Retraité de l’Administration des Finances, syndicaliste CFDT, militant associatif écologiste, percheron d’adoption, Albert Hude est un amateur d’histoire locale qui, étonné et irrité d’entendre dire qu’il ne s’était quasiment rien passé en Eure et Loir durant la Seconde Guerre mondiale (exception faite de l’attitude du préfet Jean Moulin en juin 1940), constatant qu’il n’existait pas d’ouvrage traitant de la Résistance dans ce département de façon approfondie, a décidé de s’atteler à cette tâche et d’y consacrer de longues recherches.
L’ouvrage qu’il a publié l’année dernière expose le résultat de ce travail important. Il est la preuve concrète que la Résistance fut présente et active dans ce département, que des femmes et des hommes s’y engagèrent dès 1940, créant de petits groupes qui s’intégrèrent ensuite à des organisations diverses, mouvements, réseaux et maquis, que la répression y sévit durement, menée conjointement par des miliciens et des forces ennemies. Les témoignages écrits et surtout oraux (de résistants et de proches) recueillis pour le plus grand nombre de 2012 à 2014 constituent la source principale de l’étude. Les archives départementales et celles du Service historique de la Défense à Vincennes ont néanmoins été mises à contribution.
Le texte principal est disposé en colonnes ; de nombreux encarts s’y ajoutent : extraits de témoignages, hors-textes apportant des précisions, reproduction de documents d’archives, photographies.
Une étude d’une grande précision
L’étude est d’une grande précision et sans doute quasiment exhaustive sur les acteurs de la Résistance, sur les parachutages, sur les maquis et leurs actions, sur les opérations de répression. De nombreux portraits de résistantes et de résistants sont brossés, notamment ceux des « précurseurs » qui firent le choix de résister dès l’automne 1940, comme le directeur de distillerie Jules Divers, le chef cantonnier Raymond Dive, le grainetier Gabriel Herbelin, le gendarme Gustave Roussel, le fermier Mary Thibault, l’instituteur Joseph Le Noc, le vétérinaire Jean Renauldon, etc. La réception des parachutages est traitée sous tous ses aspects : le Bureau des opérations aériennes qui les organise, la localisation et les noms de code des terrains, la transmission des codes de parachutages, la composition des groupes de réception, les dates et localisations des réceptions, la composition des containers. L’évolution structurelle de la Résistance, du groupe à l’organisation puis à la constitution des FFI est retracée, les principales organisations étant les FTP, l’OCM et Libération-Nord. La genèse et l’activité des nombreux petits maquis est analysée, les modalités d’action, en particulier les sabotages sont décrites.
Combats des maquis, répression et Libération
Une part importante de l’étude est par conséquent consacrée aux derniers mois de l’Occupation, quand la répression allemande répond à l’activité croissante de guérilla et de sabotage des maquis. Ainsi sont racontées en détail la répression des « quatre jours de Morvilliers » du 9 au 12 août 1944, ou l’attaque du maquis à Neuville Les Bois le 11 août 1944. Un chapitre est évidemment consacré à la libération du département qui commence dès le 15 août 1944 et voit lutter côte à côte les forces alliées et les FFI (qui libèrent seuls Nogent Le Rotrou). Certains de ces FFI, commandés par Marc O’Neill prendront le chemin de Paris pour y participer aux combats de la Libération, avant de se faire tancer par Leclerc et de devoir regagner l’Eure et Loir ! D’autres participeront ensuite à Royan et à la pointe de Grave aux derniers combats des poches de l’Atlantique.
Maurice Clavel, Roland Farjon et leur part d’ombre
Si la structure dominante de l’ouvrage est chronologique, l’auteur ne s’interdit pas quelques développements thématiques qu’il s’agisse des « vétérinaires et gendarmes dans la Résistance », de la trahison et de l’infiltration par les agents allemands ou des « erreurs militaires et décisions discutables ».
Il accorde également, et c’est sans doute la part la plus singulière de l’ouvrage, de longs développements aux deux acteurs majeurs de la Résistance dans ce département (exception faite des actes du préfet Moulin en juin 1940), Maurice Clavel (alias « Sinclair ») et Roland Farjon. Il dresse d’eux des portraits sans concession et de leurs actions un récit précis et rigoureux, résultant de toute évidence d’une longue réflexion et d’une patiente investigation.
Maurice Clavel, un jeune normalien philosophe de 22 ans sans aucune expérience militaire, se voit confier la direction départementale de la Résistance (il a d’abord été un militant du PPF et a rejoint les camps écoles des Compagnons de France, institution pétainiste). Avec son amie Sylvia Montfort, ils ont contribué à coordonner les initiatives des groupes locaux. L’auteur montre que son discours mystique et philosophique, tout imprégné des concepts de rédemption et d’absolution n’était sans doute pas le plus adapté à la guérilla des maquis ! Clavel n’hésite pas à faire prendre d’énormes risques à ses maquisards en les confiant à Roland Farjon, un homme dont il sait qu’il a été, et qu’il est peut-être encore, un traître.
Désigné par Clavel pour diriger des maquis importants, ceux de Dreux, Crucey et La Ferté Vidame, Farjon est considéré comme l’un des traîtres majeurs au sein du mouvement OCM (Organisation civile et militaire) de la région Nord qui comptera plusieurs centaines d’arrestations. Clavel connaît ce passé. L’auteur conteste avec des arguments la légende qui veut que Farjon soit venu se racheter en Eure et Loir dans les combats directs avec le soutien de Clavel et d’O’Neill.
Quelques critiques de forme
Cet ouvrage très riche en informations n’est cependant pas d’un abord très facile, et il est même sans doute à peu près inaccessible à un jeune lecteur d’aujourd’hui. Il manque de courtes synthèses et des résumés partiels qui permettraient de mettre l’essentiel davantage en évidence. Il aurait sans doute fallu résumer les récits événementiels, où les reporter en notes et en annexes. Le plan aurait gagné à être plus cohérent, en regroupant par exemple ce qui concerne l’organisation, l’action, la répression alors que ces thèmes sont disséminés : les parachutages sont traités dans un paragraphe intitulé « Le refus », les campements des maquisards et leurs armes dans un autre intitulé « 1944. année décisive » , mais on trouve la récupération des aviateurs anglais et les communications avec Londres dans le chapitre « L’action ». Il arrive aussi qu’un même thème se trouve réparti entre des chapitres différents sans qu’on en comprenne toujours la justification. Pour terminer sur le registre des critiques que l’on souhaite constructives, il faudrait sans doute recourir plus largement aux archives, qui ne sont pas aussi pauvres qu’on le dit souvent, même en ce qui concerne la Résistance. Mais c’est un travail de plus grande ampleur encore pour un seul chercheur, à l’échelle d’un département entier, où l’on sait maintenant que l’activité de la Résistance fut importante.
© Joël Drogland