Les flux migratoires sont au cœur de l’actualité nationale (avec le récent remaniement ministériel), internationale (échouage de clandestins à Lampedusa) ou artistique (Exposition Terre natale, Ailleurs commence ici à la Fondation Cartier pour l’Art contemporain).

Gildas Simon s’intéresse depuis très longtemps à ce thème. Géographe, professeur émérite de l’Université de Poitiers, il a fondé le Laboratoire de Recherches MIGRINTER (UMR CNRS 6588), après avoir consacré sa thèse aux migrants tunisiens en France. Il s’occupe également de la Revue Européenne des Migrations Internationales. L’année 2008 a été marquée par deux de ces publications : la parution d’un numéro de la Documentation Photographique (Migrants et migrations dans le monde ) et celle de l’ouvrage qui nous occupe ici.

Gildas Simon analyse les migrations selon deux angles d’attaque. Il ne s’intéresse pas seulement aux flux mais concentrent son attention sur leurs impacts sur les territoires et les sociétés. Il privilégie l’échelle mondiale. Les migrations sont ici étudiées selon les logiques planétaires car les mécanismes mondiaux l’emportent sur les modes de fonctionnement locaux ou régionaux. La mondialisation justifie cette échelle d’analyse même si le renforcement des frontières tend à limiter les migrations et leur champ d’action. La question que se pose Gildas Simon est de savoir si les migrations sont un effet induit de la mondialisation ou ont-elles leur propre autonomie de fonctionnement et influencent-elles la mondialisation.

La mondialisation migratoire n’est pas un phénomène nouveau. Les champs migratoires d’aujourd’hui se sont étendus par rapport à ce qu’ils étaient. Cette extension se traduit par la mise en place de nouvelles solidarités transnationales (diasporas) au profit des territoires d’origine. « Démarche individuelle, la migration internationale est également et surtout un processus social en voie de mondialisation, avec ses propres acteurs, migrants et non migrants (la sphère familiale, les réseaux sociaux et diasporiques, la société environnante), ses figures emblématiques (les femmes, les étudiants, les entrepreneurs transnationaux, les mineurs isolés, les demandeurs d’asile), ses logiques spécifiques, ses enjeux particuliers. ». Dans ce contexte d’élargissement des champs migratoires, l’échelle mondiale est la seule appropriée. Pourtant, il n’existe pas une gestion mondiale des flux, ni de conférence internationale sur le thème qui ait débouché sur quelque chose de concret.

Cette approche des migrations est nouvelle. Gildas Simon rappelle que le sujet a subi d’importantes évolutions dans son traitement. A la traditionnelle grille d’analyse, mise en place par Pierre George (Les migrations internationales, 1976), basée sur le double point de vue de l’émigration et de l’immigration, de nouveaux concepts se sont ajoutés. L’espace global de la migration internationale est à considérer comme un lieu à part entière. L’analyse pluridisciplinaire (sociologie, anthropologie, géographie) est nécessaire pour rendre compte de la complexité du sujet. L’approche globale de la migration est une rupture épistémologique majeure dans la manière d’envisager le phénomène.

L’ouvrage de Gildas Simon est d’une lecture aisée. Des chapitres courts et nombreux, au style enlevé, ponctués d’exemples développés nouveaux (exemple : l’émigration philippine aux Etats-Unis, les retraités norvégiens en Espagne) et de documents (reproductions d’articles de presse, de travaux de géographes), rythment la lecture. L’ensemble est très riche et vient, avec bénéfice, compléter un cours du secondaire ou du supérieur (CPGE – Concours) sur les dynamiques migratoires. Au-delà de l’essentiel, l’auteur développe un raisonnement sur des thématiques plus ou moins connues. Ainsi, dans le cadre de l’étude des circulations migratoires (retours périodiques au pays, visite des membres de la famille dans les lieux d’installation, flux de marchandises, financiers, liens affectifs), il met en lumière le rôle du matriarcat au Maghreb dans l’établissement de stratégies matrimoniales transfrontalières. Ce livre montre à quel point l’approche épistémologique du sujet s’est orientée vers la pluridisciplinarité. Gildas Simon étudie les recompositions identitaires et culturelles mises en œuvre par les flux migratoires en croisant les domaines scientifiques : géographie, psychanalyse, sociologie, anthropologie, littérature. La bibliographie qui clôt l’ouvrage en rend bien compte. Le cinéma est aussi très présent. Cette annexe donne, par les nombreux titres cités, envie de prolonger la lecture de ce manuel.

De même, Gildas Simon mène une intéressante réflexion sur la notion d’identité et son évolution au cours de l’histoire. Il montre que ce qui se trame avec la mondialisation est aussi important que ce qui s’est passé lors des « invasions barbares ». La mondialité en est l’expression. Elle est ce mélange des cultures issu de la rencontre entre migrants et citoyens des pays d’accueil.

L’analyse de la question de la régulation des migrations, dans la dernière partie de l’ouvrage, permet de montrer que, paradoxalement, la chute du mur de Berlin, en autorisant les habitants du bloc de l’Est à circuler librement, a été suivie par un renforcement des politiques migratoires dans les pays du Nord et de l’édification de nouveaux murs (internationaux comme en rend compte l’ouvrage Des Murs entre les hommes, ou nationaux avec le cas des Gated Communities). Le 11 septembre 2001 et l’obsession sécuritaire qui a suivi n’ont fait que renforcer ce phénomène. L’auteur montre bien que ces mesures alimentent un marché souterrain dont les migrants clandestins sont les premières victimes. Cette partie de l’ouvrage est la plus militante.

Au final, ce livre constitue un agréable et enrichissant moment de lecture en perspective pour ceux qui en entameront la lecture.

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