Projet décidé en 1983, déjà pour les 20 ans de la DATAR, la Mission Photographique a eu pour but d’essayer de créer une culture du paysage tout en accompagnant les changements de la société au sortir des Trente Glorieuses. Travail qui ne devait durer qu’un an, la Mission s’est pourtant étendue de 1984 à 1988 au vu de son succès et de l’ampleur de la tâche à accomplir.

C’est ici sous l’égide de Raphaële Bertho, maître de conférences à l’université Bordeaux 3, historienne de la photographie, que cette rencontre entre le fond de commerce de la DATAR (réduire les déséquilibres spatiaux) et l’institutionnalisation de la photographie dans la valorisation culturelle est ici racontée, précisément pour l’anniversaire des 50 ans et, hélas, du décès de Gabriele Basilico, l’un des piliers de l’aventure de l’époque.

L’ouvrage explique comment a germé et progressé l’idée de sortir du photojournalisme et de ses gros plans et instants décisifs pour essayer d’amener à un regard sensible sur le paysage d’où la présence de photographes « artistes », pas nécessairement spécialistes de l’aménagement. Citons Raymond Depardon et Robert Doisneau pour les plus médiatiques d’entre eux.

Ainsi, on voit comment éviter les personnages pour ne pas réduire le paysage à un simple arrière-plan, comment recourir à la vue large et surplombante pour couvrir l’ensemble d’un territoire, comment réintroduire des objets courants (pylônes, panneaux signalétiques, voitures…) pour ne pas négliger les lieux communs, les territoires du quotidien et mêmes les non lieux comme les nommera Marc Augé. Les portraits sont également présents. Un paysage n’est pas forcément un « beau paysage » comme les véhicule l’industrie culturelle et touristique.

Si le livre expose ces points au travers de trois parties argumentées (l’histoire du projet ; l’émergence d’un mouvement photographique sur le paysage ; « recréer une culture du paysage »), il est très appréciable de trouver deux portfolios présentant les clichés en grand format, un par page, ce qui permet au lecteur de se rendre compte de l’extrême variété des lieux et approches représentées : plages du débarquement, espaces industriels lorrains, littoraux bretons, espaces ruraux du Sud-Ouest, zones commerciales et autres ouvrages d’art en pleine montagne…

Figure également en fin d’ouvrage une intéressante interview des deux directeurs de la Mission, Bernard Latarjet et François Hers, qui concèdent rétrospectivement que la culture du paysage n’est pas forcément passée dans les mœurs et que les impératifs économiques, et maintenant écologiques, contribuent encore à occulter la dimension esthétique du vivre ensemble.

Un très bel ouvrage, très bien conçu et rédigé, sur l’histoire d’un succès qui aura fait des émules puisqu’au delà des travaux solo des acteurs initiaux, une relève s’est mise en place à l’image du collectif « France(s), Territoire Liquide » dont les 50 photographes entreprennent de poursuivre la recherche photographique sur le nouveau paysage français. On ne peut que les encourager dans ce sens pour alimenter nos réflexions et nos débats, pourquoi pas à l’intérieur de nos pages de manuels scolaires.