Cet article d’un peu moins de vingt pages revient sur la Première Guerre mondiale, sur cet évènement traumatique sous l’angle de la commémoration.

Il est une déclinaison du CR de l’ouvrage : « Europa. Notre histoire »

Les commémorations du centenaireL’auteur en distingue plusieurs sortes : il y a celles organisées par les Etats et celles organisées par la société civile. Elles se recouvrent parfois. Les secondes ont beaucoup insisté sur le coût humain. Jay Winter évoque ce besoin de commémorer par quelques caractéristiques de la société actuelle. Cela peut s’expliquer dans une société où la pratique religieuse a baissé et où donc la commémoration peut jouer un rôle social. Il insiste également sur le développement de la généalogie et de l’histoire familiale dans des sociétés où le divorce est fréquent. Bref, la commémoration comblerait en partie des liens familiaux distendus.

L’armée des disparus

Jay Winter montre ensuite que la moitié des morts de la guerre n’a pas de sépulture et que deux tiers des tués au combat l’ont été à distance. «  Ce que les bombardements aériens infligèrent aux populations urbaines pendant la Seconde Guerre mondiale, l’artillerie l’infligea aux soldats de 1914-1918 ». Cette importance des disparus a des conséquences dans la façon de commémorer : un véritable culte des noms, l’érection de sépultures vides et la création de lieux pour recevoir la dépouille d’un soldat « inconnu » . Jay Winter détaille le cas du monument d’Edwin Lutyens dédié aux soldats français et britanniques disparus sur les champs de bataille de la Somme, où se révèle, lorsqu’on approche, le nom de 73 000 morts qui n’ont pas de sépulture connue.

Les trois booms mémoriels

L’auteur montre que le premier boom mémoriel a eu lieu après la guerre avec une commémoration qui se traduit par une forte demande en livres ou films. Le deuxième a débuté dans les années 80 et s’est traduit par un souci de conserver les témoignages et par un développement des musées sur cette époque. Le troisième boom mémoriel a eu lieu au début du XXI ème siècle. «  Chacun de ces trois booms mémoriels révèle que la manière dont on se souvient affecte profondément ce dont on se souvient. La Grande Guerre n’est pas la seule force motrice de l’actuel boom numérique, mais elle en constitue un élément majeur »

Témoins et témoignages

Jay Winter poursuit donc autour de la question des témoins. Les premiers ont été ceux qui l’ont vécue, et les mémoires de soldats constituèrent un « marché éditorial mondial ». Prolongeant sa réflexion, l’auteur montre qu’aujourd’hui « Témoigner est devenu un phénomène mondial ». Il s’interroge également sur la mémoire traumatique en mettant en avant deux idées : la transmission de l’expérience traumatique de rescapés de guerre et les effets thérapeutiques potentiels de la remémoration.

Jay Winter conclut sur le fait qu’il existe aujourd’hui « des souvenirs divisés entre l’ Europe occidentale et l’Europe orientale ». L’évènement a donc marqué le continent, l’a façonné, et pour autant il n’y a pas de mémoire européenne de la Grande guerre.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes