Fort de 85 titres, cet ouvrage fait suite à un premier volume consacré à l’analyse de l’espace au travers des paroles de chansons. Ici, la focale se resserre sur la question de la ville, fussent-elles clairement nommées, génériques ou imaginaires.
Raphaël Pieroni et Jean-François Staszak reprennent la plume de l’avant-propos mais Jean-François Staszak propose, en plus, en introduction un texte général permettant quelques mises au point. On y apprend sur la définition de l’imaginaire urbain autour des représentations, sensations, émotions qui permettent d’appréhender les villes, un imaginaire d’ailleurs très masculinisé du fait d’une domination des chanteurs sur les chanteuses ; sur le volet fourre-tout du terme « musique urbaine » ; sur la construction de l’identité et de l’expérience, les chansons permettant d’associer une ville à un instrument ou à un style, d’associer une écoute à une expérience spatiale et de créer un souvenir.
La vue d’ensemble sur le corpus montre une cartographie des vides (l’Asie, l’Afrique et l’ Amérique du Sud où il est difficile de structurer un public international) et des pleins (Paris domine bien sûr, marque d’un pays très centralisé, mais d’autres villes sont chères aux francophones : Bruxelles, Montréal, Alger…).
On retrouve les analyses sur la performativité de l’espace notamment au travers de la dénomination a postériori de rue (à Nantes après le titre éponyme de Barbara), de places (à Cherbourg et Rochefort avec la chanson des jumelles Deneuve Dorléac) ou d’un jardin (« Serge Gainsbourg » porte des Lilas).
On avance également dans l’idée de l’appropriation culturelle, la modification des textes ou de leur message, l’idée que les reprises multiples peuvent décontextualiser l’œuvre et la reterritorialiser : le « Dancing in the streets » original de 1964 de Matha & the Vandellas prend d’autres revendications chez David Bowie et Mick Jagger en 1985 ; la chanson « Jerusalema » de Master KG montre une double reterritorialisation : la chorégraphie a voyagé pendant la pandémie, elle a évolué dans ses paroles, ses lieux….
De très nombreuses entrées thématiques peuvent être abordées :
- La société urbaine dans sa globalité, sa violence (« Construçao » de Chico Buarque), ses envahisseurs (« Les loups sont entrés dans Paris » de Serge Reggiani), ses marginaux (« Quand on arrive en ville » de Daniel Balavoine et Nanette Workman) parfois au travers la lutte (« Pata, Pata » de Miriam Makeba)
- La prospective et la quasi prophétie de « Monopolis » (France Gall)
- Les fonctions urbaines avec l’évolution du commerce (« Alix et Félix » de Bénabar)
- Les frontières entre ville et campagne au travers des différences de mœurs (« Le Loir et Cher » de Michel Delpech), de la montée à la capitale pour l’emploi et une vie meilleure (« Je vais à Yaoundé » de André Marie Talla), de l’urbanisation galopante (« Le petit jardin » de Jacques Dutronc ou « Comme un arbre » de Maxime le Forestier) et de la métropolisation et la course à la verticalité (« New-York USA » de Serge Gainsbourg), de l’ennui dans la banlieue (« Banlieue rouge » de Renaud) ou encore des frontières intraurbaines (« Rive gauche à Paris » de Alain Souchon)
- L’angle de vue du discours, la fenêtre (« Fenêtre sur rue » de Hugo TSR)
- Le comparatisme de situations similaires à l’image de Caen et Bruxelles (« La pluie » de Orelsan et Stromae)
- Le bilinguisme, ici de « Bruxelles je t’aime » de Angèle
On ne pourra qu’apprécier, de manière générale les beaux écrits des auteurs qui, délivrés des canons de l’écriture scientifiques, aboutissent à des textes très poétiques. Et il y a encore de quoi faire si l’on en croit la cinquantaine de titres listés en page 9, l’occasion d’un volume 3 ?
Trois coquilles repérées si jamais réimpression il devait y avoir : il y a un « s » en trop à la Parisienne sur les paroles de « Mexico » de Luis Mariano p 38 ; un conflit entre « Mac David » et « Mac Davis » comme compositeur du « In the ghetto » de Elvis Presley sur les pages 84-85 ; un verbe incorrectement au pluriel sur les questions qu’Elvis « se posait » p 85.