Une collaboration familiale unique et singulière
L’ouvrage, La République au défi de la guerre : Lettres et carnets de l’Année terrible (1870-1871) (Vécus N° 7), publié en 2015 sous la direction de Salomé Allorant, Pierre Allorant et Jacques Resal, constitue la septième parution des éditions Encrage, dans la collection « Vécus ». La collaboration familiale réunissant à la fois Jacques Resal, Salomé Allorant, Pierre Allorant fut la seule et unique production connue à ce jour.
Pierre Allorant et Jacques Resal ont édité ensemble Un médecin dans le sillage de la Grande Armée. Correspondance de Jean-Jacques Ballard avec son épouse Ursule demeurée en France (1805-1812), L’Harmattan, 2012 ; Femmes sur le pied de guerre. Chronique d’une famille bourgeoise 1914-1918, Septentrion, 2014 ; Lignes du front de l’arrière. Correspondance du directeur de la compagnie des tramways de Bordeaux avec son fils artilleur. 1914-1918, PU Bordeaux, 2015 ; puis, aux éditions Encrage dans la collection « Vécus » : en 2014, La Grande Guerre à tire-d’ailes : Correspondance de deux frères dans l’aviation (1915-1918) (Vécus N° 5) ; en 2015, La République au défi de la guerre. Lettres et carnets de l’Année terrible (1870-1871) (Vécus N° 7) ; en 2016, trois ouvrages coup sur coup, Le Génie de l’Orient : Lettres de guerre d’un officier du génie de l’Algérie à la Crimée (1831-1856) (Vécus N° 9), Les amants de Bonaparte : Roman par lettres et chronique conjugale (1798-1803) (Vécus N° 10) et Des médecins au service du progrès (Lettres d’une famille de médecins au XIXe siècle, de Louis XVIII à Gambetta) (Vécus N° 11).
Jacques Resal est un ingénieur BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) à la retraite et cousin issu de germain de l’historien Pierre Allorant. Il est le dépositaire d’un corpus d’une dizaine de milliers de lettres familiales réparties sur 3 ou 4 générations, soit environ moins d’un siècle et demi. Jacques Resal a tapuscrit environ 1/6 de ce corpus mis en valeur sur le plan historique par Pierre Allorant. Le résultat de ce travail issu de ce corpus considérable et digne d’intérêt a permis à Pierre Allorant et Jacques Resal d’éditer ensemble pas moins 9 ouvrages à ce jour.
Salomé Allorant est la propre fille de Pierre Allorant. Elle est professeur certifiée d’histoire-géographie (et bi-admissible à l’agrégation d’histoire) dans le secondaire, dans un collège de la région parisienne. Dans le cadre de son master 2, sous la direction de Jean Garrigues, Salomé Allorant a soutenu son mémoire intitulé Les carnets de guerre de l’ingénieur Marcel Jozon pendant la guerre franco-prussienne de 1870, en juillet 2012.
Pierre Allorant est professeur en Histoire du droit et des institutions à l’université d’Orléans (POLEN EA 4710). Au sein du laboratoire POLEN (Pouvoirs, Lettres, Normes), Pierre Allorant est membre de la branche CEPOC (Centre d’Études Politiques Contemporaines), dont le professeur des universités Jean Garrigues est l’actuel directeur. La spécificité du CEPOC est d’appliquer en priorité les questionnements du laboratoire POLEN au champ des pouvoirs, institutionnels et autres, mais aussi des contre-pouvoirs, des marges et des dissidences politiques, sociales et culturelles. Il regroupe des historiens du politique et de la littérature, des linguistes, des civilisationnistes et des historiens du droit. Sa spécificité, à l’échelle nationale, est notamment d’être la seule équipe d’historiens français travaillant sur la vie parlementaire. Les problématiques et les travaux du CEPOC sont centrés sur la période contemporaine (XIXe-XXIe siècles) mais également ouverts aux autres périodes historiques, de l’Antiquité à la période moderne. Ils mettent l’accent sur la dimension internationale et comparatiste des questionnements étudiés. Un autre point fort du CEPOC est l’étude de l’écriture du discours mémoriel, qui reste un champ encore insuffisamment exploré et qui correspond aux compétences exprimées dans l’équipe du CEPOC, tant chez les historiens que chez les littéraires et les linguistes. La perspective est donc historique, concernant les politiques de la mémoire (commémorations, discours politiques, mémoires de l’événement et lieux de mémoire). Les thèmes de recherche de Pierre Allorant sont l’apport des sources non-officielles à l’histoire de l’administration : fonds privés, épistolaire et écrits du for privé, littérature et caricature. Depuis le 17 novembre 2016, Pierre Allorant est devenu Doyen de la faculté de Droit, d’Économie et de Gestion de l’université d’Orléans.
La République au défi de la guerre : Lettres et carnets de l’Année terrible (1870-1871) :
une correspondance épistolaire de deux frères républicains pendant l’Année terrible
Entre les combats et le siège de Paris, deux frères – passionné¬ment patriotes et républicains dès le Second Empire – le cadet (ingénieur des Ponts et Chaussées) et l’aîné (avocat à la cour de Cassation et au Conseil d’État) sont confrontés à l’épreuve de la guerre de 1870 et à l’invasion prussienne de la France. Le premier, Marcel Jozon, 31 ans, refuse l’engrenage de l’accommodement avec l’occupant prussien et s’engage dans l’armée de Bourbaki comme capitaine du génie. Le second, Paul Jozon (frère aîné de Marcel Jozon), 34 ans, subit le terrible siège de Paris et assume les fonc¬tions publiques d’adjoint au maire du 6e arrondissement puis de représentant de la Seine-et-Marne à l’Assemblée natio¬nale. Lettres et carnets de campagne évoquent le quotidien de la guerre ; leurs mots tra¬versent les lignes, traçant la chronique de leurs inquiétudes pour le sort de leurs proches et de leurs espérances de sur¬monter la « grande défaite » en jetant les bases d’une régénération républicaine et patriotique fondée sur l’État de droit.
L’ouvrage est composé d’un sommaire (p. 5), d’une dédicace (p. 6), d’un incipit composé de 6 passages de lettres de Marcel et Paul Jozon (p. 7-8), d’une préface de Jean-Noël Jeanneney (Professeur des universités en histoire contemporaine et arrière-petit-fils de Marcel Jozon) (p. 7-14), d’une longue présentation des auteurs (p. 15-41), d’une généalogie simplifiée de la famille Jozon (p. 42), d’un éphéméride (tenu par Ernest Gratiot, médecin à la Ferté-sous-Jouarre dans la Seine-et-Marne, mari de Berthe Jozon, beau-frère de Paul et Marcel Jozon) allant du 8 mai 1870 au 27 septembre 1871 (p. 43-49) et, enfin, de 2 cartes (Carte de la France envahie et occupée en 1870-1871 et Carte du siège de Paris : p. 50). Outre les deux parties « I- Par les ponts et par les champs : Carnets de guerre de l’ingénieur Marcel Jozon (23 août 1870-18 mars 1871) » (p. 51-136) et « II- État de siège : Correspondance de l’avocat aux conseils Paul Jozon » (p. 137-202), le livre se termine par des annexes (p. 203-236) au nombre de 28 dotées d’une utile table des annexes (p. 205-206), de deux indispensables index des noms de personnes (p. 237-240) et de lieux (p. 240-442) et, enfin, d’une table des matières (p. 445).
Les carnets militaires de Marcel Jozon (1839-1918) :
Le témoignage d’un républicain engagé volontaire dans la guerre franco-prussienne de 1870-1871
La première partie, « I- Par les ponts et par les champs : Carnets de guerre de l’ingénieur Marcel Jozon (23 août 1870-18 mars 1871) » (p. 51-136), couvre la période allant du 23 août 1870 au 18 mars 1871, en l’espace de 149 lettres, consignées dans deux carnets (respectivement 112 et 37 lettres). Ingénieur ordinaire des travaux publics à Château-Thierry (Aisne) lors de l’invasion prussienne, refuse de coopérer avec l’occupant pour rejoindre Tours et s’engager dans l’armée du Général Bourbaki.
Son témoignage inédit et exceptionnel complète celui de son frère sur les conditions tumultueuses et dramatiques de la mise en place de la Troisième République naissante : ces deux parcours individuels au sein d’une même famille montrent des membres des élites conscients du chantier national à relever, des représentants d’un milieu – les républicains libéraux – acteurs préparés à participer à l’œuvre législative à venir.
Ces écrits du for privé, fraternels et familiaux, laissent transparaître la difficu1té particulière pour les jeunes républicains de savoir ce que le devoir exigerait, face à une guerre en deux temps dont ils déplorent le déclenchement imprudent et critiquent l’impréparation. Marcel Jozon entreprend l’écriture de ses carnets dès l’annonce de l’arrivée des Prussiens, le 23 août 1870 ; lors de la déclaration de guerre, en dépit de son hostilité à l’Empire, il s’est porté volontaire pour servir dans le Génie, estimant de son devoir de célibataire de s’engager, afin de permettre le retour des pères de famille dans leur foyer (4-11 octobre) ; symptôme du désordre ambiant, il n’est pas employé dans l’effort de guerre (12-31 octobre). Sans préambule, dès son premier carnet de guerre, Marcel Jozon indique les informations les plus récentes qu’il a reçues : l’arrivée imminente de l’invasion prussienne le pousse à consigner ce qu’il voit, ce qu’il pense et ce qu’il fait, retranscrivant ses informations chaque jour, avec régularité et rigueur (1er novembre-31 décembre 1870). Le second carnet, tenu du 1er janvier au 18 mars 1871, est ouvert par l’indication du nom de l’auteur, son grade et sa fonction dans l’armée ainsi que le nom de son père à qui il faudra renvoyer les carnets « en cas d’accident ». Avec son internement en Suisse (30 janvier-9 mars 1871), des notes sont de plus en plus lapidaires, puis s’arrêtent à son retour dans la maison de famille de la Ferté-sous-Jouarre, le 9 mars 1871. Ces écrits familiaux ont été conservés et transmis de génération en génération dans les branches Jozon et Jeanneney. Les trois auteurs de cette présentation ont un lien familial en ligne directe avec Marcel Jozon et sa sœur Berthe Jozon, épouse Gratiot.
Les carnets de Marcel Jozon constituent un témoignage original sur une guerre d’une intensité nouvelle. La violence extrême de la Grande Guerre et la victoire de 1918 ont relégué à l’arrière-plan les souffrances vécues par les soldats et les populations civiles en territoire occupé par l’armée prussienne en 1870, puis le double traumatisme de l’amputation de l’Alsace et de la Moselle ainsi que la défaite d’une armée héritière des « volontaires de 1792 » de la Première République et de la Grande Armée napoléonienne.
Paul Jozon (1836-1881) ou le récit du siège de Paris par un adjoint au maire
à son épouse réfugiée en province (août 1870-février 1871)
La deuxième partie, « II- État de siège : Correspondance de l’avocat aux conseils Paul Jozon » (p. 137-202), couvre la période allant du 11 août 1870 au 5 juin 1871, répartie sur 63 lettres qui sont destinées quasi essentiellement à son épouse Marie Jozon (dont nous pouvons lire quelques réponses de sa part) et parfois à son père Dominique Jozon.
Avocat aux conseils, secrétaire de la conférence du stage, opposant « républicain de la veille » à Napoléon III, benjamin des accusés du « Procès des Treize » en 1864, cofondateur en 1869 de la Société de Législation comparée, Paul Jozon relate à son épouse, réfugiée avec leur fille à Angers, le siège de Paris lors de l’année terrible. Patriote, hostile au déclenchement aventureux de la guerre par le Second Empire, il participé à la Garde nationale et accepte d’assumer la charge d’adjoint au maire du 6e arrondissement de Paris, avant d’être élu représentant å 1’Assemblée nationale de Bordeaux en février 1871. Dans ses lettres adressées par « ballon monté » à son épouse Marie née Lacan (fille du bâtonnier), ce jeune père de famille de 34 ans décrit la situation politique, militaire, matérielle et morale de Paris durant le siège. Ce lien épistolaire conjugal exprime la vision d’une bourgeoisie des talents, d’un rédacteur progressiste et libéral, encore plus horrifié de la brutalité de la répression versaillaise que des violences des communards, pour une lectrice issue d’un milieu conservateur. Cette tension est d’autant plus vive que Paul Jozon correspond également avec ses parents restés en Seine-et-Marne, et qu’il sait son frère cadet Marcel Jozon courageusement engagé volontaire comme officier du génie dans l’armée de Bourbaki. Afin de justifier son action politique face aux polémiques électorales, Paul Jozon publie après le conflit un résumé de l’invasion du département de Seine-et-Marne, puis de son attitude au sein de la municipalité parisienne, mais ses lettres sont restées inédites jusqu’en 2015. Ce récit de siège renouvelle un exercice pratiqué au sein de la famille élargie depuis les guerres napoléoniennes jusqu’à l’expédition de Crimée, et que réécrira la génération suivante lors de la Grande Guerre, autour de Verdun.
La République au défi de la guerre : Lettres et carnets de l’Année terrible (1870-1871) : une vision de la guerre franco-prussienne et de l’Année terrible renouvelée ?
En guise de conclusion provisoire concernant l’ouvrage La République au défi de la guerre : Lettres et carnets de l’Année terrible (1870-1871), ce dernier (présenté, établi et annoté par Salomé Allorant, Jacques Resal et Pierre Allorant) a permis de renouvelé quelque peu la vision des historiens sur la guerre franco-prussienne de 1870 et celle de l’Année terrible (de 1871) concernant le siège de Paris.
Grâce à cette initiative des éditions Encrage, cet ouvrage s’adresse aussi bien aux enseignants-chercheurs s’intéressant à de nouveaux champs historiques qu’à ceux férus de la vie quotidienne des Français et des combattants de la Première Guerre mondiale sans oublier les érudits locaux et les étudiants en histoire cherchant de nouveaux sujets de Master 1 et 2 voire de thèse.
© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)