Les 20 contributions de l’ouvrage(12 en français, 8 en anglais), présentées en respectant leur ordre d’apparition, qui lui-même suivait l’ordre géographique par régions du nord au sud de ce vaste continent, dressent l’état de la recherche dans divers domaines de cet art du néolithique et montre bien le foisonnement de la recherche actuelle qui utilise un grand nombre d’analyses diverses qui vont des plus techniques aux plus classiques.
Les géographes trouveront plaisir au travers des articles sur l’utilisation d’un SIG : celui-ci permet de connaître l’agencement des gravures dans l’espace et dans le temps (Benoît Poisblaud «Système d’Information Géographique et art rupestre : premiers résultats avec 100 scènes du site djiboutien d’Abourma ») ; les férus de techniques liront avec plus d’attention les pages qui concernent la datation par le radiocarbone et la thermoluminescence. Elles ont permis de développer un protocole précis de caractérisation et d’échantillonnageSEM-EDS scanning electron microscopy with energie X-Ray spectrometry…) (Adelphine Bonneau, David G. Pearce et Thomas Higham à propos de l’art rupestre San en Afrique du Sud, Lesotho et Botwana). Les traitements d’images par photoshop et Dstretch ne sont pas oubliés. Ceux-ci donnent une meilleure vue des représentations abîmées (à propos de l’art rupestre d’Ozan Ehéré, Tasîli-n-Ajjer, Amel Mostefaï-Ithier). Enfin, l’utilisation de la géomorphologie, la stratigraphie des couches sédimentaires et l’étude des paléoclimats n’est pas oubliée non plus. Ils apportent des élèments capitaux pour une meilleure compréhension de la chronologie (« Chronostratigraphie… », Malika Hachid, toujours dans le Tasîli).
Les études liées à la chronologie.
La chronologie est en effet un des problèmes importants des recherches sur l’art rupestre actuel et les études plus techniques que nous avons présentées ci-dessus sont le complément de la classique typo chronologie qui s’attache à définir les styles artistiques et leur chronologie afin d’essayer d’appréhender les articulations internes de l’ensemble rupestre.
L’article qui concerne le Haut-Atlas marocain (« Le métal dans l’art rupestre… » d’Alain Rodrigue) s’est ainsi attaché à dégager une approche chronologique basée sur la métallurgie (2000 BC – 1500-800 BC) au travers des représentations rupestres. L’approche chrono-culturelle est quant à elle convoquée pour insérer les sites tunisiens dans le contexte plus large de l’Afrique du Nord. On recense dans les sites de la Dorsale, terminaison de l’Atlas saharien, pas moins de 5 styles différents qui vont de l’époque préhistorique aux époques historiques en passant par la protohistoire (Sophie Yahia-Achèche, « Approche chrono-culturelle de l’art rupestre de Tunisie… »).
On notera que les recherches sont encore à développer dans cette région, comme dans de nombreux sites du continent, afin de compléter le savoir sur les populations du néolithique et c’est donc à un début d’inventaire auquel on assiste.
Loin de s’opposer, ces méthodes, techniques et classiques, se rejoignent. Elles essaient d’atteindre une meilleure compréhension de l’occupation humaine au travers de cet art. On pense à l’étude « Rock art landsape of the central Saharan massifs » de Marina Gallinaro dont l’objectif est de « définir diverses modèles de l’occupation des massifs centre-sahariens durant l’Holocène à travers l’analyse des traits culturels et l’utilisation de l’espace » ; à celle qui concerne la territorialité dans l’art rupestre avec l’étude de trente sites nouvellement découverts dans la province de l’Eastern Cape en Afrique du Sud (« Towards concepts of territoriality in Southerne African rock art » de Lourenço Casimiro Pinto) et celle, à une tout autre échelle, visant à comprendre l’évolution spatiale et temporelle d’un site (SIG… de Benoît Poisblaud cf. ci-dessus).
Dans deux autres domaines différents, on rapprochera les conclusions de Malika Hachid « Chronostratigraphie… » et celles de Michel Tauveron (« art ancien du Sahara central ») à propos de la chronologie des Têtes Rondes : Dans son article, le plus long de l’ouvrage, Malika Hachid essaie de déterminer une chronologie par une approche cette fois géo-archéologique afin d’avoir une datation des peintures Têtes Rondes et de proposer une autre chronologie de celles-ci et des représentations des pasteurs (pastorale ou bovidien). C’est ainsi que ces deux cultures pourraient donc avoir été contemporaines pendant quelques siècles et cela pourrait ainsi mettre fin à l’hypothèse courte de l’art rupestre saharien. Par ailleurs, l’auteure prend aussi position sur l’idée que le peuple du style Tête Ronde est venu du sud à la faveur d’une réoccupation du Sahara central au moment du retour des précipitations après un repli lors d’un passage sec.
Michel Tauveron, quant à lui, par une analyse plus classique, rejoint cette idée d’un lien entre les deux cultures au moyen d’une analyse des styles lorsqu’il présente une absence de rupture entre les Têtes rondes et les débuts du bovidien notamment avec la reprise de scènes de saut par dessus un taureau (à l’origine Têtes rondes) montrant donc ainsi, au moins, une continuité culturelle.
Michel Tauveron, toujours, nous présente aussi dans ce même article, l’historique de l’étude des Têtes rondes situé à l’aube de l’agriculture comme l’atteste leur connaissance du vannage et du repiquage représentés dans leur art rupestre. Il décrit encore leur style : figuration humaine ou du moins anthropomorphes, peintures corporelles, masques, vêtements, instruments de musique, faune (avec les premiers indices de domestication), plantes, techniques de réalisation avec superpositions, tracés endopérigraphiques et tracés partagés…). On s’amusera dans ces derniers cas à découvrir les quatre plans de représentations sur le panneau du « Grand Dieu » de Sefar (espace aérien, culturel, naturel et surnaturel). Au delà des simples représentations, cet art semble nous montrer une société peu hiérarchisée, relativement égalitaire. La question de sa provenance se pose comme chez les autres auteurs : développement local ou importations par des populations venues de l’extérieur à la faveur de l’amélioration climatique du début de l’Holocène telles sont les deux hypothèses débattues et dont la seconde semblerait aujourd’hui l’emporter.
Les études liées à l’interprétation.
En ce qui concerne l’interprétation et au-delà des foisonnement d’idées, les seuls éléments qui apparaissent acquis sont l’enracinement africain de cet art, sa complexité ainsi que son développement antérieur à l’Holocène moyen. En effet, les pistes étudiées sont diverses : on retrouvera (encore) la discussion sur l’hypothèse chamanique avec peut-être un peu moins de virulence que dans le paléolithique supérieur européen car mieux fondée dans le contexte régional de l’Afrique australe : les travaux des anthropologues David Lewis-Williams et T. A. Dowson avaient établi en 1988 une comparaison entre le « chamanisme » chez les San (Bushmen) et les peintures rupestre des sites sud-africains.
L’interprétation chamanique revient aussi dans l’article de Tauveron cité ci-dessus mais, cette fois-ci en Afrique du Nord et semble moins assuré (notamment avec les scènes de « danses en lignes » et les figures dites « flottantes » qui ont pu le suggérer). Il semble ainsi y avoir un gradiant sud-nord de cette hypothèse, de l’Afrique australe à l’Europe.
Dans un même registre, mais à partir de comparaisons ethnographiques, l’étude de U. Maas et S. Strubelt sur les relations animal-human dans l’art rupestre au Zimbabwe. Cette proximité entre l’animal et l’homme est étudiée dans l’art des San par Renaud Ego qui tente de dépasser les hypothèses chamaniques, mythologiques et celles qui présentent ces thérianthropes comme des personnages réels portant un masque animal. « L’humanimal à la place de thérianthrope est ainsi un signe pictural exprimant le soucis constant de penser l’unité des mondes réels et spirituels par delà leur séparation » (« la figure de « l’humanimal » par delà le mythe et le rituel »).
Toujours dans les tentatives de compréhension des différentes figures et sans avoir recours à l’ethnographie et du côté de la Tunisie, l’article d’Amel Mastefaï-Ithier, « Les rapports entre anthropomorphes et zoomorphes dans l’art rupestre d’Ozan Ehéré (Tasîli-n-Ajjer, Sahara central, Algérie) », nous invite à repenser le rôle des zoomorphes (sujet et non objet de la relation) et la nature des anthropomorphes (sans doute des humains non ordinaires) : dans un cadre structural de rapprochement art des Têtes rondes et bovidien, elle nous montre l’illusion du réalisme des peintures bovidiennes qu’on pourrait donc « raccrocher » au wagon des peintures dites sacrées.
La recherche ne s’arrête pas aux interprétations et d’autres pistes sont explorées avec notamment celle sur les arcs de chasse comme instrument de musique en Afrique du Sud et en Namibie (« Musical bows in southern Africa rock art : music-archaeological and ethnohistorical observations » d’Oliver Vogels et Tilman Lenssen-Erz) et celle des images non figuratives et de l’abstraction (François Soleihavoup, seul chercheur indépendant, « Images non figuratives et abstraction dans l’art rupestre du Sahara »). Il propose une typologie raisonnée et préconise trois voies possibles de recherches interprétatives. Le fait que « ces signes ou symboles pourraient aider à éclairer le sens […] de scènes ou sujets figuratif » n’est pas sans rappeler l’ouvrage d’Alain Testard « Art et religion de Chauvet à Lascaux » qui a tenté de décrypter lui-aussi les signes des grottes du paléolithique supérieur en Europe.
Enfin, pour finir, la conservation de cet héritage n’est pas oubliée : elle apparaît au travers de quasiment tous les articles, plus particulièrement dans celui qui concerne l’Afrique du Sud où le tourisme n’est plus vu comme un obstacle mais comme une des solutions à la préservation de cet héritage (M. Duval et B W. Smith, « Pour une mise en tourisme durable des sites d’art rupestre… »). On est loin des problèmes de conservation mise en avant au travers des articles de Marina Gallinaro sur le Tadrart Acacus dans l’ouest de la Libye et celui de Jean Paul Cros sur « l’art rupestre dans la corne de l’Afrique », tous les deux situés dans un contexte relativement complexe.
Pour conclure sur ces actes qui brossent un panorama de la recherche sur l’art rupestre d’Afrique, nous signalons avec regret les coquilles, les traductions approximatives et les photographies absentes qui n’émaillent heureusement que quelques articles et on appréciera la diversité des interventions qui montre le dynamisme dans ce domaine. La riche illustration de certains articles dont les auteurs ont pris soin de redessiner les contours des œuvres pour une meilleure lecture rendra la découverte d’autant plus passionnante.
C’est ainsi, que cet ouvrage nous propose de découvrir un art absent de nos programmes mais aussi une partie de la préhistoire africaine bien peu connue du grand public en dehors des traditionnels livres sur l’origine de l’humanité. Il est aussi l’occasion de connaître des régions peu connues (Corne de l’Afrique, Zimbabwe et Angola) ainsi que des approches qui font appel à diverses sciences et techniques pour lesquelles la géographie n’est ni absente, ni un faire valoir.