L’histoire de la mort est moins « ancienne » que l’histoire politique. Pour comprendre comment elles ont fini par se croiser, il est nécessaire de revenir en arrière et de rappeler le chemin parcouru par chacun de ces champs.
La revue Parlement[s]
Créée en 2003 sous le titre Parlement[s], Histoire et politique, la revue du CHPP change de sous-titre en 2007 pour affirmer sa vocation à couvrir tous les domaines de l’histoire politique. Chaque volume est constitué pour l’essentiel d’un dossier thématique (partie Recherche), composé d’articles originaux soumis à un comité de lecture, qu’ils soient issus d’une journée d’études, commandés par la rédaction ou qu’ils proviennent de propositions spontanées. Quelques varia complètent régulièrement cette partie. La séquence (Sources) approfondit le thème du numéro en offrant au lecteur une sélection de sources écrites commentées et/ou les transcriptions d’entretiens réalisés pour l’occasion. Enfin, une rubrique (Lectures) regroupe les comptes rendus de lecture critiques d’ouvrages récents. Enfin, la revue se termine systématiquement par des résumés des contributions écrits en français et en anglais (suivis de mots-clés).
Cette revue a été publiée successivement par plusieurs éditeurs : Gallimard (n° 0) en 2003, Armand Colin (n° 1 à 6, H-S n° 1 et 2) de 2004 à 2006, Pepper / L’Harmattan (n° 7 à 20, H-S n° 3 à 9) de 2007 à 2013, Classiques Garnier (n° 21 et 22, H-S n° 10) en 2014 et, enfin, les PUR (depuis le n° 23 et le H-S n° 11) à partir de 2016.
La revue Parlement(s) Hors-série n° 16 a pour thème : La mort au Parlement. Ce seizième dossier Hors-série a été coordonné par Anne Carol (Professeure d’histoire contemporaine à l’Université Aix-Marseille, CNRS, TELEMMe). Comme d’habitude, le dossier se compose de deux éléments distincts : une première partie consacrée à la [Recherche] (avec 6 contribution de 6 chercheurs, jeunes ou confirmées) et la seconde à des [Sources] (au nombre également de 4) commentées par 6 enseignants-chercheurs : Pierre Serna, Karine Salomé, Anne Carol et Gaëlle Clavandier, et, enfin, Jonathan Barbier et Bruno Bertherat. De plus, dans ce numéro, nous trouvons à nouveau une partie consacrée à des [Lectures] (au nombre de 5) critiquées par 5 historiens.
En introduction, sous-titrée « Histoire de la mort, histoire politique : nouveaux croisements » (p. 11-16), l’enseignante-chercheuse d’Aix-Marseille et professeure d’histoire contemporaine Anne Carol (CNRS, TELEMMe )présente le dossier consacré aux « La mort au Parlement ». L’histoire de la mort est moins « ancienne » que l’histoire politique. Pour comprendre comment elles ont fini par se croiser, il est nécessaire de revenir en arrière et de rappeler le chemin parcouru par chacun de ces champs. Portée par le courant de l’histoire des mentalités, l’histoire de la mort s’est développée, à partir des années 1960, en France, au confluent de deux champs de l’histoire. Dans le prolongement de la démographie historique, les attitudes collectives face à la mort ont inspiré la curiosité de ceux qui observaient, dans les courbes, le haut niveau de la mortalité d’Ancien régime, la fréquence de ses pics, et analysaient leur impact sur les sensibilités collectives ; de vastes monographies régionales s’emparent alors du sujet. Au même moment, des historiens du culturel et du religieux, soucieux de se rapprocher de l’histoire sociale, interrogeaient les rapports entre l’au-delà et l’ici-bas notamment à la faveur de la déchristianisation, à travers des sources sérielles comme les testaments.
Une première piste, la plus littérale, consiste à explorer les moments où les parlements et les élus sont confrontés directement à la mort, voire à leurs propres morts. Une deuxième piste, très différente, propose d’étudier la façon dont parlements et parlementaires débattent et redéfinissent, dans leur travail législatif, des normes sociales autour de la mort. Enfin, une troisième piste renvoie à l’utilisation des morts pour désigner les ennemis, asseoir une légitimité politique, créer du consensus ou souder une nation en construction ou meurtrie par la guerre. Ces trois approches s’enchevêtrent dans les différents articles de recherche et commentaires de sources qui composent ce hors-série. Les parlements sont, à l’instar d’autres institutions, d’excellentes caisses de résonance des sensibilités face à la mort, en même temps que des producteurs de normes incontournables pour la communauté historienne.
[RECHERCHE]
R 1- Assassiner un député, un crime de lèse-nation et/ou un parricide (1789-1795) ? : (p. 19-35)
Michel BIARD (Professeur à l’Université de Rouen Normandie, GRHis)
À partir de 1789, les incriminations de lèse-majesté et de parricide servent avant tout des effets rhétoriques, comme lors des assassinats de deux membres de la Convention en 1793, Le Peletier et Marat. Il s’agit alors de présenter tout « attentat » contre un député comme un crime contre les « pères du peuple », donc contre la souveraineté nationale. Pourtant, au fil des épurations successives de cette Assemblée, les deux incriminations se font plus discrètes, avant de resurgir au printemps 1795 avec l’assassinat d’un député (Féraud) au sein même de la Convention. Ce viol de la représentation nationale déclenche une sévère répression ainsi qu’un retour au premier plan des deux incriminations, ce dont Louis-Philippe se souviendra en 1830.
R 2- Parlementaire et saint laïque. La mort publique de Carlo Poerio (Italie, 1867) : (p. 37-54)
Pierre-Marie DELPU (Membre scientifique, École des Hautes Études Hispaniques et Ibériques)
L’article étudie la mise en martyr du parlementaire napolitain Carlo Poerio à l’occasion de ses funérailles intervenues en 1867, alors que sa mort interrompt son mandat de député. À partir de la documentation parlementaire, de la littérature d’hommage parue en son honneur et des archives municipales de Naples et de Florence, il s’agit de retracer le processus d’édification qui a conduit à reconnaître son statut de martyr du patriotisme italien. L’orchestration de ses funérailles, les traitements faits de sa dépouille sont révélateurs des constructions sacrales qui accompagnent le culte des grands hommes. Ils posent la question de son statut de saint laïque et du sens donné à cette identification, intégrée à la pédagogie politique du nouvel État italien.
R 3- Protéger le corps des morts : les parlementaires face aux atteintes à l’intégrité du cadavre : (p. 55-73)
Amandine MALIVIN (Docteure en histoire contemporaine)
En 1810, le délit de « violation de sépulture » est intégré au code pénal pour répondre à l’obligation morale de respect dû à la mémoire des morts. Mais son manque de précision se heurte à la réalité et montre son incapacité à assurer la protection du corps des morts. Le délit d’atteinte à l’intégrité du cadavre n’entre dans la loi qu’en 1992. L’examen des débats parlementaires montre les difficultés à faire coïncider loi et exigence morale quand il est question du corps mort.
R 4- Autopsie d’un grand homme. Gambetta, 2 janvier 1883 : (p. 75-94)
Anne CAROL (Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Aix-Marseille, CNRS, TELEMMe)
Léon Gambetta meurt le 31 décembre 1882, au faîte de sa célébrité, à l’issue d’une maladie et d’une agonie fortement médiatisées. Délaissant les funérailles officielles, cet article étudie un moment particulier des séquences mortuaires qui succèdent immédiatement au décès, celui de l’autopsie, qui condense les tensions entre l’homme public et le sujet médical. Les gestes invasifs et les prélèvements pratiqués à cette occasion répondent en effet à des objectifs multiples, mêlant le politique et le scientifique ; ils suscitent des interprétations diverses et inaugurent des destins divergents pour ses dépouilles mortelles, dont le degré de dispersion n’est révélé que tardivement.
R 5- « Croyez-vous que cette date-là ne mérite pas d’être fêtée ? » : Débats parlementaires sur la commémoration des morts de la Grande Guerre et de la victoire du 11 novembre 1918 : (p. 95-111)
Christina THEODOSIOU (Université nationale et capodistrienne d’Athènes)
En France, les bases de la politique commémorative de la Grande Guerre sont jetées durant la période charnière de 1915-1916. Les premières initiatives législatives convergent vers une individualisation de la mort, par l’inscription des noms des victimes dans l’espace public, et vers la mise en valeur du deuil de masse. S’opposant au Sénat au sortir de la guerre, la Chambre cherche à relier la commémoration des morts à la victoire. Le débat parlementaire se réoriente alors vers la commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918 avec l’Allemagne. À partir de 1920, sous l’impulsion notamment des députés anciens combattants, les projets de loi sur le 11 novembre mettent en exergue les sacrifices consentis par tous les artisans de la victoire. Au cours des débats, deux visions de la mort sacrificielle au combat se dégagent alors.
R 6- « Mort aux affameurs ! » La loi Farge de 1946 ou la peine capitale contre le marché noir : (p. 113-132)
Nicolas PICARD (Docteur en histoire contemporaine, Centre d’histoire du XIXe siècle)
S’appuyant sur les débats parlementaires et sur les procès-verbaux de la Commission du ravitaillement, cet article retrace la destinée du projet de loi proposé en 1946 par le ministre Yves Farge afin d’appliquer la peine de mort à certains trafiquants au marché noir, accusés d’attenter à la « santé de la nation ». Cette loi est votée dans un certain consensus, les discussions portant principalement sur l’étendue à donner à la répression.
[SOURCES]
S 1- Comment peindre l’assassinat du député dans l’Assemblée nationale et la présentation de sa tête au président : (p. 135-143)
Pierre SERNA (Professeur d’histoire moderne à l’Université Paris Panthéon-Sorbonne, IHMC)
Immédiatement après la mise sur le trône de Louis-Philippe, son ministre de l’Intérieur, Guizot songe à illustrer la liberté parlementaire et le courage des représentants par la construction d’un triptyque afin de décorer le Palais Bourbon et inspirer les députés dans leurs travaux. Au centre, figure le roi prêtant serment à la constitution. À droite, la scène choisie montre Mirabeau refusant de se plier aux ordres de dispersion du Roi portés par le marquis de Dreux-Brézé : les constituants font preuve d’esprit de résistance contre le despotisme royal. À gauche, doit figurer une toile qui décrit la violence populaire dans la décollation d’un député. Là encore, le tableau est à la gloire des représentants dont le président résiste cette fois à l’arbitraire de la foule déchaînée. 1795 ou la mort de Féraud et la fin du peuple politique. 1830 ou la renaissance picturale de Féraud et la vitalité retrouvée du peuple. Dans les deux cas, le réel et l’art se font face avec en trait d’union la mort tragique et sanglante du parlementaire comme inclusion des deux manifestations d’une vérité à reconstruire en faits et en images.
S 2- Le 9 décembre 1893, attentat anarchiste à la Chambre des députés : (p. 145-152)
Karine SALOME (Chercheuse associée Centre d’histoire du XIXe siècle, Université Paris Panthéon-Sorbonne)
Le 9 décembre 1893, la mort s’invite au Parlement. Vers 16 heures, les députés de l’Assemblée nationale examinent la validité de l’élection de Léon Mirman dans la première circonscription de Reims. L’élu de la Marne se voit reprocher de ne pas avoir rempli complètement ses obligations militaires. Alors qu’il vient de terminer son discours et descend de la tribune sous les applaudissements de la gauche, une forte détonation se fait entendre. Une lueur vive apparaît au niveau des tribunes de la deuxième galerie ; une grêle de projectiles s’abat et frappe, de manière aléatoire, députés, huissiers et spectateurs.
L’attentat, revendiqué dès le lendemain par Auguste Vaillant, s’inscrit dans le cadre de cette « épidémie terroriste », selon les termes de Jean Maitron, qui touche les pays européens et américains, et émane des mouvements anarchistes. Dans les années 1870, l’idée perce selon laquelle les partisans de l’anarchisme doivent mener une stratégie offensive contre l’État. La bombe de Vaillant entraîne l’aggravation de la répression relative à la fabrication d’engins explosifs et à la provocation directe à l’accomplissement de certains crimes et leur apologie. Elle inaugure une véritable « chasse à l’anarchiste » et conduit, comme dans bien d’autres pays, à la mise en place des « lois scélérates » qui criminalisent toute expression de la pensée anarchiste et occultent sa nature politique.
S 3- Le devenir des cendres. Extraits de la discussion parlementaire du 22 juin 2006 : (p. 153-167)
Anne CAROL (Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Aix-Marseille, CNRS, TELEMMe) et Gaëlle CLAVANDIER (MCF HDR de sociologie à l’Université Jean-Monnet Saint-Étienne, Centre Max Weber)
La crémation moderne a fait l’objet de nombreuses discussions depuis la Révolution française. De la philosophie à sa mise en œuvre, il a fallu un siècle pour que « l’incinération » soit intégrée dans le droit français et fasse l’objet de dispositions réglementaires et pratiques, puis encore un siècle pour qu’elle devienne une modalité funéraire à part entière, générant une diversité de pratiques peu normées socialement. C’est du constat de cette diversité qu’est apparue la nécessité, pour le législateur, de produire des normes juridiques appuyant ou encadrant des normes sociales en cours d’élaboration. La source proposée à l’étude est composée d’extraits de la discussion du 22 juin 2006, au Sénat, en séance publique, discussion sur le devenir des cendres après crémation. Cette discussion est au cœur d’une séquence parlementaire assez longue, qui ne s’achève que le 19 décembre 2008. L’étude de source des deux chercheuses se centre sur le chapitre trois de la proposition de loi à propos « du statut et de la destination des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation ».
S 4- Le masque mortuaire de Georges Mandel. Histoire d’une reconquête mémorielle (1944-2014) : (p. 169-181)
Jonathan BARBIER (Docteur en histoire contemporaine, Laboratoire des sciences sociales du politique) et Bruno BERTHERAT (Maître de conférences en histoire contemporaine à Avignon Université, Centre Norbert Elias)
Le masque mortuaire de Georges Mandel est sans doute la trace la plus forte, quoique longtemps ignorée, d’une reconquête mémorielle qui prend sa source au moment de sa mort, le 7 juillet 1944, et dont les échos se font entendre jusqu’à nos jours, avec sa réception par l’Assemblée nationale, 70 ans après, en 2014.
[LECTURES]
L 1- Hannah Malone, Architecture, Death and Nationhood.Monumental Cemeteries of Nineteenth-Century Italy, Londres-New York, Routledge, 2017, 262 p. par Régis BERTRAND – Aix-Marseille Universite, CNRS, UMR TELEMMe (p. 187-191)
L’ouvrage d’Hannah Mallone propose une étude globale d’un des aspects les plus remarquables du patrimoine italien hérité du XIXe siècle, les « cimetières monumentaux », essentiellement situés dans des villes d’Italie du Nord et centrale, encore qu’il en existe à Naples, Messine et Cagliari. L’auteur les définit par la combinaison d’initiatives publiques et privées, trait que l’on retrouve dans les autres cimetières occidentaux mais qui est ici caractérisé par l’ampleur et le coût des réalisations publiques.
L’auteur rappelle que certains États italiens ont été, avec la France, à la tête du combat du XVIIIe siècle contre l’inhumation dans les églises et ont prôné et réalisé le transfert des cimetières hors des enceintes. Or ces premiers cimetières extra-muros étaient initialement fondés sur le principe de l’inhumation de tous les corps, en caveaux communs. Ces onéreux aménagements publics, d’emblée abandonnés dans le cimetière français, ont au contraire été réalisés dans les États italiens. Là semble se situer une différence essentielle entre les deux pays. La législation napoléonienne des sépultures a été appliquée à l’Italie par l’édit de Saint-Cloud (1804), calqué sur le décret français du 24 prairial an XII, prohibant l’inhumation dans les lieux de culte et les enceintes mais tolérant la pose de marques d’identité sur les fosses des nouveaux cimetières ; au cours des années suivantes, des tombeaux seront autorisés.
Les tensions entre l’Église et l’État sont manifestes dans le processus de sécularisation (l’expression de campo santo cède la place à cimitero). La législation de 1865, étendue à la Vénétie en 1866 et à Rome en 1870, ajoute à l’espace bénit des aires destinées aux non-catholiques. L’Italie est le premier pays à autoriser la crémation et à construire, en 1876, à Milan, le premier crematorium d’Europe ; un nouvel édifice s’ajoute ainsi à ceux du monumentàle, adoptant en général une allure néoclassique. Sa cheminée reçoit l’habillage d’une colonne ou d’un phare.
L’ouvrage est entièrement documenté de première main par d’importantes recherches d’archives et d’amples lectures des sources imprimées et de la bibliographie. Hannah Mallone souligne que la monumentalité des édifices publics de ces cimetières italiens les singularise par rapport à la formule du cimetière-parc qui a été adoptée (avec de très importantes variantes) ailleurs en Europe – l’Italie tend cependant à s’y rallier dans les extensions de la fin du siècle. Ce livre achevé, l’originalité italienne paraît encore plus forte.
L 2- Michel Biard et Claire Maingon, La souffrance et la gloire. Le culte du martyr de la Révolution à Verdun, Paris, Vendémiaire, 2018, 209 p. par Anne de MATHAN – Université de Caen, CRBC (p. 191-193)
Michel Biard, professeur d’histoire de la Révolution française et du monde moderne à l’Université de Rouen, et Claire Maingon, maître de conférences en histoire de l’art contemporain dans ce même établissement, présentent une étude des processus de glorification du courage patriotique des soldats, mais aussi à encourager l’effort de guerre et à œuvrer à l’éducation civique de la population en confrontant deux périodes d’affrontements militaires a priori dissemblables : 1789/1799 et 1914/1918.
Le plan de l’ouvrage s’organise en neuf parties à la progression thématique logique, du conditionnement des citoyens en vue de l’acceptation du sacrifice ultime (chapitre 1) à la collecte des actes héroïques que les sources disent recenser sur les champs de bataille (chapitre 2). Le chapitre 3 annonce l’exploration de l’écart générateur de désillusions entre la propagande médiatisant de hauts faits guerriers et le constat clinique des blessures et des décès. Le chapitre 4 livre une histoire de la prise en charge des victimes quoique sans pesée globale du nombre de bénéficiaires, de même que le chapitre 5 décrit l’esthétique des cérémonies publiques célébrant les martyrs de la République, même si ceux-ci ne sont pas morts sur les champs de bataille, ou des victoires militaires en présence parfois des blessés survivants, tandis que le chapitre 6 relève les variations dans la propension à montrer les horreurs de la guerre dans le débat politique et les arts figuratifs (peinture et photographie). Les trois derniers chapitres (7, 8 et 9) évoquent les mécanismes d’assistance mis en place afin de secourir les victimes de guerre et leurs familles, la place qui leur est faite dans les arts de la plume (littérature et théâtre), avant un ultime retour sur la chirurgie militaire, le recours à des prothèses et la destinée de ces êtres rendus difformes par la guerre.
Cet ouvrage composé à deux mains propose d’utiles perspective sur les mises en scènes de la violence militaire, et ce n’est pas là le moindre de ses mérites. Cet ouvrage contribue à une utile réflexion sur les réalités de combats également monstrueux mais aux enjeux aussi différents que furent la défense de la première République à la fin du XVIIIe siècle et l’absurde choc des nationalismes européens au début du XXe siècle.
L 3- Fulvio Conti, Italia immaginata. Sentimenti, memorie e politica fra Otto e Novecento, Pacini editore, Pisa, 2018, 235 p. par Catherine BRICE – Université Paris-Est Créteil, CRHEC (p. 193-197)
Après le tournant culturaliste des travaux sur le Risorgimento (imprimé, dès 2000) par Alberto Banti, les fruits de cette histoire renouvelée constituent un pan important et intéressant de la production italienne. Nombre de travaux s’intéressent aux passions, aux sentiments, aux émotions qui ont porté les acteurs de l’Unification de la péninsule. Fulvio Conti, spécialiste reconnu de l’histoire de la franc-maçonnerie à laquelle il a consacré des ouvrages qui font date, se tourne, à son tour, vers des problématiques mêlant histoire politique, histoire du genre, histoire des émotions et des représentations.
Il propose dans ce livre une série d’articles, pour la plupart, déjà publiés dans des revues, des actes de colloque et donc éparpillés. Ce livre est aussi un manifeste pour une approche de l’histoire contemporaine, entre une histoire politique classique – ici parfaitement maîtrisée – et un renouvellement qui emprunte à Banti, mais s’en démarque aussi largement. Après une efficace introduction, l’ouvrage est divisé en sept parties dont les titres disent déjà l’approche adoptée. Ce sont donc bien tous les thèmes chers à une histoire renouvelée du Risorgimento que propose Fulvio Conti. Ce qui rend cet ouvrage particulièrement intéressant, outre le style limpide, c’est son caractère engagé. Tous les chapitres s’attachent à démonter/démontrer une hypothèse. Fulvio Conti aborde ensuite un thème qui, dans la lignée des travaux de Banti, a retenu l’attention des historiens, soit le nœud Famille/Nation. Ce pas de côté proposé par Fulvio Conti qui va vérifier des hypothèses et souvent les enrichir, on le retrouverait dans ses pages consacrées à la religion de la patrie et au culte des martyrs de la liberté.
Cet ouvrage n’est pas seulement une synthèse des acquis d’une nouvelle histoire de l’Italie, empreinte de culturalisme, entre XIXe et XXe siècle. C’est un manifeste, à la fois critique et constructif, de ce qu’on pourrait appeler une histoire culturelle du politique. Sans être inutilement clivant, c’est un travail dans lequel on sent le plaisir pris par l’auteur à creuser des hypothèses parfois insuffisamment explorées.
L 4- Michel Biard, La liberté ou la mort. Mourir en député (1792-1795), Paris, Tallandier, 2015, 352 p. par Jacques GUILHAUMOU – CNRS, UMR TELEMMe (p. 197-199)
Michel Biard s’intéresse au corpus des documents sur des députés de la Convention qui, de janvier 1793 à octobre 1795, périssent de morts non naturelles dans le contexte d’intenses luttes politiques, des Girondins en 1793 aux Montagnards qualifiés de « martyrs de Prairial » en 1795. Il établit d’abord une liste de ces députés morts, de la manière la plus fiable possible. Il est alors possible de mesurer dans le temps le traumatisme que subit la Convention, d’une vague de disparitions à l’autre.
Cependant, au moment éthique revendiqué par les députés accusés répond le propos des députés accusateurs faisant appel au bien commun, et à ce titre, inscrivant leur jugement et leur exécution dans l’indiscutable. Une telle spécificité de la Révolution française se précise dans la comparaison avec les révolutions du XIXe siècle, où il est bien rare de trouver un moment où meurt un député de façon non naturelle.
L 5- Silvia Cavicchioli, Luigi Provero (ed.), Public uses of human remains and relics in history, Londres-New York, Routledge, 2020, 280 p. par Tristan PORTIER – Aix-Marseille Université, UMR TELEMMe (p. 199-201)
L’espace public dans l’Occident est bâti sur des restes humains. Tel est le constat que dressent les chercheurs du projet « reliques religieuses et séculières et restes humains : symboles d’identité collective, instruments de pouvoir, héritage culturel et mémoire scientifique » coordonné par Silvia Cavicchioli à partir de 2016. L’ouvrage qui en résulte, édité par Silvia Cavicchioli et Luigi Provero, souligne le rôle joué par le culte des reliques et les espaces funéraires dans la constitution de l’espace public et des dynamiques de pouvoir en Occident, de la victoire progressive du culte des reliques sur la législation conservatrice des empereurs arianistes au IVe siècle, jusqu’aux cultes séculiers des martyrs du Risorgimento et du fascisme mussolinien.
L’ouvrage illustre la diversité de ces us en quatre parties, dont chacune a une cohérence chronologique interne : normes et praxis dans l’Antiquité tardive ; cultes, circulations et conflits autour des reliques ; espaces collectifs de la mort ; usages publics de restes humains entre la politique, la religion et la science. La conclusion de cet ouvrage, une glose sur l’adhésion de la communauté catholique du XXIe siècle au culte des corps incorruptibles au détriment des reconstitutions technologiques, rompt avec l’historicité voulue de l’ouvrage, tente de donner des éléments de synthèse et rappelle la connivence des instances politiques avec les pratiques funéraires et les biosciences, mais le point de vue anthropologique peine à apporter un point d’orgue satisfaisant à une réflexion avant tout historique, qui mériterait de mener vers une somme sur l’histoire politique des corps et des reliques.
© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)