Histoire globale, géohistoire, l’Atlantique comme objet d’histoire est né aux États-Unis dans les années 1990. Eric Schnakenbourg, professeur d’histoire moderne à l’université de Nantes et directeur du Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique, fait le choix d’une étude sur trois siècles quand Paul Butel proposait en 1997 une Histoire de l’Atlantique – De l’Antiquité à nos jours tandis que Pascal Briost publiait L’Atlantique au XVIIIe siècle en 2007.

L’auteur a choisi comme image de couverture un symbole de la mondialisation atlantique : le portrait de l’envoyé du roi du Kongo auprès de la compagnie néerlandaise des Indes Occidentales, réalisé aux pays-Bas au milieu du XVIIe siècle. C’est un exemple parlant de la complexité des échanges politiques, économique et culturel que veut décrire l’auteur, la dimension humaine de cette mondialisation. Il cherche à montrer ce qui a façonné les activités, les perceptions des populations tant amérindiennes, qu’africaines, créoles et européennes. Ce monde de déplacements volontaires ou contraints d’un bord à l’autre de l’océan est une intégration progressive sur trois siècles des zones côtières à une économie monde.

Un ouvrage de base pour les étudiants en histoire qui réunit de nombreuses informations et propose une synthèse aussi utile qu’agréable à lire.

La formation d’un territoire atlantique

Il faut ici partir non de 1492 mais des navigations portugaises le long des côtes africaines. Eric Schnakenbourg choisit donc la prise de Ceuta le 14 août 1415 comme date de naissance de son monde atlantique. Il retrace les explorations maritimes et leurs premières conséquences économiques comme la production de sucre de canne à Madère, qui découlent d’une volonté politique portugaise, de l’audace des investisseurs génois et de l’utilisation d’une main-d’œuvre servile.

La construction en 1482 du château d’Elmina sur le Golfe de Guinée inscrit dans l’espace le système des comptoirs d’autant qu’Elmina deviendra un important centre de la traite négrière.

Avant même l’entrée en scène de Christophe Colomb, les Portugais, rois et marins audacieux, les marchands génois et vénitiens ont fait naître un littoral atlantique.
L’auteur rappel ensuite l’aventure américaine de 1492 Carte des voyages de C. Colomb 1492-1504 p. 24 :

: son contexte politique et scientifique. Rapidement émerge un littoral américain qui, obstacle à la route vers le Chine, favorise les explorations du sud au nord : de Balboa à l’exploration de l’espace Antillais, de Cabral à John Cabot, des pêcheurs bretons et basques à Terre-Neuve à Jacques Cartier et aux aventuriers britanniques à la recherche du passage du Nord-Ouest.

Après les voyages, très vite, car les puissances européennes sont parties prenantes des expéditions, se met en place une appropriation des terres américaines : symboles, réalités et justifications légales (bulle Inter Caetera 1493, controverse de Valladolid).

Le peu de ressources des Antilles amène à la conquête de l’Amérique du Sud à la recherche de l’or ; quant au nord Espagnols, anglais, Français et Néerlandais s’implantent sur les côtes pour le commerce des fourrures (Nouvelle-France) ou la recherche d’un refuge religieux (May Flower).

Un paragraphe est consacré à la toponymie des premières cartes : Hispaniola, Indes occidentales, nommer un lieu est aussi une forme d’appropriation.

Troisième personnage de cet espace, l’océan lui-même à affronter, car la navigation y est souvent difficilecarte des vents et des courants p. 51 malgré les progrès des navires, de plus en plus gros, et des instruments. La multiplication des traversées a aussi permis des progrès en matière de cartographie depuis les premières cartes portugaises de la côte africaine et la première carte de la façade américaine de Cabot en 1544.

Il faut attendre le XIXe siècle pour que l’Atlantique soir perçu comme un seul océan de l’Arctique à l’Antarctique.

Colonies et empires

Ce second chapitre est consacré à l’organisation des terres conquises et aux relations intercontinentales. Les colonies sont une réalité complexe : localisés et ponctuels les comptoirs sont surtout situés sur la côte africaine ; la colonie est un lieu où sont installés des Européens et donc signe d’un rapport de domination.

L’auteur décrit des réalités coloniales différentes selon la puissance dominante, en matière d’administration, de gouvernement, de régime juridique et de relation plus ou moins étroite avec la métropole. A partir du XVIIe siècle la notion d’espace à exploiter économiquement au profit de la métropole induit l’émergence d’une relation impériale notamment avec le développement du contrôle par les monopoles commerciaux. Outre les empires Espagnol, Anglais, Français, une place est accordée aux petites puissances coloniales : Pays-Bas, Suède, Danemark : de quelques petits comptoirs éphémères à de petites communautés implantées par des initiatives individuelles.

Comment gouverner les colonies ?

Deux modèles existent : la compagnie de commercePar exemple : Compagnie des Cent associés au Canada, Compagnie allemande des Welser au Venezuela, Compagnie londonienne de Virginie dont l’auteur décrit le mécanisme à travers plusieurs exemples. L’autre modèle est celui de l’administration ibérique avec la Casa de Contractacion qui contrôle l’immigration et le commerce alors que le Conseil des Indes est chargé de l’administration royale des colonies. Les Portugais utilisent un système plus féodal des capitaines donataires. Les administrations française et anglaiseSchémas p. 887 et 93 se développent face aux compagnies selon des modalités copiées sue les métropoles comme le montre la description de leur fonctionnement.

Quelle que soit la formule les relations entre le pouvoir central et les colonies sont souvent rendues difficiles par l’éloignement, l’insécurité des mers, les mouvements de révoltes dans les colonies (protestations contre les taxes), contestations économiques qui se colorent de politique au XVIIIe siècle. Une autre difficulté vient du mauvais fonctionnement des administrations coloniales dues au délai au moins six mois pour obtenir la réponse à une question à la métropole, des administrateurs perçus comme des étrangers par les Créoles, corruption.

Rivalités, confrontations et diplomatie

Si le Traité de Tordesillas semblait avoir réglé la répartition des terres nouvelles en 1494, les rivalités ont très vite remis en question le partage ibérique, contesté par les Français, les Anglais puis les Néerlandais qui refusent de reconnaître le droit du Pape d’accorder aux Espagnols et au Portugais le contrôle de l’Atlantique et de ses côtes.

L’auteur évoque notamment la présence française aux Antilles (pillage de La Havane en 1555) mais aussi au Brésil et en Floride dès le XVIe siècle. Dans la pratique comme dans les débats diplomatiques l’océan est séparé en deux zones : la partie orientale jusqu’au méridien d’El Hierro (Canaries) où s’appliquent les traités européens et au-delà où règne la loi du plus fort, notamment celle des flibustiers et corsaires, et les accommodements locaux.

Il faut noter qu’à partir du XVIIe siècle les querelles européennes s’étendent aux colonies comme la guerre de la ligue d’Augsbourg, ce que l’auteur nomme les déclinaisons atlantiques des guerres européennes. On peut citer les escarmouches anglo-hollandaises sur les côtes africaines, les raids français sur New-York et anglais contre Montréal, querelles à Saint-Domingue. Les tensions croissantes lors de la guerre de succession d’EspagneL’Acadie devient anglaise au Traité d’Utrecht en 1713, rivalités dans les petites Antilles et la confrontation de la guerre de Sept-Ans redéfinissent les empires coloniaux : La France perd de Le CanadaLa chute de la Nouvelle-France, Sous la direction de Bertrand Fonck et Laurent Veyssière, Québec, Les éditions du Septentrion, 2015 pour garder les Antilles (1763). Les Britanniques seuls en Amérique du Nord doivent concéder l’indépendance aux Treize Colonies en 1783.

Les relations entre puissances européennes sont complétées par des relations avec les diplomaties autochtones. L’auteur décrit ici les alliances indiennes en Amérique du Nord d’abord pour s’installer (Champlain, Colons anglais en Virginie). Puis les alliances indiennesAlliances et traités avec les peuples autonomes du Québec, Camil Girard, Carl Brisson ; Québec, Presses de l’Université Laval, 2021 devinrent un élément des rivalités européennes (Iroquois contre Algonquins).

En Afrique se développe une diplomatie de la traite, des cadeaux d’abord pratiquée par les Portugais notamment avec le Royaume du Kongo, l’auteur cite aussi la diplomatie de Le Gardeur de Repentigny au Sénégal. Au XVIIIe siècle si le roi Hueda impose la non-agression aux Européens présents au port de Ouidah malgré la Guerre de succession d’Espagne, les Européens ont pu aussi servir de négociateurs entre les Fantes et les Ashantis.
En Amérique comme en Afrique les Européens ont dû tenir compte de la langue et la nécessité de traducteursInterprètes au pays du castor, Jean Delisle, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019. Au-delà de la question linguistique existent des influences réciproques comme le montre le rôle de l’écrit dans les traitésSignatures des Amérindiens au traité de Montréal 1701 p. 144.

D’une rive à l’autre : déplacements et transferts de populations

Sans doute le plus grand brassage de population de l’histoire. L’auteur dresse un tableau minutieux des migrations en commençant par l’installation des Portugais aux Canaries, au Cap-Vert et à São Tomé dès la seconde moitié du XVe siècle. Cette migration plus ou moins volontaire est marquée par la présence importante de Juifs et de nouveaux convertis. Les côtes d’Afrique restent marginales dans ces déplacements de populations européennes : 26 000 personnes en 1760. Le flux migratoire vers les Amériques, après les pêcheurs et les aventuriers, fut d’abord l’affaire des Espagnols (250 à 300 000), une migration essentiellement masculine. Si la Nouvelle-France a souffert d’un manque de population, les colonies anglaises ont vite été des colonies de peuplement qui au XVIIe siècle attirent une population variéeSchéma de l’origine de la population des colonies anglaises en Amérique du Nord 1700-1775 – p. 152.

Le choix d’émigrer est à mettre en relation avec la volonté d’améliorer sa situation personnelle, rejoindre un parent, fuir des persécutions religieuses, avoir un esprit d’aventure et répondre à la demande de main-d’œuvre. L’auteur décrit le statut courant des migrants : l’engagement. Notons que les États n’ont pas hésité à « exporter » les condamnés (Portugal, Angleterre) ou les mendiants (« Tansportation Act en 1718) et les pauvres « Filles du Roi ». Une autre catégorie de migrants, souvent plus temporaires, les administrateurs venus de métropole et les soldats même si certains restent sur placeParmi les soldats du Régiment de Carignan-Salières 1/3 d’entre eux restèrent en Nouvelle-France..

Le déséquilibre du sex ratio a favorisé les unions avec les Autochtones.

Mais l’arrivée en Amérique n’est pas toujours définitive : retour en Europe, poursuite de l’errance comme ces planteurs de tabac de la Barbade qui, face à la concurrence de la canne, fuient vers la Virginie ou la Jamaïque.

Les guerres ont aussi des conséquences migratoires : Acadiens en Louisiane après 1713 puis lors du « Grand dérangement » de 1755, déplacement des Amérindiens vers l’ouest, sans oublier les Amérindiens qui sont déplacés vers l’Europe comme esclaves ou objets de curiosité où ils rejoignent les Noirs (10 % des habitants de Lisbonne au milieu du XVIe siècle).

La traite atlantique constitue, à elle seule, la plus importante part des déplacements de population depuis 15818 quand Charles-Quint concède la première licence pour la déportation d’Africains vers les Antilles. L’auteur consacre un long paragraphe à ce sujet bien connu. Il différencie la traite de l’esclavage qui peut exister sans déplacement de population. Il montre l’importance de la demande croissante de main-d’œuvre après la quasi-disparition des populations caribéennes et les étapes chronologiquesGraphique de l’évolution des effectifs de la traite – p. 164. Il présente les acteurs aussi bien africains qu’européens et décrit la traverséeDe nombreux ouvrages traitent de ces réalités. On peut citer : Tidiane Diakité, La traite des Noirs et ses acteurs africains du XVe au XIXe siècle, Paris, Editions Berg international, 2008 – Olivier Pétré-Grenouilleau, Les Traites négrières, Paris, Gallimard, 2004 – Marcus Rediker, A bord du négrier : une histoire atlantique de la traite, Seuil, 2013

L’enseignant trouvera des documents dans Commerce atlantique traite et esclavage (1700-1848), Philippe Charon (dir), Samuel Boche, Jean-François Caraës, Morgan Le Leuch, Presses Universitaires de Rennes, 2018 – La Marie-Séraphique, navire négrier, Bertrand Guillet, Nantes; éditions MeMo, 2010 [une BD lui sera bientôt consacrée : Enchaînés, Dans l’entrepont de la Marie-Séraphique, Alexandrine Cortez, Antoane, Éditions Petit-à-petit] et les temps de la lutte, dès le XVIe siècle, notamment les Quakers qui dénoncent l’esclavage mais aussi la lutte des esclaves eux-mêmesEsclavage et mar(r)on(n)ages. Refuser la condition servile à Bourbon (île de La Réunion) au XVIIIe siècle, Gilles Pignon et Jean-François Rebeyrotte (dir.), Paris, Riveneuve, 2020. La traite est interdite en 1815.

Enfin Eric Schnakenbourg montre comment émerge et se développe l’idée de race depuis une des premières mentions en 1684 (Journal des Savants) qui divise les hommes selon leurs caractères physiques jusqu’à la notion de hiérarchie : « Alors que les Européennes étaient considérées comme chastes et pudiques, ne pratiquant qu’une sexualité reproductive, les Amérindiennes et les Africaines étaient lubriques et insatiables, dominées par les élans d’une nature incontrôlée. »Citation p. 183. A la fin de Moyen Age la couleur de peau est associé à l’esclavageGomes Eanes Zurara, un Portugais voyant débarquer des Africains à Lisbonne les déclarent sauvages, bons à travailler sous la contrainte, p. 184.

L’auteur évoque les justifications avancées et décrit la hantise du métissage malgré les conséquences du déséquilibre du sex ratio. L’idée de pureté de sans se diffuse au XVIIe siècle de l’aristocratie vers l’ensemble des colons. En 1709 le gouverneur du Canada interdit les mariages mixtes, interdiction reprise en 1724 dans le Code Noir. Dans les régions de traite importante cette idée de pureté de sang grandit parallèlement à la crainte d’une élite blanche de plus en plus minoritaireA Saint-Domingue en 1788 31 000 Blancs, autant de Libres de couleurs pour 500 000 esclaves noirs – Schéma p. 190. La racialisation de la société s’inscrit moins dans la fracture libre / non-livre que dans la barrière de couleur. L’auteur décrit le métissage de l’Amérique espagnole (Blancs/Amérindiens/Noirs) qui représente plus de la moitié de la population au début du XIXe siècle.

L’économie atlantique

A partir du XVIe siècle la multiplication des échanges fait de l’Atlantique un centre économique. Les cycles de l’économie de l’Amérique intertropicale ont été décrits par Celso Furtado autour de l’offre d’un produit américain et sa rencontre avec la demande européenne avec une succession comme au Brésil : cycle du bois puis du sucre puis de l’or. Pour profiter de ces ressources l’Europe développe des industries nécessaires à la traite : chantiers navals, banque ou en aval sucreries. L’auteur nuance les affirmations selon les quelles l’arrivée de l‘or et de l’argent aurait alimenté la croissance économique européenne au XVIe sièclePierre Chaunu, Séville et l’Atlantique (1504-1650), parue en 12 volumes, de 1955 à 1960 au SEVPEN, mais aussi celle qui explique l’accumulation des capitaux de la traite par la Grande-BretagneEric Williams, Capitalism and Slavery, Chapel Hill, Univ. of North Carolina Press, 1944.

L’auteur décrit l’économie atlantique dans toutes ses dimensions : les protagonistes, le poids relatif dans l’économie des pays européen, l’hinterland des portsPar exemple Nantes reçoit pour son commerce de traite des toiles de son arrière-pays breton mais aussi des Ardennes ou de Lyon. De même il évoque les réexportations des produits arrivant d’Amérique, en 1780 75 % du sucre et 89 % de café qui arrivent en France sont réexportés vers l’Allemagne, la Suède… Un paragraphe est consacré à l’économie néerlandaise.

Les échanges Amérique-Europe sont dans un premier temps alimentés par une économie de prélèvement : morue (Terre-Neuve, Labrador), fourrures, bois et produits forestiers du Brésil ou de Nouvelle-Angleterre, mais aussi l’extraction minière (or, argent du Potosi)Graphique 1492-1810 p. 219.

L’économie atlantique est peut-être surtout marquée par une économie agricole extravertie. Si les Treize colonies produisent leur alimentation, voire l’exporte ce sont surtout les cultures de rente qui alimentent les échanges : d’abord le tabac des Antilles ou de Virginie mais surtout le sucre produit selon le modèle de la plantationCroquis de la plantation idéale selon le père Labat 1724 – p. 229 dont l’économie est longuement décrite ainsi que le rôle de l’esclavage. L’auteur évoque les cultures secondaires : indigo, cacao, café, coton.

Les circulations marchandes

Les échanges reposent sur le modèle du monopole des métropoles qui génère des rivalités internationales. L’auteur montre les difficultés de mise en œuvre des exclusivités de navigation, les critiques que les colons font des monopoles et l’importance de la contrebande.

Le « commerce triangulaire » n’est pas le seul itinéraire, les voyages en droiture, dits aussi « circuiteux » ont une place importante dans les échanges. La description des deux modalités n’occulte pas le cabotage américain (sucre et rhum des Antilles qui remontent vers New-York ou Montréal contre des grains, produis manufacturés des Treize colonies vers les Antilles).

L’étude des ports atlantiques montre en quoi ils jouent un rôle d’interface entre l’océan et les arrières-pays : déplacement du commerce transsaharien vers les ports, lieux d’implantation d’organes administratifs ou financiers (Casa de contratacion à Séville, négociants portugais à Anvers dès 1488). Les ports sont des lieux cosmopolites qui s’enrichissent, s’embellissent (Quai des Chartrons à Bordeaux), s’industrialisent (Bristol, Liverpool). L’auteur cite l’essor des ports américains en fonction de leur arrière-pays : Veracruz, Boston, Baltimore ou Charleston.

Il est ensuite question des « consommations » atlantiques : description de la demande européenne de produits coloniaux déjà évoqués : indigo, tabac, sucre. Les consommations africaines sont plutôt des produits manufacturés ou semi-finis : toiles, barres de fer ou de cuivre, mais aussi armes et alcool. De nouvelles cultures américaines se diffusèrent en Afrique comme le manioc et la patate douce. Quant aux consommations américaines, dans un premier temps elles sont différentes pour les Amérindiens (chaudronsSur ces aspects on pourra se reporter à Une histoire de la Nouvelle-France – Français et Amérindiens au XVIe siècle, Laurier Turgeon, Belin, 2019, couteaux, haches) et les descendants d’Européens (textiles, armes, vins et alcool), puis ces denrées intéressèrent les Amérindiens.

Dans un dernier paragraphe l’auteur évoque les réexportations des produits atlantiques à travers l’Europe jusqu’au monde méditerranéen où café et sucre concurrencent les productions locales (Levant, Yémen). L’Océan indien fournit au commerce de traite des toiles (les indiennes) et des cauris. Ces échanges comme l’introduction en Chine de la pomme de terre atteste d’une mondialisation du commerce.

Les dynamiques culturelles

Evangélisation et circulations religieuses

Dès l’ouverture à de nouveaux espaces les missions ont accompagné la colonisation, à la fois pour encadrer les européens et convertir les populations rencontrées. D’autant que la première expansion s’inscrit dans l’idée de la Réconquista, comme un droit à s’emparer les terres païennes. Les missionnaires doivent étudier les langues pour mener à bien l’évangélisation. Au début du XVIIe siècle on compte plus de 300 ouvrages en langue autochtones, écrits par les Franciscains.

Ce sont les syncrétismes qui, aujourd’hui, sont le plus étudiés, notamment à propos de l’Afrique. L’auteur donne aussi quelques exemples avec les précolombiens. Baptisés ne veux pas dire que les pratiques soient conformes, elles sont souvent qualifiées de superstitions par les clergés. L’évangélisation de l’Amérique hispanique s’inscrit dans l’espace avec la multiplication des églises baroques. La christianisation des esclaves est inégale, comme en témoigne encore aujourd’hui, le vaudou importé à Saint-Domingue.

L’Amérique est aussi le lieu de rencontre entre des chrétientés différentes venues d’Europe avec des oppositions radicalesLes puritains du Massachusetts voyaient la Canada français et catholique comme l’incarnation de l’Antéchrist ; sans oublier la présence en Afrique comme en Amérique des Juifs expulsés du Portugal ou d’Espagne. Dans les colonies anglaises l’attitude religieuse est variable de la tolérance (Maryland, Pennsylvanie) au rejet des déviants (Quakers, sorcière de Salem).

La fabrique des identités créoles

L’auteur décrit la créolisation, ses réalités diverses selon les régions américaines. Il analyse l’évolution des langues d’origine des Européens (unification du français parlé au Québec), naissance d’une langue de contact : le pidgin. Parmi les esclaves ont remarque une identité créole très synthétique du fait de la provenance très diversifiée des esclaves.

Peut-on parler de vie intellectuelle en Amérique ? Assez vite des publications apparaissent : grammaires pour les langues amérindiennes, mais aussi des publications relieuses ou profanes dans ces langues. Au XVIIIe siècle on parle de journaux. Dès le XVIe siècle les élites peuvent suivre des cours universitaires dans l’Amérique espagnole puis de grandes universités sont créées (Harvard, Yale).

L’installation d’Européens en Amérique a contribué à fonder une identité entre européanité et mode d’existence américain, avec un rapport ambigu tant avec les métropolitains qu’avec les autochtones. L’auteur montre des identités sont tantôt assignés par les métropolitains qui dénoncent la créolisation, tantôt revendiquées qui expliquent les contestations des limites imposées du commerce jusqu’aux soulèvements dans la seconde moitié du XVIIIe siècle des Treize colonies ou celui de la Nouvelle Grenade en 1781. Elles annoncent la révolte haïtienneLa révolution des esclaves Haïti, 1763-1803, Bernard Gainot, Vendémiaire, Collection le temps de la guerre, 2016.

Une culture de la violence ?

Il est ici question des violences physiques comme symboliques : déclin démographique des populations précolombiennes, choc microbien, travail forcé et esclavage. L’auteur montre la dialectique de la peur dans le système de la plantation et les formes de résistance (marronnage).

Le rapport à la nature est aussi une violence. Les Européens ont été confrontés à des réalités naturelles nouvelles (étendues forestières, cyclone, rigueur de l’hiver canadien). L’exploitation de l’Amérique a conduit à des modifications environnementales : déforestation, importations de nouvelles espèces dommageables (porcs), surexploitation du castor.

Conclusion

Trois siècles de bouleversement du monde résumés ainsi par Bernardin de Saint-Pierre : « Je ne sais pas si le café et le sucre sont nécessaires au bonheur de l’Europe, mais je sais bien que ces deux végétaux ont fait le malheur de deux paries du monde »Lors d’un voyage en 1760 à l’Île de France, cité p. 341.

Malgré leurs diversités, les entreprises coloniales ont produit des rapports de domination au cœur des sociétés atlantiques.

Reposant sur une riche bibliographie, voilà un ouvrage indispensable.