« Dans le désert tu trouves un macchabée en rade que tu ne peux pas identifier : on lui fouille les poches. Quand on trouve un ouvre-boîte c’est un British ; et quand c’est un tire-bouchon, c’est un Français » On pardonnera peut-être à l’auteur de ce compte-rendu de n’avoir pas résisté au plaisir de citer en incongrue introduction de son propos l’une des savoureuses répliques d’un célèbre film* ; à travers la talentueuse plume de Michel Audiard, elle illustre l’étonnant dévoiement d’un terme dont le sens original était tout autre, ainsi que peut peut-être encore le soupçonner l’amateur de football vaguement familier des évolutions du Maccabi Tel-Aviv. Combien de nos contemporains, en effet, connaissent encore l’importance insigne de l’illustre famille des Maccabées dans l’histoire de l’Israël antique ? La lutte menée sur un quart de siècle par celle-ci devait en effet déboucher, à la fin des années 140 av.J.-C., sur l’indépendance de fait sinon en droit d’une Judée soumise depuis plus de cinq siècles à la domination étrangère.
La Loi et l’ordre
C’est cet épisode qui est relaté dans ce nouvel opus, le quatorzième, de la série Histoire Antique de la collection Illustoria, déjà maintes fois présentée dans la Cliothèque, comme de coutume rédigé par une historienne qui fait autorité sur la question. Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégée et docteur d’Etat en histoire ancienne, Mireille Hadas-Lebel a enseigné l’hébreu à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO) avant de professer l’histoire des religions à l’université Paris IV-Sorbonne. Elle s’est spécialisée dans l’histoire du judaïsme à l’époque hellénistique et romaine. L’auteur connaît donc parfaitement les textes antiques, et particulièrement les livres historiques de la Bible ; elle se livre dans le chapitre I de l’ouvrage (p.3-18) à une longue présentation des sources relatant les événements. Celles-ci sont principalement des écrits juifs qui nous sont parvenus en langue grecque. Le livre I des Maccabées, rédigé vers le dernier quart du 2ème s.av.J.-C., apparait comme un recueil d’histoire à la gloire d’une famille qui va donner sa première dynastie à la Judée indépendante (les Hasmonéens). Le livre II n’en est en rien une suite, mais un récit parallèle, teinté de merveilleux, pénétré par une interprétation beaucoup plus religieuse des faits. C’est sur le premier que d’évidence s’appuie principalement le livre XII des Antiquités judaïques de l’historien juif du 1er s. Flavius Josèphe, qui donne aussi dans La Guerre des Juifs un médiocre résumé des faits inspiré d’une quelconque tradition orale. A ces textes s’ajoute un quatrième plus inattendu, le livre de Daniel, dont l’auteur rappelle avec clarté la datation toute contemporaine et l’étroite liaison avec des événements dont il contribue à éclairer la compréhension. Le contexte historique de ceux-ci est longuement rappelé dans le chapitre II (p.19-29). Soumise par Assyriens et Babyloniens, la Judée passe de là sous le joug assez débonnaire des Perses jusqu’à ce que l’écroulement de leur empire devant Alexandre Le Grand. Enjeu (parmi d’autres) des luttes répétées de deux des royaumes hellénistiques qui héritent de celui-ci, elle reste d’abord sous la domination des Lagides d’Egypte, avant que les Séleucides de Syrie ne s’en assurent définitivement la possession au début de IIème s.av.J.-C. Elle est alors plus ou moins autogérée par une aristocratie sacerdotale ; comme l’auteur le montre dans le chapitre III (p.31-46), la montée des tensions constatée à partir du début du règne d’Antiochos IV (175 av.J.-C.) va être alimentée par la volonté d’éléments de celle-ci d’adopter certains aspects de la culture grecque dominante (sans pour autant renoncer à leur judéité) et surtout la transformation de la fonction de grand-prêtre en charge vénale. La dure répression ordonnée par le roi déclenche en -167 la révolte, relatée au chapitre IV (p.47-57). Elle est menée par le prêtre Mattathias, puis par son fils Juda dit Maccabée (« Le marteau » ?), auquel succèdent ses frères Jonathan et Simon. Multipliant les combats contre les généraux grecs et les populations voisines, leurs partisans, puissamment aidés par les rivalités internes au pouvoir séleucide, finissent par expulser définitivement les Syriens de Jérusalem en -142. A l’origine lutte pour la préservation du judaïsme, la révolte débouche donc sur la mise en place en Judée d’un pouvoir juif évoluant vers une royauté de type hellénistique qui restera indépendante jusqu’à la conquête romaine ; c’est la première des conséquences présentées dans le chapitre V (p.59-76). D’autres sont religieuses : nouvelles croyances, nouveaux clivages au sein du peuple juif, ouverture accrue aux conversions, etc. Des commémorations, détaillées par l’auteur dans le chapitre VI (p.77-87) contribueront en outre à entretenir le sentiment national judéen renaissant : on retiendra le jour de Nicanor et surtout la fête des lumières, encore célébrée par les Juifs de nos jours, avec une signification différente il est vrai.
Lumières dans les ténèbres
Au risque d’énoncer un truisme, on conclura que l’ouvrage est à l’image de son auteur : il dénote une connaissance, une compréhension approfondie des dessous des événements, de leurs fondements et de leurs conséquences (particulièrement sur les plans culturel et religieux) – on remarquera, entre autres, leur impact sur l’attitude à priori suicidaire face à Rome, lors du grand soulèvement de 66-73 ap.J.-C. -, et un art de la synthèse et de la rhétorique qui permet de les exposer de façon lumineuse. La parfaite connaissance qu’a M.Hadas-Lebel de son domaine lui permet donc de dresser une interprétation fouillée et très convaincante des faits, plus nuancée que la simple confrontation entre hellénisme et judaïsme à laquelle peut les réduire notre époque tentée par des interprétations simplistes au travers de « chocs de civilisation » réducteurs. A contrario, le féru d’une histoire militaire qui était la thématique centrale des premiers titres de la collection – et on comprendra ici que l’auteur de cette recension se compte parmi eux – risque de se sentir un peu lésé : les belligérants sont à peine esquissés, les combats rapidement mentionnés, même si on en apprend certes un peu plus sur le détail des opérations grâce à quelqu’unes des cartes qui figurent dans l’habituel livret d’illustrations, une aide toujours bienvenue à la visualisation des événements. Celles-ci sont toujours comme de coutume de grande qualité (en couleurs, sur papier glacé). Gageons qu’il a fallu faire preuve d’une certaine imagination pour les réunir, tant il existe peu de vestiges archéologiques ou de représentations figurées de l’époque ; abondamment légendées, elles apportent un complément utile au texte. L’ouvrage comprend en outre un court lexique, une chronologie, et une bibliographie répertoriant éditions critiques et traductions des sources, et études. Particulièrement développée pour une édition de ce format, elle pourra aisément servir de support à une approche plus poussée ou plus spécifique.
Avec ce titre, Illustoria s’enrichit donc d’une nouvelle étude passionnante et commode sur un sujet relativement peu abordé dans l’historiographie francophone contemporaine.
Stéphane Moronval Clionautes.
* Un taxi pour Tobrouk, Denys de la Patellière, 1960. La réplique est dans la bouche de Lino Ventura.