Jean-Baptiste Noé est un historien aux multiples facettes et activités. A la fois chercheur, enseignant et écrivain, celui-ci est aussi chroniqueur dans divers journaux et revues, notamment le quotidien libéral l’Opinion. C’est dans ses colonnes que le présent ouvrage naquit au cours de l’été 2017. Invité à tenir une chronique historique durant la période estivale, Jean-Baptiste Noé y publie une série de 12 épisodes revenant sur un régime pour le moins méconnu de la plupart des français : la monarchie de Juillet. Brossant alors un tableau général des 18 années de règne de Louis-Philippe Ier, l’historien entend mettre en avant les profonds apports que celui-ci laissa au pays sur le plan politique, social, économique et culturel.
Ainsi La parenthèse libérale se veut être une version largement enrichie des chroniques précédentes avec, en filigrane, une question directrice : que doit la France moderne à la monarchie de Juillet ?
Tout d’abord le fait d’avoir apporté la stabilité à une société largement fragmentée et bousculée par l’instabilité institutionnelle, les guerres révolutionnaires et impériales, ainsi que les révolutions populaires. Ceci est le fruit des volontés du souverain Louis Philippe Ier, parvenu au trône à la suite des Trois Glorieuses, et qui entend faire l’inventaire de la période révolutionnaire et impériale pour « en garder le meilleur et en rejeter le pire »Jean-Baptiste Noé, La parenthèse libérale, Calmann-Lévy, 2018, p.10.
La France doit aussi à la monarchie de Juillet son retour sur la scène internationale. Celui-ci passe par une réconciliation avec l’Angleterre qui culmine par une gestion conjointe des dossiers de succession espagnol, portugais et belge, mais aussi par des visites d’État en 1843, 1844 et 1845. Le rôle de la France s’affirme dans le bassin méditerranéen, sur les rives algériennes avec la poursuite de l’expédition entamée sous le règne de Charles X qui se commue en colonisation Rompant alors avec le rejet libéral de tout colonialisme, mais aussi en appui des prétentions avortées du sultan Mehmet Ali de constituer un grand royaume arabe réunissant Égypte et Syrie.
Plus que tout la France doit à la monarchie de Juillet un développement économique retentissant qui s’est poursuivi sous le Second Empire, à l’aune de la pensée libérale qui imprègne les membres du gouvernement et le personnel politique d’alors.
De ce fait, dès les premières pages, Jean-Baptiste Noé focalise son propos sur le libéralisme et revendique le récit engagé d’une période où cette pensée fut portée au sommet des politiques publiques. Une conception du droit qui assure selon ses théoriciens, par la primauté de la liberté de l’individu et le respect de la propriété privée qui en découle, les ferments d’un développement économique qui apportera le progrès social et humain.
Car après tout la France est une terre historiquement libérale ce que nous avons bien souvent tendance à oublier. Bon nombre de ses grands hérauts, penseurs, théoriciens en sont issues. La monarchie de Juillet leur offre un rôle politique de premier plan, à l’image de François Guizot, ministre de l’instruction publique en 1832 et qui parviendra progressivement au sommet du gouvernement ; d’Alexis de Tocqueville, dont l’œuvre De la démocratie en Amérique porte les espoirs de la démocratie tout en analysant ses faiblesses et limites ; ou encore de Frédéric Bastiat, dont les analyses économiques « Tous les intérêts légitimes sont harmoniques » et philosophiques La fable de la pétition des marchands de chandelles ont nourri et nourrissent encore les milieux libéraux, notamment dans le monde anglo-saxon.
Les résultats des politiques économiques menées sous la monarchie de Juillet sont retentissants : alors que le pays avait marqué le pas en Europe face à ses concurrents durant la période révolutionnaire et impériale, les progrès techniques et la mécanisation accrue permettent à la productivité de s’envoler, aux prix de chuter, au pays de rattraper son retard et à la population de s’enrichir. S’il fallait en 1800 211 heures de travail pour parvenir à acheter 100kg de blé, ce nombre tombe à 134 en 1840. Le pays se couvre de voies de chemin de fer, les grandes houillères sont ouvertes, les grandes banques se développent. La monarchie de Juillet amorce la dynamique économique qui dominera en France jusqu’à la fin du Second Empire.
La modernisation économique et sociale portée par le libéralisme des grands dirigeants du régime de Juillet se heurte cependant à des résistances sociales profondes qui marquent la période. Si la monarchie de Juillet fut celle des grandes réformes libérales, elle fut aussi celle qui vit naitre les grands mouvements socialistes. Ceux-ci débutent avec les révoltes des canuts de 1831 et 1834, frappés par la mécanisation qui remet en cause leur hiérarchie sociale et les métiers exercés. Ces révoltes ont inspiré les leaders socialistes (Barbès ou encore Blanqui) et les groupes en formation qui n’attendent qu’une bonne occasion de déclencher la révolte dans la capitale. Celle-ci est trouvée à l’occasion des obsèques du général Lamarque en 1832. Paris devient le « laboratoire du socialisme »Ibid., p.79.
Les transformations du régime de Juillet ont trouvé de forts échos dans le domaine des arts et des lettres. Le règne de Louis Philippe Ier fut celui du foisonnement culturel où les Balzac, Hugo ou Chopin cohabitaient dans la capitale, offrant à la ville une vitrine de prestige à l’international. Jean-Baptiste Noé revient de la sorte dans la dernière partie de son ouvrage sur les grands artistes et lettrés qui ont voulu se faire les témoins des bouleversements de leur temps. Ils sont artistes peintres comme Eugène Delacroix et Sa liberté guidant le peuple ; écrivains à l’image des Victor Hugo, Alexandre Dumas mais surtout d’Honoré de Balzac qui marque son temps par sa fresque littéraire La Comédie Humaine. Rastignac, Lucien de Rubempré ou encore Eugénie Grandé sont autant de figures littéraires intemporelles qui ont bercé nos lectures d’adolescents. Le monde musical n’est pas en reste : Chopin, Litszt, Kalkbrenner ou encore Berlioz : les compositeurs romantiques se retrouvent et se côtoient sur Paris qui est parvenue à attirer les artistes les plus talentueux de son époque.
Les dynamiques du régime de Juillet se poursuivront sous le Second Empire. Mais l’héritage libéral de la monarchie de Louis-Philippe Ier périclitera avec l’arrivée de la Troisième République, au grand dam du pays selon Jean-Baptiste Noé.
Au terme de la lecture il ressort que La parenthèse libérale se veut avant tout être un ouvrage engagé de la part d’un historien qui ne fait aucun mystère de sa filiation philosophique. A une époque où le « gouvernement du centre » a le vent en poupe comme le dit si bien Jean-Baptiste Noé, voici une lecture sans concession, qui bouscule et ouvre au débat : n’est-ce pas le signe d’un exercice pleinement réussi ?