Propos de l’éditeur :

« Considéré par le colonel Passy, qui l’a fondé à Londres en 1940, comme « une des principales unités combattantes de la France libre », le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) s’est concentré sur un triple objectif : recueillir des renseignements sur ce qui se passait en France, soutenir les résistants de l’intérieur dans leur combat et imposer à ceux-ci la tutelle du général de Gaulle.

Grâce à des fonds d’archives exceptionnels, Sébastien Albertelli retrace l’aventure des personnages hors du commun qui marquèrent l’histoire de cette institution. Il détaille les relations compliquées et fluctuantes entre le général de Gaulle et les services secrets, étudie avec minutie les rapports tumultueux du BCRA avec les Anglais ou les Américains et démonte la légende noire que les déçus du gaullisme et les communistes s’ingénièrent à colporter sans attendre la fin de la guerre.

Un travail de recherche remarquable qui permet de comprendre comment et avec quel succès les services spéciaux ont mené la lutte contre les Allemands et Vichy. »

 

L’auteur, Sébastien Albertelli, agrégé et docteur en histoire, est spécialiste de la France libre, de la Résistance et des services secrets. Il a publié chez Perrin une Histoire du sabotage (2016) et Elles ont suivi de Gaulle. Histoire du Corps des Volontaires françaises (2020).

Sébastien Albertelli a découpé son ouvrage en quatre parties :

– Une année pour apprendre juillet 1940-1941

– Le BCRA entre la France libre, les mouvements et les alliés septembre 1941 – octobre 1942

– Le BCRA entre de Gaulle et Giraud novembre 1942 – novembre 1943

– Reprise en main et changement d’échelle novembre 1943 – été 1944

Fin juin 1940 une partie des troupes françaises du corps expéditionnaire de Norvège se retrouve à Londres. Le général de Gaulle y puisera ses premières recrues pour créer le BCRA, pour la plupart des hommes jeunes et novices en matière de renseignement, comme le capitaine Dewavrin (« Passy ») nommé chef des 2e et 3e Bureaux de l’état-major (c’est-à- le renseignement et les opérations). Passy à son tour recrutera des vétérans de Norvège : Maurice Duclos (« Saint-Jacques »), Raymond Lagier (« Bienvenüe »), Beresnikoff (« Corvisart »), Jean Martin (qui deviendra son secrétaire), Georges Lecot (« Drouot ») et André Manuel « (…) dont le rôle n’allait cesser de croître jusqu’en 1946. Cet officier doit être considéré, avec Passy, comme le créateur du BCRA. » (p. 28)  « A partir de l’été 1942, il [Passy] se reposa de plus en plus sur Manuel. » (p. 142) « … il devint officiellement son adjoint. » (p.143).

D’autres hommes rallièrent par la suite le BCRA et furent affectés dans ses services : Roger Warin (« Wybot » à la section contre-espionnage), Jacques Bingen (à la section non militaire), Stéphane Hessel qui intégra le SR section R. A partir de 1942, le BCRA recruta « (…) pour travailler à Londres des agents brûlés sur le terrain. » (p. 145).

La mise en place de l’organisation et son évolution se sont faites non sans tensions en interne (luttes de pouvoir, inimités, stratégies divergentes) mais aussi à l’extérieur, conséquences des relations difficiles avec les Britanniques.

Le 2e Bureau du BCRA de juillet 1940 devint le Service de Renseignement (SR) en avril 1941, puis le Bureau central de renseignements et d’action militaire (BCRAM) intégrant les fonctions de renseignement, action et la création d’une section de contre-espionnage (CE) en janvier 1942, pour redevenir le BCRA en juin 1942, avant de se fondre dans la Direction générale des services spéciaux (DGSS) en 1943, elle-même fruit de la fusion avec les services giraudistes.

            Les tensions en interne révèlent la lutte, dès l’été 1940, pour la prise du contrôle du 2e Bureau. De Gaulle voulu conserver son indépendance vis-à-vis du vice-amiral Muselier dont les services – les Forces navales françaises libres naissantes – disposaient de spécialistes compétents du renseignement. Evincés, Muselier et son entourage restèrent d’actifs propagandistes de la « légende noire du BCRA », tirant parti de la moindre faille, pour attaquer de Gaulle.

Le fort sentiment de défiance à l’encontre des services secrets remontait à « l’affaire Dreyfus » où leur action occulte fut révélée. Pendant l’entre-deux-guerres, les collusions entre les services secrets et l’extrême droite cagoularde firent l’objet de campagnes de presse. 

            Les relations ont été difficiles entre le BCRA et les Britanniques qui disposaient de puissants services : l’Intelligence Service (IS) et le Special Operations Executive (SOE), ce dernier service étant dédié à l’action subversive dans les territoires occupés par l’ennemi ( « section F » pour la France).

De plus, une certaine hostilité régnait entre les responsables de l’IS et leurs homologues du SOE et des manœuvres de l’IS visaient à empêcher Passy de nouer des relations avec le SOE.

Le service de Passy subissait les à priori xénophobes des responsables du SOE défavorables aux services secrets français d’avant-guerre. Les Britanniques maintenaient leurs relations avec Vichy.

De Gaulle est toujours resté méfiant vis-à-vis des Britanniques, qu’il soupçonnait, entre autres, d’avoir des vues sur les colonies françaises. Ses relations avec Churchill furent marquées par plusieurs crises.

En septembre 1941, de Gaulle, de retour à Londres après un périple de six mois en Afrique et Moyen Orient, fut mis en quarantaine par Churchill. L’épreuve de force aboutit à la création d’un Comité national français (CNF) composé de huit commissaires nommés par décret sous la présidence de De Gaulle, et d’un commissariat national de l’intérieur (CNI).

Passy entreprit des démarches pour clarifier les relations du SR avec l’IS et le SOE. A la fin de l’été 1941, le SR avait rompu son face-à-face exclusif avec l’IS et Passy avait réussi à nouer des relations de coopération avec le SOE qui créa une seconde section française : la section « RF ».

 « Le SR et le SOE définirent le type d’actions qu’ils entendaient conduire ensemble en France. (…) » (p. 92), le SOE assurant les moyens techniques et le SR prenant en charge la préparation technique des missions.

Les tensions demeurèrent entre le BCRA et l’IS. Les responsables du BCRA étant dans l’attente d’un débarquement allié dès 1942 refusèrent de rester concentrés sur le renseignement, pour préparer la coordination de « (…) l’action militaire au moment du déclenchement des opérations sur le continent. »  (p. 190)

Avant le déclenchement de « l’opération Torch » (débarquement des Alliés en Afrique du Nord le 8 novembre 1942), les Français libres espéraient contourner l’obstacle britannique en s’appuyant sur les services américains de l’Office of Strategic Services (OSS).

            Dès octobre 1940, un débat anima le cercle restreint des responsables du mouvement au sujet du contenu des émissions françaises de la BBC. Les officiers et les premiers agents du 2e Bureau, enfants de la bourgeoisie, affichaient des idées de droite, certains revendiquant ouvertement leur antisémitisme et leur antimaçonnisme.  Les réticences étaient vives vis-à-vis des hommes du Front Populaire (socialistes, syndicalistes) et les membres du SR restaient proches de Vichy.  « En 1940 et 1941, tous les agents gaullistes nouèrent des contacts, plus ou moins consciemment, avec les services secrets de Vichy » (p. 131) mais, le plus souvent, il se furent des initiatives personnelles.

L’adhésion en France derrière De Gaulle pouvait s’interpréter par le fait que c’était un homme inconnu, qui ne pouvait être rattaché à aucun parti d’avant-guerre et ne s’était pas trouvé impliqué dans les dysfonctionnements de la démocratie parlementaire sous la IIIe République.

 De Gaulle, quant à lui, campa fermement sur ses positions vis-à-vis de Vichy.

« En novembre 1940 à Brazzaville, De Gaulle affirma l’illégalité et l’inconstitutionnalité de Vichy et la prétention de la France libre à incarner l’autorité centrale provisoire de la France. » (p.112).

Fin mars 1941 Passy « Effrayé à l’idée de voir l’Afrique du Nord basculer côté allemand avec l’aide de Darlan, [il] estima qu’il était temps de « discréditer » les hommes de Vichy. » (p. 123) ; « Face à la collaboration croissante des responsables de l’Etat français avec l’occupant, (…) profondément méfiant à l’égard de toute initiative venue de Vichy. » (p. 130)

A partir de septembre 1941, de Gaulle fut incité à assumer son rôle politique par la nécessité de coordonner les multiples actions des organisations résistantes en France et les relier à la France libre, pour éviter de laisser la voie libre aux aspirations politiques des responsables des mouvements (Franc-Tireur).

De Gaulle fit le choix d’exclure le SR du champ de l’action politique par sa volonté de ne pas confier la politique aux militaires.  L’action politique en France fut dévolue au commissariat de l’intérieur (CNI) de Diethelm (et son successeur Philip) puis en juin 1942, à une section « Non Militaire » créée au sein du BCRA.

Dès 1940, De Gaulle avait fixé sa priorité sur l’Afrique du Nord (AFN) où, sur la foi de témoignages, il lui semblait qu’il y avait une résistance militaire, mais la mission qui y fut lancée en septembre échoua.

Des agents furent envoyés en France métropolitaine pour établir les bases d’un réseau de renseignements grâce à la mise en place de postes radio  (Mansion, Saint-Jacques accompagné de Corvisart, Renault alias « Raymond » puis « Colonel Rémy » le fondateur du réseau Confrérie Notre-Dame , Fourcaud alias Lucas, etc.). A partir de 1942, le BCRA recruta « (…) pour travailler à Londres des agents brûlés sur le terrain. » (p. 145).

Après le ratage de la première mission Savanna en mars 1941 (projet d’attentat visant la Luftwaffe près de Vannes), la mission Joséphine B. début juin 1941 (sabotage de la station électrique de Pessac), initiée par le SOE et réalisée par des agents français, fut un succès.

Du début à la fin, le BCRA a manqué d’agents et de moyens techniques restant dépendant des Britanniques pour sa logistique et ses transmissions.

« C’est entre septembre 1941 et octobre 1942 que furent établis, puis institutionnalisés, les liens entre la France libre et les mouvements de résistance. Sur le terrain, l’artisan majeur de cette liaison fut Jean Moulin (…) »   (p. 187), délégué du Comité national en Zone Nord Occupée .

            Les services secrets de Giraud virent d’un mauvais œil les efforts du BCRA pour s’installer en AFN et l’implantation en Angleterre d’antennes des services d’Alger entraîna l’arrivée de nombreux officiers giraudistes. Le BCRA redoutait la fusion avec les services d’Alger et de tomber sous la coupe d’anciens de Vichy qui auraient l’objectif d’éliminer les agents gaullistes du SR.

En Corse, en Espagne, et à Gibraltar les services gaullistes et giraudistes s’engagèrent sur le terrain dans une compétition acharnée pour leur contrôle politique.

Une crise fut déclenchée en été 1943 par les antis gaullistes qui accusèrent le BCRA de se livrer à des activités politiques par l’intermédiaire du CE, qui, sous couvert de constituer un fichier des ennemis et sympathisants grâce au recueil d’informations auprès des agents arrivant à Londres, préparait un outil de propagande au service d’un aspirant dictateur.

Malgré les multiples attaques subies par le BCRA, Passy put compter sur Manuel, Brossolette et Bingen pour développer efficacement l’activité du BCRA.

Même si les services alliés eurent parfois du mal à le reconnaître officiellement, ils bénéficièrent de l’apport important des renseignements sur la France transmis par le SR gaulliste qui représentèrent entre 75 et 95% des informations sur l’armée de l’occupant.

1943 est l’année du passage à un renseignement de masse : le volume de télégrammes reçus entre  1942 et les huit premiers mois de 1944 fut multiplié par dix (920 en 1942 à plus de 8000 en 1944) ; le volume des courriers quant à lui quadrupla.

La présente parution sous un format de poche, reprend l’ouvrage de Sébastien Albertelli publié en 2009, fruit d’un important travail de recherche.

L’accès à d’abondantes sources françaises parmi lesquelles, les archives du BCRA disponibles depuis 1998 mais aussi celles des principaux services alliés avec lequel le BCRA a travaillé a permis à l’auteur de prendre de la hauteur au-delà de la légende noire, de la partialité des mémoires et des travaux de spécialistes. Sébastien Albertelli montre que l’histoire du BCRA est indissociable des histoires des hommes qui se sont mis à son service :   simple service secret en 1940, devenu indissociable « de la France libre, de la France combattante puis du Comité français de la libération nationale (CFNL) » (p. 18) mais aussi de la Résistance française.