Tourisme – Sauver nos vacances sans détruire le monde, un beau programme pour cet essai d’un géographie spécialiste du tourisme Rémy Knafou.

Si le COVID invite à réinventer le tourisme, la crise était déjà là : saturation, dépendance économique, changement climatique ; même si Rémy Knafou constate un besoin irrépressible d’évasion à l’échelle mondiale. Pour lui il est indispensable de faire entrer la question de la réinvention du tourisme dans le débat public.

Rémy Knafou est spécialiste de la question. Déjà sa thèse portait en 1978 sur les stations intégrées de sports d’hiver des Alpes françaises. En 1993 il crée un groupe de recherche sur le tourisme comme forme de mobilité : l’équipe MIT : Mobilités, Itinéraires, Tourismes. Il fut l’un des créateurs du Festival international de géographie de St Dié.

Tourisme – Idées fausses, vraies menaces et nouvelles opportunités

L’auteur analyse une dynamique sur le long terme, une histoire des déplacements et la croissance exponentielle (1,5 milliards d’entrées internationales en 2019). Ce tourisme international n’est pourtant que la partie visible de l’iceberg. Il ne faut pas oublier les déplacements intra-étatiques qui représentent 84 % des pratiques touristiques. A noter le développement des flux issus des pays émergents en lien avec la croissance des classes moyennes de ces pays.

Rémy Knafou revient sur l’histoire du tourisme, né au XIXe siècle en Europe qui fait suite aux parcours initiatiques des jeunes aristocrates à travers l’Europe. Il ne faut pas oublier des formes anciennes comme le thermalisme et les pèlerinages. L’auteur retrace les principaux moments et destinations jusqu’au développement de l’après-guerre et la naissance du tourisme de masse (1950-1960) : « sea, sand and sun » et les débuts du ski.

Le dernier tiers du XXe siècle est celui des aménagements touristiques et de l’individualisation : agence de voyage, avion, marchandisation. L’analyse de la dimension récréative met en évidence que la rencontre de l’altérité est plus souvent la rencontre des autres touristes et des salariés des structures que la rencontre des habitants qui, quand elle existe, est furtive et asymétrique.

Les nouvelles formes de tourisme sont marquées par l’association avec la croissance des classes moyennes.

Si le développement du tourisme participe de la richesse mondiale, quelles sont les retombées locales ? Les emplois non délocalisables et un tourisme alternatif sont plutôt favorables aux populations locales mais on constate toujours une répartition inégale de la richesse.

Jusqu’où le tourisme s’approprie-t-il la terre ? On remarque que les « bouts-du-monde » sont de moins en moins nombreux, l’auteur cite quelques exemples (encart sur la touristication de l’Everest p. 38-39) et évoque le tourisme dans l’espace.

Rémy Knafou note le bouleversement des lieux pour les habitants non sans attitude de rejet et les dégradations croissantes de l’environnement à mettre en relation avec le changement climatiqueLongs-courriers, croisières = 9t CO2/personne/trajet. Il propose une réflexion sur les liens ambigus entre tourisme durable et préservation de l’environnement ; quand les réserves animales et les aires protégées deviennent des destinations priséesExemple à Abu Dhabi : Sir Bani Yas p. 46-47 et un tourisme de la dernière chance : voir tel lieu, telle population avant la fin du monde.

Un paragraphe est consacré à l’OMTOrganisation Mondiale du Tourisme

Rémy Knafou montre les risques de la mono-activité (Baléares), décrit le surtourisme (Hallstatt, Venise) et tente une évaluation des effets du COVID même si d’autres facteurs peuvent mettre à l’arrêt le tourisme international et marchand (terrorisme – Egypte, Tunisie, guerre civile – Sri Lanka).

Tourisme – Faire advenir la quatrième révolution

 

Après la première, seconde et troisième révolutions touristiquesEncart p. 64 Rémy Knafou décrit les conditions d’un changement : changer de logique et de discours. Il identifie les moyens d’action et pose quelques interdits.

Comprendre le tourisme de masse et ses effets : on est passé d’un tourisme de groupes à un tourisme de masse d’individus. Le « low tourism »(Exemple : le Bhoutan) n’a que des effets limités. Il faut miser sur le pouvoir économique du tourisme pour investir dans le changement, changer de logiciel. L’auteur montre que le toujours plus est incompatible avec la durabilité. Il évoque la fuite en avant des stations de ski françaises.

Les leviers : Agir sur les destinations, les touristes puis le transport (rejet de l’avion – « flygskam »). Pour agir sur les destinations, l’auteur évoque une régulation du nombre de touristes, une taxation. Il cite quelques fausses solutions : étalement dans l’espace ou dans l’année et quelques pistes : voyager lentement, miser sur les espaces proches et peu fréquentés pouvant ainsi bénéficier aux touristes à faible pouvoir d’achat et soutenir l’économie locale ; densifier les espaces touristiques existants pour préserver les terres agricoles mais cette solution a ses propres limites (pollution, insécurité).

Des mesures pour un autre tourisme

Pour Rémy Knafou il est indispensable d’alléger le poids du tourisme sur l’écosystème terrestre, en commençant par les moyens de transport. Il est nécessaire d’imposer des normes environnementales au tourisme de croisières (interdiction du fioul lourd), de réguler l’usage de l’avion à l’échelle internationale et notamment mettre fin aux vols à bas coût, taxer les billets en fonction des émissions de kérosène.

Il propose une généralisation de l’empreinte carboneRapport parlementaire Deprez-Audebert/Martin 2019 de l’ensemble de la consommation touristique et d’endiguer les flux Sanctuarisation de l’Antarctique – Protocole de Madrid 1991. Il faut aussi, mieux gérer les espaces touristiques : limiter l’urbanisation, intensifier pour maintenir des revenus sans augmenter la capacité d’accueil par exemple en allongeant la saison touristique ou la durée des visites, endiguer les flux pour limiter le surtourisme : Quota quotidien Exemple The Wave en Arizona, ou le Machu Picchu, éloigner les parkings Exemple La Pointe du Raz. Dans les villes, on peut limiter les locations à vocation touristique au détriment des habitants (quartier Airbnb free), limiter les consommations de drogue et d’alcool (Amsterdam, Baléares), éloigner les cars touristiques (Paris) et limiter les escales des croisières pour améliorer la qualité de vie des résidents Par exemple pour leur permettre un accès aux lieux patrimoniaux.

L’auteur dresse un tableau des possibles, miser sur la programmation. Il développe rapidement l’idée d’un tourisme réflexifRemy Knafou, Le tourisme réflexif, un nouveau fondement d’un tourisme durable, Arbor, 2017 pour un changement de conduiteExemple à Aix-en-Provence au Mémorial du camp des Milles où le visiteur est invité à se questionner.

En guise de conclusion, reprenons les propos de l’auteur Page 124 :

« Le tourisme de demain mêlera probablement des populations avec des attentes et des pratiques divergentes ; entre de nouveaux touristes qui vont faire leur expérience du monde et des touristes plus expérimentés dont le niveau d’exigence vis-à-vis du système touristique ne pourra qu’augmenter et dont on peut espérer des comportements progressivement inspirés par des nécessités sociales et écologiques. »

 

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L’auteur présentait son essai sur France Culture :  « L’enjeu du tourisme est de concilier le souci de la transition écologique avec celui d’aller vers d’autres lieux et d’autres personnes ».

Les podcasts de la Revue Conflits, Émission réalisée par Jean-Baptiste Noé: Réinventer le tourisme, interview de Rémy Knafou