C’est un ouvrage issu d’un mémoire d’habilitation à diriger des recherches qui a retenu l’attention, tant le sujet peut apparaître comme actuel.
Le retour à l’emploi des pauvres s’est imposé comme un axe principal des politiques sociales. Mais la prise en compte de la mobilité n’ a peut-être pas été suivie autant qu’il le faudrait par les politiques publiques.

Une des causes des difficultés rencontrées par les habitants des banlieues défavorisées en France est la mobilité particulièrement dans l’accès à l’emploi.
L’amélioration de la capacité à se déplacer devrait sans doute représenter un axe important des politiques d’insertion professionnelle et sociale.
Et si dans les trois pays cités dans cette étude, France, Royaume Uni et États-Unis, elle fait aujourd’hui partie des recommandations émanant conjointement d’une partie du monde académique et du monde professionnel et politique, son entrée dans le champ opérationnel reste timide et diffuse.

Sylvie Fol traite de des dispositifs favorisant l’automobilité la mobilité favorisée par la possession d’une automobile et de leur adaptation ou de leur inadéquation peut-être pour les ménages considérés comme pauvres.
En France, le développement de cette dimension, opéré en partie à travers un transfert des analyses élaborées outre-Atlantique, semble toutefois contenir un risque de rétrécissement des perspectives politiques.

L’absence de mobilité, est une composante majeure de l’expérience de la pauvreté, même si, on peut le voir, la distance spatiale aux emplois n’est pas toujours, on s’en doute, déterminante dans les processus d’exclusion du marché du travail.

Dans un pays comme les États-Unis où les transports en commun dont assez peu développés, civilisation de l’automobile oblige, ll n’est pas clairement démontré que le manque d’accès aux transports soit réellement un obstacle à l’employabilité des individus. Les discriminations raciales jouent davantage ce rôle. Elles peuvent être ethniques en France et en Grande Bretagne et dans tous les cas sociales. Le faciès n’est pas seulement situé sur le visage, il peut l’être aussi sur l’adresse d’un CV lors d’un entretien d’embauche.

Le logement avant la mobilité

À la question de la mobilité que l’auteur analyse en reprenant de très nombreuses études outre manche et outre atlantique, en s’inscrivant dans une perspective comparatiste vient s’ajouter à d’autres difficultés qui enferment les ménages pauvres, selon les critères sociaux des trois pays de l’étude dans une sorte de cercle vicieux de précarité professionnelle et sociale. Le coût souvent exorbitant du logement est un facteur de précarisation déterminant pour les ménages pauvres aux États-Unis. Dans le même temps, ce coût du logement impose une dépense en terme de mobilité tout à fait considérable, dépense que l’auteur mesure en terme financiers mais aussi en temps perdu, temps perdu qui pourrait être employer à améliorer les revenus. On aurait envie de dire «à travailler plus pour gagner plus».
La mobilité est donc un signe de différenciation sociale d’autant que les nouvelles méthodes de gestion des ressources humaines imposent la mobilité, la capacité à s’adapter et à subir des éclatements d’horaires, séparant de moins en moins, le temps de travail de celui réservé à l’épanouissement personnel.

Pour autant, la focalisation actuelle sur le rôle de la mobilité dans le retour à l’emploi tend à occulter les autres dimensions de l’insertion sociale et de l’accessibilité.
C’est parce que la mobilité à un coût d’autant plus élevé que les revenus sont bas que cele-ci est un obstacle à l’insertion et à l’employabilité.
Pour cela, les politiques qui négligent les aspects multiples de l’accessibilité ont un caractère fortement réducteur. En ce sens, les politiques de transport collectif, contrairement aux dispositifs individualisés et ciblés sur l’insertion professionnelle, ont une vocation beaucoup plus large et permettent de satisfaire des besoins de mobilité qui sont divers. De ce point de vue, on est un peu surpris de voir que cette étude ne prend pas forcément en compte les petites communes dans l’espace français. La réduction des lignes de chemin de fer et même d’autobus, les horaires décalés, empêchent les personnes qui ont été contraintes de loger loin des villes centre de se déplacer. Il reste bien entendu la voiture individuelle mais celle ci a un prix et l’entretien, les pannes fréquentes sur des très anciens véhicules, hypothèquent les budgets de ces ménages.

La voiture élément discriminant

La très intéressante analyse du Le processus de « dépendance locale », qui caractérise des ménages dont les ressources sont en grande partie liées à la proximité est également une référence importante. Ce processus de dépendance locale est à l’origine de résistances plus ou moins fortes vis-à-vis de la mobilité, qu’elle soit quotidienne ou résidentielle.
Clairement, les commerces de proximité, plus chers que les grandes surfaces, sont fréquentés par ceux qui ont du mal à payer le coût de cette proximité mais qui n’ont pas les moyens de la mobilité pour payer moins cher. En matière d’automobilité, ce coût est d’abord financier, car l’achat et l’entretien d’une voiture représentent une charge souvent incompatible avec le budget des ménages pauvres. Mais ce coût peut être d’un autre ordre, familial ou social, lorsque la mobilité amène à renoncer à des ressources centrées sur le territoire local.

Ainsi la mobilité représente un « coût » rarement pris en compte dans les recommandations politiques axées sur l’augmentation de la capacité des pauvres à se déplacer.
Pourtant, ce maintien du lien social représenté par le commerce de proximité est à préserver à tout prix, mais les politiques publiques à courte vue s’en préoccupent assez peu.

L’efficacité des stratégies axées sur la proximité pourrait toutefois être mise en défaut par l’accentuation des tendances actuelles à l’étalement urbain. Dans un contexte de dispersion croissante et inéluctable des emplois, des équipements et des services, il pourrait être de plus en plus difficile aux ménages pauvres de tirer parti de ressources devenant de moins en moins locales. Les commerces et les services ont tendance à se localiser dans des espaces de moins en moins accessibles aux personnes non motorisées, traduisant le passage d’une « distribution spatiale fondée sur la proximité physique à une proximité basée sur l’accessibilité automobile»
Les politiques de transport en commun peinent à compenser le creusement des inégalités d’accessibilité entre ces ménages et ceux qui possèdent une automobile.

En France, cependant, les ménages pauvres vivent encore aujourd’hui pour la plupart dans des secteurs centraux ou péricentraux, et ce malgré les tendances récentes à la périurbanisation de la pauvreté. Cette localisation centrale leur permet de bénéficier du double avantage d’une concentration des ressources et d’une bonne desserte en transports collectifs, dont la remise en cause est peu probable à court ou moyen terme.
Dans les cas britanniques et américains, ce constat est beaucoup moins vrai, dans des contextes où certains quartiers pauvres, même centraux, peuvent être mal dotés en ressources urbaines, voire en transports en commun.

Pour terminer sur la France, on peut éventuellement souhaiter que cette étude soit conduite dans le Midi Languedocien. Le phénomène d’extension de la pauvreté dans les villages rencontre de plein fouet ces problèmes de mobilité. Les ménages à faibles revenus qui ont pu loger dans des villages du Midi, en application d’une règle peu étudiée d’héliotropisme des pauvres illustrée par cette phrase de la chanson d’Aznavour, la misère est moins dure au soleil, se retrouvent victimes de l’absence de mobilité. De plus, originaires d’autres régions, ces ménages ont du mal à bénéficier des réseaux solidaires familiaux, d’autant plus que l’arrivée des «habitants des lotissements», souvent repliés sur eux mêmes ne favorise en aucune façon la mixité sociale.
De fait, on peut retrouver à une petite échelle des phénomènes de type banlieues, bandes de jeunes désœuvrés, squattant les arrêts de bus, à défaut de hall d’immeubles, et voyant dans la moyenne surface de proximité leur eldorado de consommation. Ces phénomènes observés par
les brigades de gendarmerie et signalés par les maires ne suscitent pas vraiment l’intérêt des responsables nationaux. Il est vrai que des émeutes urbaines à Prades sur Vernazobres ont peu de chance de faire l’ouverture du journal de vingt heures…

Bruno Modica