Jules Ferry dans sa lettre aux instituteurs du 17 novembre 1883 avait évoqué la morale comme le corolaire de la laïcité de l’école publique. il en faisait aussi un instrument indispensable pour réaliser l’harmonie sociale.
Les programmes scolaires intégraient cet enseignement, pas seulement comme une simple maxime écrite au tableau et lue rapidement en début de classe mais comme une réflexion à part entière devant servir l’édification des jeunes esprits.
Les auteurs de l’ouvrage citent bien entendu un extrait de cette lettre aux instituteurs dans laquelle Jules Ferry rappelle que l’enseignement moral fait partie de la dignité des instituteurs. Mais la lettre aux instituteurs est même encore plus précise.
Le texte intégral que l’on peut trouver facilement insiste bien sur ce rôle social de l’enseignement de la morale.
«Ce sera dans l’histoire un honneur particulier pour notre corps enseignant d’avoir mérité d’inspirer aux Chambres françaises cette opinion, qu’il y a dans chaque instituteur, dans chaque institutrice, un auxiliaire naturel du progrès moral et social, une personne dont l’influence ne peut manquer en quelque sorte d’élever autour d’elle le niveau des mœurs. Ce rôle est assez beau pour que vous n’éprouviez nul besoin de l’agrandir. D’autres se chargeront plus tard d’achever l’œuvre que vous ébauchez dans l’enfant et d’ajouter à l’enseignement primaire de la morale un complément de culture philosophique ou religieuse. Pour vous, bornez-vous à l’office que la société vous assigne et qui a aussi sa noblesse : poser dans l’âme des enfants les premiers et solides fondements de la simple moralité.»
Les auteurs sont réalisé un classement dans lequel on trouve abordés tous les thèmes de cet enseignement de la morale.
L’école est donc le lieu où se diffusent ces vertus morales, et le maitre objet d’une vénération entretenue comme dans ce poème de Henri Durand.
Aimez le maitre
Petits enfants, au cœur bien né,
Aimez-le tous comme il vous aime,
Ce maitre qui vous a donné
La meilleure part de lui-même.
C’est pour vous que chaque matin,
En hiver, sa lampe s’allume
Tandis que sur la molle plume
Repose le peuple enfantin.
Petits enfants, au cœur bien né,
Aimez-le tous comme il vous aime,
Ce maitre qui vous a donné
La meilleure part de lui-même.
(H. Durand)
C’est aussi un beau tableau d’une France disparue qui se dessine au fil des pages et des illustrations. Les valeurs morales ne sont pas forcément éloignées de celles de la religion. On note par exemple une référence à l’Évangile ou à un bon chrétien. Par contre à aucun moment le Curé n’apparait et pas la moindre église dans les illustrations. Cette France c’est celle du travail et des métiers. Et la morale sert aussi à apprendre les bases du calcul. La sobriété et la tempérance qualités essentielles dans cette France où l’assommoir et la fée verte tuent sont des qualités que l’on acquiert dans des problèmes de calcul.
Exemple
Si celui qui dépense 0 fr. 20 par jour pour son tabac et son petit verre économisait cette somme, il placerait 73 francs par an. Or, un tel placement annuel de 73 francs, de 20 à 60 ans, c’est-à-dire pendant 40 années, produit un capital d’environ 6 000 francs, lequel donnerait à la personne âgée de 60 ans une rente viagère d’environ 500 francs.
De quoi résoudre le problème des retraites non ?
Cette France vertueuse est aussi celle des bataillons scolaires et de ces petits soldats qui iront se faire tuer sur les champs de bataille, c’est aussi ce monde rural où l’épargne est une solutions à toutes les difficultés de la vie.
Mais rien ne seraient possible disent les auteurs de ces préceptes sans les femmes, sages, économes et tout de même fermement tenues. (car elles peuvent négliger leurs enfants en vendant leur lait).
Ces saintes femmes, on les éduque dès leur plus jeune âge
«En soignant sa poupée avec la sollicitude que vous connaissez, en rangeant son trousseau avec tant d’attention, que fait la petite fille, si ce n’est satisfaire le goût qui lui fait deviner sa destinée future ?
(et la mère doit…) profiter des dispositions naturelles de la petite fille pour lui donner le goût des humbles travaux du ménage.»
On rappelle quand même quelques saints principes comme dans cet extrait éloquent:
«La femme est faite pour la vie de famille, pour le foyer domestique dont elle est l’âme et l’ornement. L’administration intérieure de la maison, le gouvernement du ménage lui sont dévolus, et c’est là sa gloire comme sa destinée.
Que deviendraient, je le demande, non seulement le bonheur public, mais aussi l’intérieur des ménages, si les femmes prenaient part aux votes de nos assemblées, si elles occupaient les charges publiques ou siégeaient au tribunal ?
Après les fonctions d’épouse et de mère, un autre titre investit la femme d’une réelle royauté : c’est le titre de maîtresse de maison, disons mieux, de femme de ménage.»
Avec ce florilège on comprend mieux quelles montagnes les suffragettes ont dû soulever !
Enfin, car ce travail a été fait par des enseignants de l’Aude, patrie de Marcellin Albert, le leader du mouvement vignerons de 1907, une large place est consacrée au vin. Si l’alcoolisme par l’eau de vie est fermement combattu, il n’en va pas de même pour le vin de nos vignes, les bons vins de France que l’on mouille parfois sans vergogne comme dans ce problème de calcul où l’on demande à l’élève la quantité d’eau à rajouter dans le tonneau pour faire baisser le prix du vin.
Le phylloxéra est évoqué et de nombreuses maximes évoquent quand même les qualités de cette consommation
«Il ne serait pas raisonnable – et il serait maladroit – dans une lecture sur l’alcoolisme,
de proscrire l’usage modéré du bon vin de France.»
Difficile de mieux conclure et de contredire, lorsque ces lignes sont écrites au cœur du vignoble languedocien, cette sage injonction.
Bruno Modica © Clionautes