Le numéro de l’été 2019 de la Revue dessinée entraine le lecteur dans des domaines variés : un reportage étonnant sur les virtuoses de la musique classique, une approche complète et critique de Paris 2024 ou encore la vie quotidienne des pêcheurs français.

Les dopé(e)s de l’orchestre

C’est un reportage sur un sujet souvent peu ou pas abordé. Profitant des confessions d’une altiste, François Thomazeau et Vincent Sorel lèvent le voile sur une réalité cachée : la consommation de médicaments par les artistes classiques. Isabelle, même si ce n’est pas son vrai prénom, explique pourquoi elle consomme des médicaments comme le propranolol. Il s’agit d’un bétabloquant qui a donc pour effet de ralentir le coeur et donc de diminuer la sensation de trac lors d’examens ou de concerts. Cette situation s’expliquerait à la fois par la pression du public et l’obligation de performance. On peut parler en tout cas d’une véritable omerta car avant un premier témoignage il y a une quinzaine d’années, personne n’avait jamais reconnu de telles pratiques. Au passage, on comprend mieux pourquoi certaines étoiles de la musique classique ne sont que filantes comme en témoigne une page qui en recense       quelques-unes. On est alors entrainé vers une comparaison troublante avec le sport. En effet, le produit que prennent certains artistes est considéré comme du dopage au tir ! N’allons tout de même pas trop vite dans la comparaison car les buts ne sont pas les mêmes. Les auteurs évoquent également d’autres façons de gérer le stress beaucoup plus naturelles. On comprend bien aussi cette idée de pression car, parvenu au sommet, un artiste classique doit engranger, en peu d’années, le maximum d’argent.

Sport, trompette, spéculum et foot féminin

Thibaut Soulcié explique les ressorts du succès du cross fit. L’ « Instantané » nous en dit plus sur une célèbre photographie de non-manifestation à Prague en 1968. « Face B » raconte l’histoire de Boris Vian tandis que la rubrique « Inconsciences » présente le médecin James Marion Sims. Ce médecin du XIX ème n’est pas facile à classer. D’un côté, il est considéré comme le « père de la gynécologie » puisqu’il est l’inventeur du spéculum et, en même temps, son comportement avec trois esclaves noires soumises à de multiples opérations interroge. Le dernier reportage du volume s’intéresse au foot féminin. Il rappelle que, dès le début du XX ème siècle, on s’inquiète des éventuelles conséquences médicales possibles pour les femmes qui pratiqueraient ce sport. Il y eut pourtant un championnat féminin dans les années 20, mais il disparut faute de clubs au début des années 30. Mickaël Correia et  Nicoby montrent ensuite que les mentalités évoluèrent après 1968 et insistent sur le rôle de figures comme Marinette Pichon qui dut s’exiler pour réussir. Les inégalités demeurent en tout cas criantes dans le sport entre hommes et femmes avec quelques chiffres édifiants. On lira aussi un autre reportage sur d’autres conséquences du    mois de mai 68 avec ces étudiants qui allèrent vivre et travailler dans les campagnes. 

Paris 2024 

Les Jeux Olympiques offrent aujourd’hui une image contrastée : ils exercent toujours un attrait mais aussi de la méfiance quant à leur coût financier notamment. Le reportage montre que plusieurs villes ont renoncé, soit pour des raisons financières, soit parce que la population n’adhérait pas. On parle même de « malédiction du vainqueur ». L’important est de savoir comment communiquer : faut-il parler               d’ «alignement des planètes » ou plutôt insister sur le renoncement des autres villes ?  Le reportage explique ce qu’est le CIO et montre les mutations de cette institution. Il faut savoir que, quand une ville est candidate, elle doit accepter l’ensemble des conditions imposées par le CIO pour rester dans la course. Les auteurs insistent aussi sur ce qui a fait réussir Paris cette fois-ci après trois échecs : la mise en avant des sportifs a été un point décisif. En même temps, il faut se souvenir aussi que la moitié des athlètes français ayant participé aux jeux olympiques de Rio vivaient avec des revenus de moins de 500 euros par mois. Le fait d’accueillir les Jeux Olympiques peut aussi avoir des conséquences comme la gentrification. Le reportage se conclut par une double page sur les anciennes installations abandonnées à travers quelques clichés édifiants. 

Préserver la vie

Jean-Christophe Mazurie dans «  Au nom de la loi » raconte comment la France en est arrivée à abolir la peine de mort. Il rappelle que, jusqu’au XVIII ème siècle, la peine de mort n’est pas controversée. Le livre de Césare Beccaria mais aussi plus tard celui de Victor Hugo marquèrent des étapes décisives. Depuis 2007, l’abolition est désormais inscrite dans la Constitution. Anne-Sophie Simpere et Chico se penchent eux sur ce qu’ils appellent « le bingo des animaux ». Le terme se justifie pleinement car on estime qu’il y a aujourd’hui 26 000 espèces en danger. Il faut donc sélectionner celles qu’on va prioritairement sauver. Le reportage montre quels critères peuvent être utilisés et souligne qu’on a plutôt tendance à sauver la loutre, qui est mignonne, que tel ou tel insecte. Les scientifiques ont aussi leurs préférences. On lira aussi le reportage sur la vie quotidienne des pêcheurs du Guilvinec. Debout à 2h 20 du matin, ils travaillent dans des conditions difficiles et trainent aussi une mauvaise image dans le public car ils sont accusés de piller les océans. C’est une profession en pleine transformation puisque 50 % des marins vont partir à la retraite dans les prochaines années. Le reportage rappelle l’histoire du secteur de la pêche. C’est après la Seconde Guerre mondiale que les choses changent en terme de techniques notamment. Il y eut un âge d’or de la pêche pour les marins mais celui-ci est désormais derrière eux malgré un léger rebond en 2014. Aujourd’hui, plusieurs éléments sont à prendre en considération pour établir un état des lieux de la profession : les quotas, la financiarisation du secteur et aussi le rôle et le poids des distributeurs comme Intermarché. Il existe aussi d’autres façons de pêcher avec des moyens moins massifs. 

La prison en France

Laure Anelli et Alexandre Kha proposent un reportage très intéressant sur la prison en France. Ils montrent que l’emprisonnement est une sorte de réflexe en France ce qui explique en partie que le taux d’occupation est à 140 %. En effet, gauche et droite, pour des raisons certes différentes, se retrouvent pour construire de nouvelles places de prison. La tendance française est aussi de mener des politiques toujours plus répressives malgré ce qu’en a dit en 2018 Emmanuel Macron dans un discours à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire. Les tendances en Europe sont pourtant plutôt à l’inverse. 59 % des sortants en France sont recondamnés dans les 5 ans. En Suède et en Finlande, la politique est de réduire les entrées en dépénalisant certains comportements. Dans le cas suédois, il faut relever que pour une peine prononcée de prison de douze mois, le prévenu en accomplit huit et les quatre derniers sont consacrés à sa réinsertion. Les pays d’Europe du nord ne sont pas seuls à agir ainsi. En effet, le Portugal mène aussi depuis plusieurs années une politique du même style. Le résultat n’a pas été une augmentation du nombre de drogués et les tribunaux sont objectivement moins engorgés. Le reportage insiste aussi sur la tyrannie des faits divers qui ont tendance à freiner toute évolution sur la question de la place de l’emprisonnement dans nos sociétés.  

A la rentrée, « La revue Dessinée » se penchera entre autres sur le FMI, sur les trafics à Marseille  et aussi sur l’Europe qui exporte ses frontières à travers le cas du Niger.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes