« La supercherie dévoilée » est un objet littéraire à part. D’une part parce ce pamphlet antichrétien est issu de la plume de Cristóvão Ferreira, Jésuite missionnaire de haut rang en Asie. Ensuite parce qu’il fut écrit en 1636 dans le Japon très fermé des Tokugawa.
Comment un missionnaire formé à l’école de la contre-réforme, aux subtilités du dialogue inter civilisationnel a-t-il donc pu écrire un texte aussi radical dans sa dénonciation du catholicisme ? Que dit-il de si violent ? Qui est son auteur ?
Jésuite aux études solides, il arrive au Japon en 1609. Conformément aux usages au sein de la communauté de Jésus et des consignes édictées par la Contré réforme catholique, Il apprend à parler la langue japonaise Japonais et à se fondre dans la très complexe société d’Edo.
Mais les conditions de vies au Japon se dégrade rapidement. La fermeture du pays, initiée par les premiers Shoguns Tokugawa s’accélère. La répression anti chrétienne se met en place dès 1614 et oblige les missionnaires à passer dans la clandestinité. Capturé en 1632, il est torturé et apostasie.
Cet acte lui sauve la vie et en fait un honorable résident étranger autoriser à vivre sur le territoire japonais. Il y prend femme, s’installe à Nagasaki et devient traducteurs pour les Néerlandais autorisés à commercer au Japon. Chirurgien renommé, il écrit sa réfutation du christianisme dans la foulée de sa conversion au zen. On prétend qu’il serait revenu au christianisme aux alentours de 1652.
Outre sa nature pamphlétaire, cet écrit de combat frappe le lecteur par sa position à la croisée de deux grands courants religieux de son temps : le zazen bouddhistes promu par les shoguns Tokugawa, philosophie officielle, exclusive, autoritaire, au service du contrôle social, garante de l’homogénéité nationale. Et le Christianisme de la Contre-Réforme, conquérant, tout aussi exclusif, nécessairement européanocentré.
C’est la rencontre de ces deux tendances qui rend cet ouvrage explosif.
Et c’est le zazen et le néoconfucianisme qui servent ici de répertoire argumentatif pour réfuter les dogmes structurants du christianisme du Concile de Trente.
Adossé aux Textes antiques grecs dont les Réfutations sophistiques d’Aristote, il récuse ainsi ce qu’il considère comme les paralogismes du christianisme avant de procéder à une analyse logique basée sur les textes chinois et Japonais
Pour ce faire, il analyse 15 postulats et fondamentaux du catholicisme afin d’en démonter la pertinence
-
- Ame des bêtes
- Casuistique
- Confession auriculaire
- Dieu et César
- Eternité du monde
- Indulgences
- Immunités ecclésiastiques
- Jugement dernier
- Or des jésuites
- Préadamites
- Prédestination
- Présence réelle dans l’Eucharistie
- Résurrection
- Serment
-
- Vœux monastiques
A grands traits, il utilise certains de ces paralogismes à son avantage pour appuyer sa position. Son texte n’est donc pas dénué de mauvaise foi et de raccourcis d’apparente logique mais erronés.
Grâce à « l’épouvantail rhétorique », – un sophisme qui présente la position de son adversaire de manière erronée – il dénonce le manque de piété filiale des chrétiens sous prétexte que le système monacal ne respecte pas la volonté des pères ne ne pas voir leur enfant rentrer dans les ordres
Par « l’écran de fumée », il évoque des supposés mœurs sexuelle en Judée antique pour illustrer et dénoncer le comportement de ses contemporains chrétiens
Enfin via « la prémisse cachée » il part du principe que la circoncision est de même nature que le baptême Ce qui lui permet de remettre en question la nature divine de Jésus. En effet si Jésus est Dieu , pourquoi a-t-il été circoncis alors qu’il ne devrait pas être souillé par le péché originel.
Ce raisonnement part d’un faux principe puisque la circoncision juive ne sert aucunement à expier le péché originel mais à rentrer dans la communauté des croyants.
D’autres arguments avancés sont cependant plus solides du point de vue rationnel.
Il se sert de l’histoire.
Il réfute ainsi la supposée date de création du monde estimée par la Vulgate à – 4000 av JC en utilisant la liste des empereurs chinois.
Il utilise la géographie.
Il démonte l’existence des rois mages qui n’auraient pas pu parcourir les distances prétendues en un laps de temps donné.
Il fait usage de concepts géopolitiques :
« Dieu est inconnu hors de la Chrétienté et les chrétiens ne représentent que 10% des humains ». Pourquoi donc ce Dieu serait-il le seul et vrai Dieu ?
Les commandements divins n’ont rien à voir avec l’observation des rites et de la raison pour une bonne gouvernance d’un pays et des peuples.
Le christianisme est facteur de troubles sociaux et politiques car il ne prône pas le respect de l’autorité et la piété filiale
Le christianisme est le bras spirituel du pouvoir politique : il accompagne la politique de conquête territoriale et la légitime. Il en veut pour preuve le traité de Tordesillas qui sépare le monde en deux zones d’influence
Le christianisme est trop attaché aux biens de ce monde en dépit de sa nature première et du message du christ.
Il parle de science
Conformément aux conclusions d’Aristote il étudie la pertinence de la création ex nihilo du monde pour la réfuter car « On ne peut créer à partir de rien »
C’est ainsi par l’usage de l’ensemble de la raison et de la connaissance scientifique de son temps que Cristóvão Ferreira démonte une à une les pierres fondamentales du catholicisme romain.
Notons que ce livre est destiné à un public asiatique pétri de lettres et de rationalisme. Ce qui en augmente la portée et la véhémence en son temps.
Quels qu’en soient les carences et les excès, ce livre permet de comprendre néanmoins pourquoi le christianisme n’a pas pris racine au Japon.