La réforme territoriale est actée : les deux Normandies ont fusionné. Dans le berceau de la géographie des représentations, de l’espace vécu, un Groupe de quinze géographes normands formé depuis 2011 réfléchit aux questions d’identité, de développement économique et à l’exercice de la citoyenneté dans ce nouveau cadre. Ils ont réuni lors d’un colloque à Cerisy (juin 2015) des experts pour analyser cette nouvelle échelle.

La fusion des deux Normandies constitue la volonté de ce think tank géographique suite à un constat sans concession de la situation des deux petites régions : « 1. Depuis les années 1970, la Normandie est en déclin quasi-continu. Presque tous les indicateurs sont convergents. 2. La division en deux petites régions s’est révélée un cadre insuffisant pour le développement d’un projet de quelques poids. Il fallait donc réunifier ou unifier la Normandie, un territoire et un nom. 3. Les rivalités traditionnelles entre les trois villes de Caen, de Rouen et du Havre sont mortifères depuis trop longtemps. Elles doivent être dépassées pour promouvoir une métropole normande tricéphale, entre Paris et la mer. 4. Le réseau dense des petites villes et des villes moyennes, de la côte à l’intérieur, doit favoriser la permanence de campagnes vivantes, autre richesse, vitale de la Normandie. 5. De nouveaux modes de participation doivent être trouvés et mis en œuvre pour rapprocher les décideurs régionaux et les citoyens. » (p. 6).

Pour alimenter le débat, les géographes normands ont invité des grands noms de la géographie pour réfléchir à la place tenue par l’identité, la territorialité et même à celle de la région comme cadre opportun de gestion des territoires si sont pris en compte les métropoles, les choix des individus, les flux et les réseaux. « Moins connue que les espaces  » intimes » de proximité, la région s’intercale entre ces lieux familiers de la quotidienneté et des espaces plus lointains et plus déroutants. Elle est donc un point d’équilibre entre l’environnement immédiat d’un individu, son lieu de vie et d’action quotidien, et des abstractions, l’État, de grands espaces comme l’Europe. » (p. 127).

L’ensemble des actes publiés présente des approches variées du sujet. Marie-Claire Robic examine la place de la région dans l’école française de géographie en analysant les mutations de cet espace passant de la région naturelle à la région fonctionnelle, en écho au texte d’Arnaud Brennetot revenant sur l’histoire de la régionalisation administrative. Guy Di Méo interroge la région sous l’angle de la territorialité alors que Jacques Lévy estime que les métropoles sont les structures majeures autour desquelles la nouvelle carte des régions aurait dû être redessinée. « Quand on la confronte aux enjeux contemporains, la réforme territoriale menée par le gouvernement français en 2014-2015 semble venir d’une autre planète, avec un parfum de XIXème siècle en plein XXIème. » (p. 81). De nombreux articles reviennent sur l’histoire de la Normandie et sur son « identité non « identitaire » » (p. 103) contrairement à celle de la Bretagne. C’est d’ailleurs à des travaux d’historien (HDR de Florian Mazel, L’évêque et le territoire, Seuil, 2016) que se réfère Martin Vanier en conclusion de l’ouvrage : « En passant, on apprend que l’Église, à laquelle on doit rien moins que les paroisses, fondement historique du fait communal, parfois qualifié de génétique pour l’espace français, s’est d’abord spatialement inventée comme un réseau, mouvant et proliférant, avant de constituer la matrice territoriale que l’on sait. » (p. 311). La trialectique « territoires-réseaux-lieux » apparaît hier comme aujourd’hui ou demain comme la seule clé de lecture pertinente de la région, même si la nouvelle carte régionale n’en témoigne pas vraiment…

Au-delà d’une réflexion sur le cadre pertinent de la région, l’ouvrage rassemble des articles examinant les opérations d’aménagement menées par le passé dans le périmètre de la nouvelle Normandie : port d’Antifer, ville nouvelle du Vaudreuil, Port 2000 sans oublier l’axe Seine du plan Grumbach ou ceux concernés dans l’estuaire de la Seine ayant le mérite de relier les deux Normandies, même si son appropriation par les habitants n’est pas si évidence comme en témoignent les cartes publiées dans l’article de Mihaela Axente. La deuxième partie de l’ouvrage consacrée à l’analyse de ces aménagements comporte également des documents exploitables pour une étude de cas sur la nouvelle Normandie, comme ceux illustrant l’article de Robert Hénin. Le cas normand est mis en perspective avec des exemples frontaliers choisis dans la nouvelle région des Hauts de France comme en Île-de-France (cas de Paris-Saclay traité par Pierre Veltz). Enfin, la question régionale est analysée, dans la dernière partie, à l’aune de la citoyenneté avec, par exemple, le texte de Philippe Subra analysant la place de la démocratie participative dans le phénomène Zadiste mais également en élargissant la réflexion à l’échelle européenne avec le texte de Guy Baudelle.

Il est paradoxal que, malgré le caractère proprement géographique de cette réforme territoriale, le gouvernement n’ait pas fait appel à ceux-ci pour acter cette refonte de la carte, comme le souligne à juste titre Denise Pumain. Elle estime que « nous ne sommes pas prêts encore, collectivement, à identifier « les outils intellectuels mobilisables pour penser la réforme territoriale et (…) les pratiques à mettre en œuvre dans l’action » repris dans sa conclusion par Marie-Claire Robic. (p. 210) ». « (…) Les géographes n’ont guère pu faire avancer jusqu’ici leurs recherches au point de pouvoir proposer au politique des instruments d’analyse opérationnels qui réunissent toute la subtilité des connaissances accumulées sur les réseaux et les territoires. » (p. 217). Le temps de la géographie active et appliquée est bien loin…

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes