Le 15 juillet 1927, à Vincennes, chez Nestor Makhno et Galina Kouzmenko et leur petite fille âgée de six ans Yelena (née dans un camp de détention en Pologne) se retrouvent huit anarchistes…

« La makhnovchtchina n’est pas l’anarchisme. L’armée makhnoviste n’est pas une armée anarchiste, elle n’est pas formée par des anarchistes. L’idéal anarchiste de bonheur et d’égalité générale ne peut être atteint à travers l’effort d’une armée, quelle qu’elle soit, même si elle était formée exclusivement par des anarchistes. L’armée révolutionnaire, dans le meilleur des cas, pourrait servir à la destruction du vieux régime abhorré ; pour le travail constructif, l’édification et la création, n’importe quelle armée, qui, logiquement, ne peut s’appuyer que sur la force et le commandement, serait complètement impuissante et même néfaste. Pour que la société anarchiste devienne possible, il est nécessaire que les ouvriers eux-mêmes dans les usines et les entreprises, les paysans eux-mêmes, dans leurs pays et leurs villages, se mettent à la construction de la société anti-autoritaire, n’attendant de nulle part des décrets-lois. Ni les armées anarchistes, ni les héros isolés, ni les groupes, ni la Confédération anarchiste ne créeront une vie libre pour les ouvriers et les paysans. Seuls les travailleurs eux-mêmes, par des efforts conscients, pourront construire leur bien-être, sans État ni seigneurs. »

La Voie vers la Liberté, organe de la Makhnovchtchina. Piotr Archinov, La makhanovchtchina : l’insurrection révolutionnaire en Ukraine de 1918 à 1921, Éditions Spartacus, 2000,4e de couverture.

    Le 15 juillet 1927, à Vincennes, chez Nestor Makhno et Galina Kouzmenko et leur petite fille âgée de six ans Yelena (née dans un camp de détention en Pologne) se retrouvent huit anarchistes. Nestor Makhno, communiste libertaire ukrainien a été le fondateur de l’armée insurrectionnelle ukrainienne de 1917 à 1921 (la « Makhnovchtchina »). Fin cavalier, personnage charismatique et jusqu’au-boutiste, il l’a dirigé avec fougue en prenant part aux combats. Sa femme Galina était institutrice et en charge de l’éducation dans cette armée. Autour d’eux, on retrouve des personnalités bien connues du milieu anarchiste de l’époque. Yacov Doubinsky, rédacteur de la revue yiddish « Notre Vie ». Il a combattu à leurs côtés au sein de la Makhnovchtchina. Buenaventura Durruti, une des figures centrales de l’anarchisme espagnol est bien entendu un des héros principaux de cette bande-dessinée. On retrouve également Émilienne Morin, jeune militante française et très active dans les jeunesses syndicalistes. Louis Lecoin, anarchiste français bien connu est un autre des convives. Pacifiste, il a passé plusieurs années de sa vie en prison pour ses idéaux, notamment lors de la Première Guerre mondiale. Francisco Ascaso, compagnon de lutte et d’exil de Durruti, militant anarcho-syndicaliste espagnol et membre de la Confederacion Nacional del Trabajo (CNT), est également présent. Enfin, on retrouve Berthe Faber, militante anarchiste française et responsable de la Librairie Internationale Anarchiste à Paris. La rencontre est l’occasion d’une discussion passionnante et passionnée sur l’anarchie et l’émancipation des peuples entre ces figures majeures du mouvement anarchiste de la première moitié du XXe siècle.

    Dans la première partie, leur discussion a essentiellement porté sur l’engagement politique de Makhno et Durruti et leur cheminement vers l’anarchisme. Dans cette seconde partie, ils racontent leurs réalisations et leurs aventures militantes. Cette fiction historique, très fine et exaltante est une réalisation familiale entre Bruno Loth[1], auteur bordelais passionné d’Histoire, au scénario et aux dessins et son fils Corentin Loth pour la mise en couleurs.

Deuxième partie. Partout combattre l’injustice

« Ceux qui se sont sagement limités à ce qui leur paraissait possible, n’ont jamais avancé d’un pas. » Mikhaïl Bakounine (1814-1876).

    On retrouve tout naturellement les personnages où nous les avions laissés ; dans le salon de Nestor et Galina. Le rythme est nettement plus soutenu dans ce deuxième tome. Ainsi, le récit toujours aussi pédagogique, soigné et travaillé emmène les compagnons de Mahkno et Durruti et à travers les yeux de ces acteurs, le lecteur ou la lectrice, dans les luttes politiques et militaires de la Première Guerre mondiale (par les théâtres d’opérations ukrainien et russe) à la guerre civile espagnole. L’ouvrage s’ouvre ainsi avec la carte des opérations de la révolution makhnoviste. Elle est splendide et nous plonge d’entrée dans la tentative avortée de la part de Mahkno et les siens de fonder une nation ukrainienne libertaire, égalitaire et lavée du joug de la tyrannie. On se prend à rêver au fil des pages à la réussite de cette dernière mais l’historien avisé connaît l’issue tragique de cette aventure ukrainienne face à la terrible répression bolchévique et des troupes austro-allemandes durant le premier conflit mondial. La violence et les exactions dont font preuve les forces en présence sont parfaitement restituées par les dessins toujours en rondeur, splendides et colorisés par Corentin Loth. Avec Durruti, on embarque également pour l’Amérique latine et les combats qu’il a mené à Cuba et au Mexique contre l’injustice, les puissants et pour exproprier le Capital !

    Cet excellent album (quelques planches sont consultables ici) nous permet d’entrer dans une tranche de l’histoire ouvrière et révolutionnaire européenne et des luttes sociales du début du XXe siècle, tranche absente des programmes scolaires. Les deux albums trouveront une place idéale dans tous les CDI et bibliothèques qui se respectent tant ils sont salutaires et bien réalisés. Dans un contexte actuel de pandémie et les urgences politiques, sociales et environnementales que cette dernière a exacerbée, cette plongée dans l’Histoire est salvatrice et interroge sur la possibilité de voies alternatives au capitalisme débridé dans laquelle le monde s’est engouffré et aux ravages sur tous les plans qui lui sont liés.

Présentation de l’éditeur

« Ce second volume traite des opérations d’envergures visant à mettre en pratique leurs idéaux. Makhno raconte ses combats menés à la tête d’une armée insurrectionnelle, pour établir une zone révolutionnaire libertaire puis pour la défendre face aux impérialistes et aux bolcheviks.

De son côté, Durruti détaille les actions qu’il a commis dans l’espoir d’affaiblir le pouvoir en place et le patronat, tant en Espagne et en Amérique Centrale.

Une suite et fin aussi passionnante qu’instructive sur un pan de l’Histoire européenne souvent oublié… »

©Rémi BURLOT pour Les Clionautes

[1]Bruno Loth, né en 1960, est un auteur de bande dessinée français. Avant de devenir scénariste et dessinateur, Bruno Loth a travaillé dans la publicité. Il s’est lancé dans la bande dessinée avec la série Ermo qu’il a lui-même publiée, faute d’éditeurs intéressés par son projet en fondant sa propre maison d’édition : Libre d’images.

Ses bandes dessinées comme Ermo, Apprenti ou Ouvrier racontent à travers des personnages souvent fictifs l’histoire d’un des membres de sa famille lors d’évènements qui ont marqué l’Histoire comme la Guerre d’Espagne ou encore la Seconde Guerre mondiale.

En 2017, il publie aux éditions La Boîte à Bulles Les Fantômes de Ermo (tome 1) ouvrage de fiction ayant pour cadre la révolution sociale espagnole de 1936. Un compte-rendu de celui-ci a été réalisé par Frédéric Stevenot pour la Cliothèque et consultable ici. En 2019, père et fils ont également réalisé un album intitulé Guernica dont la recension a été faite par Marie-Aline Tresson.