L’édito de la Revue Dessinée évoque le goût de la conquête : celui-ci peut se traduire par le désir d’explorer des territoires mais peut aboutir aussi à vouloir contrôler des terres voire rapidement à s’emparer de richesses.

Reprendre les rennes

A l’automne 2021, une « commission vérité » a entamé ses travaux en Suède pour examiner la situations des Lapons, ou plus exactement des Samis. Il s’agit de faire le point sur des décennies de colonisation administrative. Elle rendra ses conclusions en 2025. Le reportage prend appui sur le cas de la ville de Kiruna qui abrite la plus grande mine souterraine de fer du monde et elle est active depuis un siècle. Toute l’économie de la ville dépend de cette exploitation. Le reportage rappelle aussi l’histoire du Sapmi, le territoire des Samis, car c’est ainsi qu’ils le désignent. Leur territoire a été colonisé par la bureaucratie. Ce n’est que depuis 1993 que les Samis possèdent un parlement mais qui pèse de peu de poids. Sur ce territoire deux visions de l’avenir s’affrontent car la transition écologique est parfois un moyen de continuer l’exploitation alors que d’autres mettent l’accent sur la nécessaire protection de leurs terres.

Satie, Salomon et Herzog

Erik Satie fait l’objet de la rubrique « Face B ». L’auteur des « Gymnopédies » est replacé dans son époque ce qui permet de voir que sa musique était en rupture avec la période romantique qui sévissait alors. Le personnage apparait furieusement obsessionnel comme le prouvent plusieurs anecdotes sont celle qui précise qu’il avait sept exemplaires d’un complet de velours moutarde qu’il porta en alternance durant sept ans. Excentrique, Erik Satie fit aussi école et fut célébré par les surréalistes. Il meurt à 59 ans et demeure encore une énigme. 

« Instantané » s’intéresse à un cliché de 1930 où l’on voit des hommes politiques épuisés après de longues discussions diplomatiques. Il est l’oeuvre d’Erich Salomon qui montrait là ce qu’on ne voyait jamais. 

Côté film, « La revue des cinés » s’intéresse à Fitzcarraldo de Werner Herzog. 

Avocat, Bruxelles et Meadows

« La sémantique c’est élastique » se livre à un amusant rapprochement entre l’avocat que l’on mange et celui qu’on consulte. Sachez qu’il s’agit là d’une homographie, c’est-à-dire deux mots avec une orthographe identique mais couplés à une étymologie différente. 

« Lieux de pouvoirs » nous fait pénétrer dans un lieu qui sent bon l’entre-soi : le collège d’Europe à Bruxelles. Il s’agit clairement d’une école de l’élite européenne où le coût des études est de 27 000 euros pour un an. Cinquante nationalités s’y croisent et c’est surtout le lieu pour se constituer des réseaux et des carnets d’adresses. 

« L’effet domino » parle du rapport Meadows de 1972. Il marqua une étape importante et aurait dû conduire à une prise de conscience de certaines dérives. Cinquante ans plus tard, beaucoup de ses conclusions se sont réalisées. En 2015, des chercheurs ont établi que quatre limites avaient déjà été dépassées. 

Pris pour cibles

Les paris sportifs visent par un marketing agressif les classes populaires et notamment celles des banlieues. En 2021, les mises ont augmenté de 48 % par rapport à 2019. Certaines personnes tombent dans une spirale infernale de dette. La publicité dans ce domaine commence seulement à être encadrée. Le reportage se termine par un entretien avec Thomas Amadieu, auteur d’un livre sur le sujet. 

Course de fonds

Les abymes représentent aujourd’hui la dernière frontière. C’est un espace sur lequel on ne sait quasiment rien. On imagine pourtant les richesses qu’il peut receler. Le paradoxe c’est qu’aujourd’hui les fonds marins sont moins connus que la surface de la Lune. Le reportage revient sur les étapes qui ont marqué la découverte de ce lieu. Il a fallu attendre 1974 pour qu’on découvre la dorsale océanique. Aujourd’hui, des brevets sont déposés sur les espèces marines et ils sont concentrés entre les mains de dix pays. On cherche à mieux connaître ce que peuvent contenir ces espaces mais la ligne est mince on le voit entre l’exploration et l’exploitation. Une double page finale insiste sur l’importance des câbles sous-marins puisque d’eux dépendent, par exemple, Internet. 

Prière d’être français

Cette enquête de d’Hélène Ferrarini et Damien Cuvillier pointe d’étranges pratiques d’assimilation toujours en oeuvre en Guyane. Colonie française depuis le XVIIème siècle, la Guyane resta considérée comme une terre de mission. Aujourd’hui encore les prêtres catholiques y sont rémunérés par la collectivité territoriale. L’Eglise catholique réunit des enfants dans des internats et les garde. Ce sont environ 2 000 enfants qui ont grandi dans ces conditions entre 1930 et aujourd’hui. 

Le code a changé 

La question des algorithmes est de plus en plus centrale et  ce reportage montre que de plus en plus de services publics s’en servent. L’exemple de Nathalie, 50 ans, montre comment cela se déroule. Elle a le malheur d’avoir été ciblé comme une allocataire à risque par les algorithmes et est à ce titre contrôlée. L’algorithme serait plus objectif que l’humain sauf qu’il ne faut jamais oublier qu’il est nourri par l’homme justement. C’est la question des biais cognitifs transmis sur laquelle revient Aurélie Jean en fin de reportage. Le sociologue Victor Dubois nous aide à mieux comprendre les rouages de la machine. L’exemple de Parcoursup est devenu synonyme de la défiance suscitée par les algorithmes publics. 

Capital et idéologie

Comme elle le fait régulièrement, La Revue Dessinée propose un extrait d’une bande dessinée sortie depuis en librairie. Il s’agit d’une adaptation du best seller de Thomas Piketty et le transcrire en dessin pouvait sembler un pari bien compliqué. Les auteurs ont choisi de faire vivre huit générations d’une famille afin de croiser l’aspect évolutif et en même temps d’incarner des notions qui pourraient paraitre abstraites ou absconses. Parmi les extraits ici présentés, on notera qu’en 1901, en Europe, les 10 % les plus riches possédaient 80 à 90 % du patrimoine du pays. 

Le numéro 39 de la Revue Dessinée enquêtera sur l’évasion fiscale, la crise climatique ou encore l’espionnage chinois.