L’histoire de la royauté ne peut s’inscrire que dans la longue durée. Ainsi, du début du Moyen-Age à Louis XIV, l’Etat ne cesse de s’identifier à la personne physique du prince. Cette incarnation de l’image du roi auprès de son peuple explique, en partie, le traumatisme causé par la disparation de celui-ci.

L’ouvrage présenté ici recense pas moins de onze études où sont abordées de nombreuses problématiques d’une histoire politique et culturelle renouvelée. Comme le précisent les auteurs, Joël Cornette et Anne-Marie Helvétius, tous deux professeurs à l’université de Paris 8 Vincennes Saint-Denis, le corps du prince revêt une double enveloppe : dans sa dimension de simple corps tout d’abord puis, dans son corps souverain. Depuis de plusieurs années, les découvertes archéologiques, les apports de la culture matérielle précisent plus finement encore le cérémonial complexe des funérailles royales et les apparats souvent spectaculaires qui les accompagnent et leur donnent sens. La médiatisation de la mort n’est pas absente, bien au contraire, à travers la circulation de l’information par des textes, mais aussi par l’image et la caricature. Enfin, la commémoration du souverain après sa mort reste tout autant, si ce n’est plus, l’objet d’une attention particulière.

Un sujet délaissé mais de nouveau exploré

C’est depuis la fin des années 1970, dans le sillage de l’histoire dite des mentalités, avec les travaux de Philippe Ariès Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Age à nos jours, Paris, Seuil, 1975. _, L’Homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977., que les études sur la mort se développent. Parallèlement à cela, d’autres historiens s’intéressent à l’organisation spatiale des cimetières Jean-Claude Schmitt, Les Revenants. Les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris, Gallimard, 1994.. Mais la question de la mort des grands, rois, princes, continuent de passionner les médiévistes bien que boudée par les historiens modernistes qui n’y voyaient peut-être pas forcément un sujet d’étude. Quelques historiens relevèrent cependant le défi, comme Ernst Kantorowicz (1893 – 1963) Ernst Kantorowicz, The King’s Two bodies : A Study in Mediaeval Political Thelogy, 1957, Les Deux corps du roi : essai sur la théologie politique au Moyen Age, Paris, Gallimard, 1989. et son disciple, Ralph Giesey (1923 – 2011). Dans cette étude, l’historien montre que les deux corps du roi apparaissent clairement au moment des funérailles du corps mortel du souverain qui vient de décéder, dans la mesure où une effigie (corpus mysticum) du roi est présente de 1422 (funérailles de Charles VI) à 1610. Dès lors, et jusqu’aux funérailles d’Henri IV, dès la mort du roi, un mannequin est fabriqué, avec une tête de cire, yeux ouverts, comme s’il était encore vivant, de la façon la plus crédible qui soit. Tout un rituel est ainsi organisé autour de lui : repas, par exemple, servis aux heures habituelles. Au XVIIe siècle, alors que la Réforme catholique triomphe, est considéré comme simulacre cette manifestation déplacée perçue, dès lors, comme un culte païen. Giesey soutenait que cette effigie, revêtue des habits royaux, représentait alors l’immortalité du souverain décédé, sa partie immortelle en quelque sorte. Cette thèse est cependant, de nos jours, réétudiée.

Joël Cornette et Anne-Marie Helvétius insistent donc sur l’identification de le personne du roi à la constitution même de l’Etat. Ce qui permet de mesurer à quel point sa disparition est source de traumatisme et de violences : il en est ainsi des périodes de minorité comme au début des guerres de Religion avec la disparation soudaine d’Henri II en 1559, les révoltes aristocratiques durant la Régence de Marie de Médicis, la Fronde au temps de Louis XIV enfant. Ou bien encore le refus paysan de payer la taille lors de la disparation de Louis XIII en 1643 car beaucoup pensaient que cet impôt était étroitement lié aux besoins du monarque défunt. Le prince n’est pas un personnage comme les autres disait Bossuet. La mort provoque donc rupture, temps d’incertitude, vacance du pouvoir et ambitions personnelles. Le cérémonial des funérailles représente donc un moment clef entre le roi défunt et son successeur. En effet, cette représentation publique assure la pérennité et la survie du pouvoir. Cet entre-deux reste donc, pour les auteurs, une temporalité événementielle exceptionnelle. Il s’agit d’une histoire lestée de multiples implications et enjeux, une histoire pleinement, totalement politique aussi, puisque c’est l’essence et le fonctionnement même du pouvoir qui se jouent au moment de la mort parfois tragique de celui qui incarne et exerce la souverainement.

Le livre s’articule autour de trois parties. La première, intitulée «Aux origines» nous rappelle que le temps de la royauté ne peut s’inscrire que dans la durée. En France, durant les quatorze siècles qu’a durée la monarchie, trouve ses fondements dans le très haut Moyen Age, époque où les sources restent rares sujettes à caution. Cependant, les recherches archéologiques peuvent suppléer l’absence de textes, comme la tombe du roi Raewald d’Esst-Anglie inhumé au VIIè siècle. Ce chapitre révèle au final le caractère exceptionnel que revêtait, déjà, la mort des rois aux premiers siècles du Moyen Age. Le lien indissociable que la royauté entretien avec le sacré démontre que, dès l’origine, la mort d’un roi, quelque soit le contexte, représente un phénomène hors-norme.

La seconde partie intitulée «Questionnements» vise à éclairer les différents aspects particuliers de la mort des rois à partir de cinq études regroupées en trois thèmes : le roi assassiné, les pratiques funéraires, la régence. Deux chapitres sont consacrés aux rois assassinés dans des contextes très troublés. Entre pamphlets, polémiques, comment les contemporains ont-ils réagi à la nouvelle de la mort tragique d’Henri III ? Comment s’est faite l’annonce de la disparation d’Henri IV ? A t-elle été contrôlée afin d’assurer la stabilité politique du royaume ? Les deux autres chapitres analysent la question des pratiques funéraires, depuis la belle mort de Charles V à l’embaument de Catherine de Médicis.

Enfin, la dernière partie étudie le modèle Louis XIV, de nouvelles perspectives éclairent différents aspects de la disparation du Roi Soleil : une mort spectacle, assumée comme telle par le souverain lui-même, des funérailles grandioses, les dernières de l’Ancien Régime, une mort anticipée aussi, par des pamphlets et des images fabriquées par les puissances étrangères, déconstruction méthodique de la gloire.

Bertrand Lamon
pour les Clionautes