LIillustration est surtout connue pour ses articles de fond, ses gravures, ses photos informatives, et sa publication d’œuvres littéraires. Ce magazine qui s’adressait à une minorité aisée a toujours été à la pointe de la modernité, aussi bien dans la gestion de ses correspondants, envoyés là où se passaient des événements, que pour les techniques luxueuses de la gravure avant le passage à la photographie. Mais l’Illustration comportait aussi petites histoires et dessins humoristiques, rarement étudiés. C’est ce que se propose de faire Robert Galic à travers les dessins d’un auteur, Henri Henriot et pour une période bien précise, celle de la Grande Guerre.

(la première édition portait un titre différent : Les dessins de Henri Henriot dans L’Illustration et l’histoire de la Première Guerre mondiale, éd. Amalthée, 2008. 348p,)

Quand la guerre éclate, Henri Maigrot (qui a contracté son nom et son prénom en Henriot, son nom de plume, nom plus tard rendu célèbre par son fils, l’académicien Emile Henriot) a depuis longtemps délaissé une carrière de haut-fonctionnaire et collabore depuis plus d’une vingtaine d’années à l’Illustration, tout comme au Charivari ou au Journal amusant.

A l’Illustration, il est chargé d’une série humoristique « la semaine comique », série de longue durée, puisqu’elle commence en 1890 et se termine à sa mort, en 1933.

Tout comme les autres articles de l’Illustration, la période 1914-1918 est entièrement occupée par la guerre et les dessins d’Henriot, ironiques mais jamais agressifs suivent les différents événements ou les préoccupations des Français.

C’est aux différentes péripéties de la période que ce livre est consacré. L’auteur, Robert Galic, a déjà publié aux éditions de l’Harmattan en 2010 : La Révolution russe et la Guerre Mondiale, nouvelles de Russie janvier 1917-Mars 1918 : décryptage à partir du journal l’Illustration, en 2011 : Une publicité de guerre. Les annonces dans le journal l’Illustration, 1914-1918 et en 2013 : les colonies et les coloniaux dans la Grande Guerre. L’illustration ou l’histoire en images. Autant dire que ce périodique pendant cette période n’a plus de secrets pour lui.

Après avoir indiqué quelle serait son approche (« les dessins sont d’abord sélectionnés puis regroupés en grands thèmes et classés…/…Ils sont ensuite explicités en utilisant des documents annexes émanant du journal L’Illustration lui même, photos, autres dessins, extraits d’articles »), il organise son livre en quatre parties : « une guerre longue et mondiale », « une guerre totale », « représentation et visions des belligérants », et « la fin de la guerre, le bilan et les perspectives ».

La première partie, « une guerre longue et mondiale » est l’occasion pour Robert Galic de reprendre les différents éléments qui caractérisent le conflit : l’augmentation du nombre de belligérants tout d’abord, et la généralisation des affrontements, ce qui pose bien des problèmes aux géographes amateurs qui essaient de suivre. Ils sont représentés à plusieurs reprises par Henriot avec en général un couple dont le mari essaie d’expliquer à sa femme qui ne comprend rien où se situent telle ville ou tel fleuve (représentation traditionnelle du masculin et du féminin…). Le conflit qui s’éternise est un autre thème illustré par différentes vignettes ou petites histoires. Enfin, le conflit vu de la Lune ou de la planète Mars fournit également matière à dessins. Dans cette première partie, c’est en grande partie la chronologie qui a déterminé la présentation des dessins d’Henriot.

La deuxième partie, « une guerre totale », est organisée thématiquement, à la fois autour des dessins d’Henriot et de nombreux autres extraits de l’Illustration, tels que croquis, photos, aquarelles notamment de Georges Scott. C’est tout d’abord « l’Union sacrée » qui est abordée en s’appuyant sur quelques dessins ironiques de Henriot, puis « au front : les tranchées » occasion de décrire des éléments de la vie quotidienne des poilus, les rats, le pinard, les changements d’uniforme. Robert Galic s’intéresse ensuite à « l’armement » avant d’aborder la période « 1915-1917 : guerre de position, guerre d’usure », d’ailleurs davantage illustrée par d’autres extraits de L’Illustration  que par les dessins d’Henriot. C’est ensuite « l’arrière : le front intérieur » qui fait l’objet d’une présentation qui commence par le financement de la guerre, les fabrications de guerre, les problèmes d’approvisionnement et la pénurie, tout comme la censure, occasions de nombreux dessins d’Henriot.

La troisième partie, « Henriot : sa représentation, sa vision des belligérants » est l’occasion pour l’auteur de se demander si Henriot participe au « bourrage de crâne ». Il est vrai que sa présentation des Allemands (« les barbares », premier chapitre de cette partie) est une dénonciation constante de la barbarie et de la lâcheté germaines : attaque d’ambulances et de populations civiles, traitements à l’égard des prisonniers, pillages. « La protestation de Don Quichotte » illustrée par une planche de Henriot est ensuite l’occasion d’aborder la neutralité espagnole.
Enfin, le dernier chapitre, « les lauréats » montre la distribution de lauriers faite par Henriot aux poilus et aux Alliés, alors que l’Illustration publie, numéro après numéro, le « tableau d’honneur » des soldats qui se sont illustrés.

Dans la quatrième partie, « 1918 : la fin de la guerre, le bilan, les perspectives » Robert Galic aborde tout d’abord les derniers mois de la guerre avec « la défaite des puissances centrales » : de nombreux croquis, de nombreuses photos complètent les dessins d’Henriot pour montrer l’incertitude que font planer les dernières offensives allemandes, puis le succès des Alliés. Il s’intéresse ensuite aux « vaincus et aux vainqueurs », ce qui lui permet de montrer les dessins triomphants d’Henriot et de compléter par de nombreuses photos extraites de  L’Illustration . Il traite ensuite du « bilan de la guerre. Mais qui a vraiment gagné la Première guerre mondiale ? », et là nous retrouvons les dessins d’Henriot croquant les nouveaux riches, les reconversions fantaisistes du matériel de guerre et la forte présence des États-Unis. Enfin, « la paix…mais quelle paix ? » fait état des espérances et du scepticisme, deux sentiments alors faciles à éprouver.

La conclusion oppose le témoignage d’un contemporain d’Henriot et la propre vision de Robert Galic. Les deux soulignent à quel point Henriot recherchait malgré la dure période, à faire sourire, et c’est probablement le trait le plus significatif de ce dessinateur qui est révélateur des modes de pensées dominants et qui a accompagné les lecteurs de l’Illustration semaine après semaine de ses petits dessins ironiques.

Le livre en lui même a un intérêt certain, malgré quelques redites et des paraphrases probablement inutiles car les légendes des dessins sont la plupart du temps explicites. Finalement, le premier titre de l’édition de 2008, Les dessins de Henri Henriot dans L’Illustration et l’histoire de la première guerre mondiale, semblait plus adapté au contenu de l’ouvrage car celui-ci n’est pas entièrement centré sur Henri Henriot et ses petits dessins.