Troisième revue du groupe Aréion à être régulièrement présentée par la Cliothèque, la revue Diplomatie http://www.diplomatie-presse.com/ est consacrée pour les mois de mars et avril 2012 à une présentation de la politique étrangère de la France avec la publication des entretiens des deux principaux candidats à l’élection présidentielle.
On comprend bien entendu ces préoccupations et d’un certain point de vue, lors des débats de la campagne électorale les deux entretiens publiés permettront d’avoir une idée assez précise des projets de François Hollande et du locataire de l’Élysée jusqu’au mois de mai 2012.
Avant de revenir sur les particularités des deux politiques étrangères susceptibles de s’opposer, quelques éléments de présentation du contenu de cette publication qui est, disons-le très clairement, extrêmement séduisante.
Comme il s’agit de la première présentation par la Cliothèque, nous insisterons particulièrement sur les questions de forme et sur les différentes rubriques qui composent cette revue. Ce numéro ouvre sur un sommaire cartographique permettant de situer sur une planisphère les différents points du monde évoqués dans les articles de ce numéro. Tous les continents sont présentés, à l’exception, pour ce numéro de l’Océanie.
Une chronologie des événements internationaux entre décembre 2011 jusqu’au 14 février 2012 rappelle les principaux événements qui se sont déroulés dans le monde pendant cette période. Avant d’attaquer les dossiers deux rubriques rassemblent différents articles, l’une est consacrée à l’actualité du conseil de sécurité des Nations unies et aux résolutions qui ont été votées pendant la période, avec une carte très précise sur l’actualité du soulèvement syrien montrant une sinistre comptabilité des décès enregistrés du fait du soulèvement. Bien entendu, le blocage sinon russe autour de la Syrie est également présenté. La seconde rubrique consacrée à la géopolitique des mers et des océans avec un rappel des différentes tensions qui perdurent en Asie du nord-est, aux protestations des Philippines à l’encontre de la Chine cette fois-ci en mer de Chine méridionale, enfin à une reprise des tensions au large des Malouines, 30 ans après la guerre qui avait opposé la Grande-Bretagne et l’Argentine. Les pays du Mercosur, le marché commun qui comprend l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela ont même décidé d’interdire l’accès de leur port aux navires portants pavillon des îles Malouines/Falklands. On apprend notamment que large de cet archipel des projets de production pétrolière britannique sont envisagées dans une zone où les réserves sont actuellement estimées à 8,3 milliards de barils.
Toujours dans le domaine des hydrocarbures offshore, une agitation semble opposer le gouvernement chypriote, le gouvernement libanais et l’État d’Israël. Un gisement de gaz naturel découvert au large de Chypre suscite la convoitise d’autant que la Turquie estime qu’une partie du gisement se trouve dans sa zone économique exclusive, tout comme dans la zone économique exclusive Israélienne et libanaise. Deux cartes précieuses présentes également les risques maritimes et le déploiement naval dans la période considérée de décembre 2011 à février 2012.
Enfin, un FOCUS sur Haïti et sa situation humanitaire à partir des sources du bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies permet d’avoir une idée précise de la situation du pays qui semble peu à peu s’améliorer puisque le nombre de victimes du choléra semble avoir baissé tout comme le nombre de personnes vivant dans les camps de réfugiés.
Lilian Laugerat présenté comme «expert en négociations de crise» propose un décryptage de l’année 2012 à partir des révoltes, qualifiées d’inutiles. On y met dans le même sac les révoltes arabes de 2011, le développement du mouvement des indignés, les manifestations à Athènes et le rejet de l’actuel président du Sénégal, obligé d’en passer par un second tour pour ce faire éventuellement réélire. Dans cette logique, l’auteur de cet article développe un argumentaire surprenant, puisqu’il présente la révolte comme une forme strictement individuelle d’affirmation en considérant que le collectif est une variable d’ajustement. La conclusion est encore plus surprenante puisque le nouveau point d’ancrage qui permettrait à nouveau de rassembler, sans doute au niveau des entités nationales, et contre la mondialisation, serait la religion. Il n’est pas sûr en l’occurrence, à la lecture de cet article que seul le chemin d’une révolte soit inutile.
Parmi les points chauds de la planète, le Timor-Oriental qui a accédé à l’indépendance après une longue lutte contre la tutelle indonésienne, doit gérer la transition démocratique avec le départ progressif des forces des Nations unies. Ce petit pays issu d’une division d’une des îles de l’archipel indonésien dispose de réserves pétrolières et gazières importantes dans des eaux territoriales contestées par son voisin indonésien mais dont les gisements sont cogérés par l’Australie et le nouvel état du Timor. Dans son environnement régional l’Australie semble exercer une tutelle bienveillante sur le territoire notamment en matière d’organisation des forces de police et des forces armées.
On trouvera dans ce numéro un très solide dossier de prospective sur les terres et l’alimentation, enjeu stratégique pour le XXIe siècle. On étudie dans ce dossier la ruée sur les terres avec les investissements de différents pays émergents sur différents territoires qui mettent à disposition des espaces agricoles pour y favoriser les investissements étrangers. C’est notamment le cas à Madagascar où le groupe sud-coréen Daewoo et le groupe indien Varun ont développé des exploitations rizicoles. Ce qui est à noter c’est que les acquisitions visent forcément les meilleures terres, le plus souvent irrigué table et à proximité des infrastructures ce qui correspond à une dépossession du capital des populations déjà en place. La forêt primaire, notamment en Indonésie, et victime de l’accaparement des terres avec la plantation de palmiers à huile. D’après le rapport de la FAO publié en novembre 2011, la planète aurait perdu 10 ha de forêt par minute entre 1990 et 2005. C’est l’Afrique qui est aujourd’hui en première ligne devant les accapareurs de terre d’autant que les gouvernements locaux font très peu de cas des droits de propriété coutumiers individuelles et collectives des populations locales.
Un entretien avec Jean-Michel Valantin, chercheur en études stratégiques et spécialiste des relations entre sécurité internationale et environnement montre l’émergence d’une géopolitique d’une géostratégie de l’environnement. La financiarisation de la production alimentaire et la nouvelle montée en puissance de la spéculation est favorisée par un mouvement de concentration considérable puisque trois grands groupes contrôlent à présent près de 50 % de la production agricole mondiale. Le changement climatique déstabilise les rythmes de la production agricole mondiale, le cycle de l’eau, avec une multiplication des événements extrêmes qui fragilisent les infrastructures exercent des tensions sur toutes les vulnérabilités directes et indirectes des sociétés contemporaines. La Chine poursuit d’ailleurs sa diplomatie des ressources en négociant son accès aux ressources minérales et agricoles des pays d’Asie centrale, d’Amérique latine, d’Afrique en accompagnant ses projets d’exploitation par des projets de développement. Les Chinois ont été en mesure de proposer un projet de mine de cuivre en Afghanistan dont l’exploitation pourrait débuter en 2013. Ce pays recèle en effet la deuxième plus importante réserve mondiale de cuivre, sans doute après le Chili. C’est dire l’importance que la situation dans ce pays pourra représenter après 2014, si toutefois le retrait occidental est effectif.
Éric Frécon le rédacteur en chef adjoint du magazine propose une synthèse du fonds international de développement agricole du programme alimentaire mondial. La crise alimentaire de 2008 a eu des conséquences majeures sur des populations qui était en situation d’insécurité alimentaire. De grands pays agricoles comme le Brésil, la Chine ou l’Inde ont pu favoriser la flambée des prix sur les marchés internationaux en restreignant leurs exportations. D’après les auteurs du rapport, les prix des denrées alimentaires vont rester vraisemblablement élevés et volatiles puisque la demande des consommateurs devrait augmenter, ce qui sera de plus aggraver par la hausse des prix du pétrole favorisant le développement du secteur des biocarburants. Une carte très précieuse de la sécurité alimentaire du contrôle des terres arables permet d’avoir une idée très précise du phénomène en cours qui touche principalement les pays de l’Afrique subsaharienne.
Mickaël Roudaut présente une géopolitique de la crise, des monnaies et de la fraude. D’après cet administrateur à la direction générale des affaires intérieures de la commission européenne, le manque de rigueur bancaire à faciliter la constitution de passerelles entre les secteurs illicites de l’économie et les secteurs illicites. Des services financiers dans les pays développés permettent très clairement de favoriser le blanchiment. L’article est extrêmement documenté et s’appuie sur des chiffres qui dépendent notamment des services des Nations unies sur les estimations des flux financiers illicites résultant du trafic de drogue conduits par les organisations de la criminalité transnationale. Un intertitre dans l’article affirme que : « si l’économie criminelle était le fait d’un État, sa puissance lui octroierait de facto une place au sein du G8, au niveau de l’Italie, soit la sixième puissance mondiale. » Il semblerait, à la faveur de la crise financière de 2008, que des prêts interbancaires est été financés par des capitaux provenant du trafic de drogue et d’autres activités illégales. Évidemment, il ne semble pas qu’il y ait des preuves incontestables mais l’origine de cette information et l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime. La masse des capitaux à la fois détournés et apportés par les organisations criminelles transnationales ont pu et peuvent encore ébranler des états. C’est déjà le cas de la Grèce victimes de la corruption et de l’évasion fiscale. En 2010 le seul marché immobilier londonien a très clairement la fraude et l’évasion fiscale ne sont pas la seule explication à la crise de la zone euro mais elles demeurent un élément conséquent de sa pérennisation.
Un atlas avec six cartes de l’économie opaque et illicite termine ce dossier. On y trouve des cartes récentes sur la corruption mondiale les paradis fiscaux et une très intéressante carte sur la transparence des fonds souverains. La carte de l’économie informelle et criminels dans le monde est également tout à fait significative. On s’aperçoit que la France mais aussi la vertueuse Allemagne se situe entre 10 et 20 % de la part du PIB du pays. En fait lorsque l’on parle d’économie informelle, cela se décompose en trois types : l’économie familiale et conviviale, que l’on peut difficilement qualifier d’illicites et l’économie souterraine clandestine qui regroupe l’ensemble des revenus générés par le travail au noir, les délits économiques et les activités criminelles. Dans le top dix des activités criminelles, le trafic de drogue nationale pèserait 670 milliards de dollars, la contrefaçon 585, la contrefaçon de médicaments 100 milliards, juste devant la prostitution à 187 milliards.
La revue se conclut par un très important dossier sur le repli isolement géostratégique américain en Asie-Pacifique mais également par un grand retour de la Russie. La montée en puissance de la Chine, cela n’étonnera personne, suscite de la part des États-Unis une nouvelle politique d’encerclement qui rappelle très clairement ce qui a pu se passer pendant la guerre froide. La nouvelle doctrine américaine a été publiée en janvier 2012 est très clairement la croissance de la puissance militaire chinoise est envisagée comme une menace. Les États-Unis s’appuient sur leurs alliés traditionnels, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, les Philippines et la Thaïlande. Si l’on évoque bien entendu des relations constructives avec la Chine, cela ne veut pas dire pour autant que l’on ne s’intéresse pas à une forme de projection de puissance favorisée par la présence dans l’océan Pacifique de la troisième et de la septième flotte.
L’entretien avec l’actuel occupant de l’Élysée est consacré à une sorte de plaidoyer du candidat UMP en matière de politique étrangère. Le candidat sortant est interrogé sur la réintégration pleine et entière de la France au sein de l’OTAN et justifie ce choix. Pourtant, le rédacteur en chef de la revue, Alexis Bautzmann qui conduit l’entretien interroge le candidat sur l’Europe de la défense qui semble avoir été sacrifiée sur l’autel du rapprochement franco-américain. De la même façon, malgré l’intervention dans le conflit Russo géorgien en août 2008, il ne semble pas, que la situation se soit stabilisée et le respect de l’intégrité territoriale de la Géorgie par Moscou soit encore loin d’être acquis. En fait, et quelle que soit la pertinence des questions posées, on ne trouvera pas à de grandes révélations dans cet entretien. Très clairement, l’article apparaît comme un recueil d’affirmations générales sur les grandes orientations de la politique étrangère de la France avec peut-être une petite musique différente concernant la Turquie, considérées avec une sorte de respect, comme nouvelle puissance émergente, ce qui est tout de même une façon de rappeler l’opposition du candidat sortant à l’entrée de la Turquie au sein de l’union européenne.
François Hollande est interrogé sur les relations franco-allemandes et il tire un bilan pour le moins négatif de l’action de son adversaire dans ce domaine. Il rappelle tout simplement ses objectifs de renégociation du traité permettant une association des partenaires européens autour des objectifs de croissance. Le bilan de la présence française au sein de l’OTAN, avec une décision qui a été prise sans débat et sans consultation de la représentation nationale est considéré comme négatif dès lors que l’Europe de la défense ne semble pas avoir avancé. François Hollande demande d’une réévaluation. Pour ce qui concerne l’Afghanistan, le rappel de l’engagement de retirer les soldats dès la fin de l’année 2012 s’inscrit dans une démarche de clivage sur laquelle on pourrait toutefois s’interroger. Très clairement, on sait bien que les périodes de retraite rendaient les armées beaucoup plus vulnérables, ce que certains épisodes dramatiques ont aisément démontré le fait que les forces occidentales en général, et français en particulier, se voient cantonnées dans des zones réduites favorisent l’appropriation du territoire par les insurgés talibans.
C’est sans doute dans les relations avec la Russie et avec la Chine que François Hollande marque peut-être le plus sa volonté de fermeté. Mais là aussi, les questions posées sont bien celle des moyens de pression sur de grandes puissances. Le rédacteur en chef incite en fin d’entretien François Hollande à traiter de l’union pour la Méditerranée, la grande initiative du président sortant en 2008, initiative qui n’a pas été véritablement poursuivie, ce qui permet à François Hollande de parler de désinvolture.
Proposée un prix modique, avec une infographie d’excellente qualité et une mise en page très attractive cette publication gagne à être connue. Elle rend accessible grâce à des articles de synthèse des rapports émanant des organisations internationales qui sont parfois indigestes pour les non-spécialistes, et les articles de fond de ce numéro sur l’opacité des circuits financiers internationaux ou le redéploiement stratégique des États-Unis en Asie orientale sont parfaitement documentés et méritent de servir de référence.
Bruno Modica