Qui est Tibère, successeur d’Auguste, et part la même garant du Principat instauré par Octave ? Comment peut-on écrire une biographie de Tibère à partir des œuvres de Tacite et de Suétone, sources tardives et très partiales ?
En effet, Tibère est un personnage à la double mémoire : un monstre qui fit régner la terreur sur Rome et un débauché ou selon Th Mommsen « le plus capable des empereurs romains ».
En croisant les sources et en s’appuyant sur une analyse des différents portraits de Tibère et de son entourage, R Turcan a écrit une biographie qui défend Tibère en replaçant sa vie dans son contexte (13 chapitres) et se livre à une critique de Tacite et de Suétone (chapitre 11)

Tibère né en 42 av JC de l’union de Tiberius Claudius Nero, sénateur proche de Cicéron et opposé alors à Octave et de Livie. Ses parents fuient alors devant l’avancée des troupes du futur Princeps. Finalement réconcilié avec Octave, la famille rentre à Rome après la paix de Brindes mais la rencontre entre Auguste et Livie est un coup de foudre qui entraine la séparation de la famille et l’éducation de Tibère et de son frère Drusus est laissée à leur père. Il reçoit alors une éducation classique romaine basée sur le mos maiorum ainsi qu’une éducation grecque. Son père meurt en -33 et Tibère est alors intégré à la famille impériale puisqu’il participe en -29 au triple triomphe d’Auguste.

A partir de ce moment il exerce des magistratures civile (questure et 1er consulat en -13) et militaire lors de plusieurs campagnes en Germanie et en Pannonie.

Marié avec la fille d’Agrippa, le conseiller et le général le plus proche d’Auguste, il devient père de deux enfants, mais Auguste l’oblige à divorcer de la femme qu’il aime pour épouser sa fille Julie. Alors que les petits enfants d’Auguste deviennent grands et que son épouse Julie multiplie les infidélités, Tibère décide en -6 de partir pour Rhodes, haut lieu de la culture grecque. Il y est resté 5 ans. C’est durant cet exil qu’Auguste prononce le divorce entre Tibère et sa fille Julie.

Lors de son retour à Rome, la mort des 2 petits fils d’Auguste fait de Tibère le seul héritier de l’Empire. Après de nouvelles campagnes militaires en Germanie et en Pannonie, il en 13 véritable co-régent puisqu’il est investi de la puissance tribunicienne et qu’il reçoit l’imperium maior sur les provinces. A la mort d’Auguste, Tibère hérite à 50 ans de l’empire. R Turcan fait du règne de Tibère une transition fondatrice : méfiance de Tibère envers les légions et Germanicus même si ce dernier reste fidèle, transfert de toutes les élections au Sénat (5 millions de citoyens au dernier recensement réalisé avec Auguste) et un essai de corégence avec le Sénat que l’auteur estime due à l’éducation paternelle de Tibère. Pourtant Tibère doit faire face à la peur de ces derniers et à la multiplication des dénonciations entre sénateurs. C’est alors les premiers détournements de la loi maiesta populi romani qu’Auguste puis Tibère avait transféré du peuple romain au princeps en tant que représentant de ce dernier. Toute manifestation critique envers le pouvoir de l’Empereur est passible de cette loi et entraine souvent le suicide de l’accusé afin que les biens de ce dernier reste dans sa famille.
Tibère doit alors faire face à plusieurs problèmes familiaux : le problème de sa succession est résolue par la naissance de petits enfants jumeaux, la rivalité entretenue par la femme de Germanicus, qui souhaite que ses enfants puissent hériter du trône et enfin le rôle de Livie, sa mère dont les interventions posent problèmes à Tibère. Profitant de ces divisions internes, le préfet du prétoire Séjan devient le favori de Tibère, fait empoissonner le fils de Tibère, Drusus et pousse Tibère à s’installer à Capri. Pendant que Tibère est éloigné de Rome, Séjan règne par la terreur. C’est à partir de de cet exil à Capri et de la mort de sa mère en 22, que Tacite lance ses accusations de débauches.

Le chapitre 11 revient sur la façon dont les historiens de l’antiquité travaillent de Thucydide à Suétone. Tacite contrairement à ses prédécesseurs n’écrit pas en tant que témoin de son temps mais un siècle après la mort d’Auguste (114-115 ?) et Suétone est encore plus tardif (121). De plus, les Julio-Claudiens ont été remplacés par les Flaviens, et Tacite reflète le parti pris des vainqueurs. Enfin, R Turcan critique fortement Tacite sur ces méthodes de travail (peu de recherches dans les archives à la différence de Suétone) et sur une prose énigmatique pleine de sous-entendus. Seule la comparaison avec d’autres sources permet d’avoir un regard impartial sur Tibère. Pourtant c’est la version de Tacite qui est devenue la source sur la mémoire de Tibère et cela dès l’Antiquité.

L’auteur revient alors sur l’élimination de Séjan par Tibère et la multiplication des règlements de compte qui assombrissent la fin de règne de Tibère qui meurt à 73 ans après 23 ans de règne. Son successeur, Caligula a vidé le trésor accumulé par son grand-père.

Cette biographie réhabilite le rôle de Tibère en insistant plus sur ses qualités que sur ses défauts. Par Alexis JAOUL