1998, la direction des Archives de France, aujourd’hui une des administrations du Ministère de la Culture, a été confiée à des haut-fonctionnaires : Philippe Bélaval puis Martine de Boisdeffre, venue du Conseil d’État. Les notices biographiques qui ponctuent l’ouvrage de Lucie Favier permettent de se faire une idée du profil socioprofessionnel des archivistes du Palais de Soubise depuis deux siècles. On y rencontre notamment la figure de Jules Michelet, responsable de la Section historique de 1830 à sa démission, en juin 1852 (pp. 146-152).

Depuis les origines, les responsables des Archives nationales sont confrontés à un problème majeur : le manque de place. Dépôts et versements se succèdent. En 1928, une loi autorise ainsi le dépôt des minutes notariales. Il faut alors « accueillir rapidement 14 kilomètres linéaires de nouvelles archives », point de départ du célèbre minutier central (p. 285). Après Jean-Pierre Babelon (Histoire et description des bâtiments des Archives nationales, Paris, Imprimerie nationale, (1958), 1969), l’auteur présente les principales phases de l’extension des Archives dans le quadrilatère que bordent les rues des Francs-Bourgeois, des Quatre-fils, des Archives et Vieille-du-Temple. La dernière étape – la construction du Centre d’Accueil et de Recherches des Archives Nationales ou C.A.R.A.N. avec sa grande salle de lecture de trois cent cinquante places- date de la seconde moitié des années 1980. Elle achève l’intégration, finalement tardive, du public dans le projet des Archives. La salle Soubise de soixante-quatre places, ouverte en 1902, a longtemps été la seule salle de lecture. Les Archives de France ont dû cependant ouvrir des centres hors de Paris : le Centre des Archives contemporaines à Fontainebleau (1967), le Centre des Archives d’Outre-Mer à Aix-en-Provence (1966) et le Centre des Archives du Monde du Travail à Roubaix (1993). La crise actuelle des Archives, exacerbée par le désamiantage du C.A.R.A.N. qui a provoqué pour les lecteurs et le personnel des transferts douloureux à la Bibliothèque Nationale de France puis dans l’ancienne salle des gardes de Soubise, a trouvé des relais dans le monde universitaire. Après moult tergiversations, les pouvoirs publics ont finalement annoncé, le 9 mars 2004, par la voix du président de la République, la création d’un centre des Archives contemporaines à Pierrefitte, en Seine-Saint-Denis. Ce centre a pour vocation de conserver les documents postérieurs à 1790 (p. 420). La question des moyens de fonctionnement est cependant d’ores et déjà posée.

Le livre de Lucie Favier pose finalement la question de la place des archives dans la société actuelle. Alors que tout ce qui relève du « patrimoine » et de la « mémoire » suscite un intérêt particulier, il n’existe pas de véritable « conscience archivistique dans l’État, dans l’opinion et [même] auprès des historiens » (Sophie Cœuré et Vincent Duclert, Les Archives, Paris, La Découverte, 2001, p. 108). Les historiens voient souvent dans les archivistes de simples techniciens et s’irritent parfois des délais de communication des documents, fixés par la loi de 1979. Les archivistes ne comprennent pas toujours le monde de la recherche. Travailler en synergie permettrait sans doute de donner une nouvelle visibilité aux Archives nationales et aux défis qu’elles doivent relever.

Luc Daireaux, Doctorant, E.H.E.S.S.

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