Le numéro 18 de la Revue dessinée qui couvre l’hiver 2017-2018 est paru, fort d’approches toujours originales et impliquées dans la vie de la cité.

La folle échappée

Le premier reportage témoigne bien du ton d’une revue qui sait offrir des enquêtes différentes et se renouveler. Où pourrait-on lire ailleurs que dans la Revue dessinée un récit sur l’histoire de la psychiatrie ? Arno Bertina et Pierre-Henry Gomont retracent l’itinéraire de Jean Oury, ce psychiatre qui contribua à faire changer sa discipline. Elève de François Tosquelles, il décloisonna les pratiques et bouleversa les hiérarchies. Il n’hésita pas à partir avec plusieurs de ses patients sur la route durant trois semaines. Cet épisode eut une influence au-delà du cercle restreint de la psychiatrie en influençant par exemple la pensée de Gilles Deleuze. Le reportage se termine par une double page de synthèse sur la façon dont les fous ont été vus et traités dans l’histoire.

Les rubriques

Stéphane Trapier se frotte à la découverte des fléchettes. C’est l’occasion d’en savoir plus sur les darts pour reprendre le terme anglais. Le reportage est agrémenté de quelques points historiques et de quelques notions de base. L’indispensable rubrique « Instantané » revient sur la photographie célèbre de Simone Veil sur les bancs de l’assemblée au moment du vote de la loi sur l’IVG. Elle est remise en contexte, décortiquée en terme de prise de vue et expliquée dans le sens où, contrairement à ce que certains croient, elle n’est pas en train de pleurer.
Geoffrey Bonnefoy et Nicoby reviennent sur l’histoire de « La manif pour tous ». Catel revient sur le duo Laurel et Hardy, les auteurs du buddy movie, c’est-à-dire le fait d’avoir deux héros aux antipodes. La rubrique « Face B » est consacrée au cas étonnant de Jonathan Richman présenté comme le parrain du punk et le Peter Pan du rock. « Ecosystème » aborde le cas de la morue en trois double-pages. La rubrique sur la sémantique se focalise sur les grammar nazis, c’est-à-dire ceux qui ne supportent pas les fautes de français et de langage que l’on retrouve sur les réseaux sociaux ou sur Internet.

Une école malgré tout

Ce reportage mené sur presque une année scolaire s’attache à retracer une expérience menée à Montreuil. Il s’agit d’une école qui applique la méthode Montessori. Les auteurs précisent que dans la même ville, une autre école la pratique mais au tarif de 600 euros par mois et avec une liste d’attente. Celle qui fait l’objet du reportage ne s’inscrit pas dans le même esprit. Les enseignantes de l’école défavorisée ont choisi d’essayer la méthode Montessori pour résoudre les difficultés auxquelles elles étaient confrontées. Le reportage ne fait pas l’impasse sur les difficultés du quotidien ou sur les doutes de l’institution. Une double page finale revient sur l’école des inégalités.

Nature à tout prix

C’est un reportage passionnant qui pose une question dérangeante à savoir peut-on donner un prix à la nature et si oui lequel ? Catherine Le Gall et Benjamin Adam développent plusieurs aspects en retraçant l’historique de cette idée. C’est l’occasion de parler entre autres du rapport Meadows en 1972. Les auteurs développent aussi le cas de l’Ecopole de Saint-Martin-de-Crau pour lequel, neuf ans après sa mise en place, on peut tirer un premier bilan. Les auteurs pointent ensuite de façon très claire quels peuvent être les défauts de cette solution. Le prolongement final envisage le cas de Rio Tinto et propose deux ouvrages pour aller plus loin.

Parafoudres

Le reportage s’interroge sur la possible existence d’un scandale sanitaire. De quoi s’agit-il ? Le mal concernerait les salariés de France Télécom et serait lié à l’installation de parafoudres chargés de radon. Il faut dire que l’équipement a été massif si l’on songe qu’on est passé de quatre millions d’abonnés au téléphone en 1970 à vingt millions en 1983. Il a fallu attendre octobre 2016 pour qu’un tribunal établisse un lien entre le travail d’une personne et le développement d’un cancer. Cependant, les procédures judiciaires s’avèrent longues et compliquées, d’autant que le délai de prescription court plutôt contre les victimes.

La combine en béton

Bertrand Gobin et le Cil vert livrent un reportage très intéressant sur le monde des hypermarchés. Les auteurs rappellent d’abord que les hypermarchés, cette invention de Trujillo, sont les enfants des Trente Glorieuses. Bertand Gobin a publié récemment « La face cachée de l’empire Mulliez ». Les chiffres donnés sont souvent ahurissants. Ainsi, un commerce de centre ville sur dix est aujourd’hui vacant. C’est dans ce genre d’espace que sont aujourd’hui dépensés en France sept euros sur dix. De 2005 à aujourd’hui on est passé de 1350 à 2200 hypermarchés. Six groupes se partagent ce gâteau qui, comme le montre le reportage, est assez peu controlé malgré l’existence d’une commission. Celle-ci doit valider la création de nouvelles surfaces commerciales mais elle s’apparente grandement à une simple chambre d’enregistrement. Le reportage se conclut par quelques photographies de Seph Lawless qui montre le déclin de ce genre de structure aux Etats Unis.

Une fois de plus, « La Revue dessinée » réussit à offrir des reportages variés marqués par une forte sensibilité au monde tel qu’il est. Elle articule aussi les époques et les temporalités en se donnant le temps d’observer une expérience Montessori dans une école ou en posant une question sur la longue durée à propos du prix de la nature.

(C) Jean Pierre Costille pour les Clionautes.