L’édito de « La Revue dessinée » porte sur les contraintes et le corps. Plusieurs reportages en effet, et chacun à leur manière, aborde cette thématique. Que ce soit à travers l’exemple de l’IVG, des habitants de Marseille logés dans des taudis, les corps ne s’avouent pas vaincus. 

Des hommes à la mer

Ce reportage s’intéresse à la marine marchande. Le reportage commence par l’hôpital Purpan qui héberge un service d’urgence pour les marins 24 heures sur 24, joignable à tout moment par téléphone satellitaire pour les marins. On suit Patrick Roux qui assure à ce moment là la surveillance. Dans les grands bateaux, il n’y a pas de médecin à bord, ce qui est particulièrement compliqué en situation de Covid. La pandémie a changé la donne puisque de nombreux pays ont refusé de prendre en charge les marins malades. Sur les porte-conteneurs, il existe souvent plusieurs droits du travail qui s’appliquent selon les nationalités. Le métier est peu pratiqué en France puisque le pays ne compte que 18 000 marins de marine marchande sur 1,6 million dans le monde. Depuis 2013, il existe quand même un cadre minimal. En avril 2021, on suit une inspectrice qui peut aller jusqu’à immobiliser le bateau. A cause de la situation sanitaire, des marins circulent depuis plus d’un an. La Covid a annihilé le droit du travail existant, empêchant relèves et rapatriements. Une ligne d’urgence pour une aide psychologique s’est développée face à la montée des situations de détresse. La double page finale d’informations précise que 50 000 navires de commerce circulent en même temps sur la planète. 

Loi Neuwirth

Jean-Christophe Mazurie dans la rubrique « Au nom de la loi » revient sur la loi Neuvirth. Avant celle-ci, il y avait des avortements clandestins. Il retrace quelques étapes de la vie de Lucien Neuvirth pour comprendre pourquoi il s’est engagé dans ce combat. Il fait référence également à Margaret Sander, fondatrice du planning familial aux Etats-Unis. La première pilule contraceptive est mise au point en 1955 mais, en France, ce ne sont pas moins de onze propositions de lois en faveur de son adoption qui sont rejetées entre 1956 et 1967. Et, quand elle le fut en 1967, il fallut encore cinq ans pour faire paraitre les décrets. A la fin, le reportage s’interroge sur la possibilité d’une pilule pour les hommes. 

La méthode Macron sur le financement politique

Cette enquête porte sur le financement de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. En France, le plafond est à 16,5 millions d’euros. Lorsqu’il se lance en 2016, Emmanuel Macron a 80 000 euros en caisse. On peut faire campagne en France avec un petit budget comme le montre l’exemple de Philippe Poutou qui a mené campagne avec moins d’un million d’euros. Le système conduit au remboursement de la moitié du plafond du premier tour aux candidats qui dépassent les 5%. Cependant, les banques hésitent à prêter de l’argent. Pour sa campagne, Emmanuel Macron mise sur les dons, ce qui est nouveau en France, et cela peut être fait par les particuliers mais pas par les entreprises. Le reportage décortique ensuite les mécanismes pour collecter des fonds comme les soirées de collecte. Si on fait le bilan, ce sont moins de 800 personnes qui ont apporté la moitié du financement de la campagne. Les équipes du candidat réfléchissent alors aux moyens de présenter ces chiffres pour ne pas faire apparaitre leur candidat comme lié à quelques financeurs. On a ensuite l’intervention très intéressante de Julia Cagé qui montre comment le phénomène de don aux partis politiques est un phénomène de classe. Elle décortique les effets pervers du système actuel quand elle explique que le système fait que ce sont les idées des plus riches qui sont prises en charge par le système. La double page finale propose un historique de la question du financement des partis politiques en rappelant que jusqu’en 1988 les caisses noires étaient généralisées. 

Les rubriques : de l’image, des mots et du sport

La rubrique cinéma se penche sur « The big Lebowsky », un des films culte des frères Cohen sorti en 1998. L’intrigue de cette comédie qui parodie le film noir se révèle sans importance. En revanche, le Dude est la figure centrale de ce film. 

Côté image fixe, « Instantané » s’intéresse à une photographie prise lors des funérailles de Fidel Castro. La photographie de cette route bordée de soldats est chargée d’une symbolique forte car elle est le pendant de ce qui s’est passé en 1959 au moment de la prise du pouvoir par Fidel Castro. 

« La sémantique, c’est élastique » sème le doute, c’est le cas de le dire. Triturant ce mot, on en arrive à ne plus savoir quoi penser. En latin, le mot « doute » était déjà polysémique et sa notion pouvait déjà prêter à confusion. Le doute est constitutif de la science. Que penser du fait que l’expression « sans doute » signifie en réalité peut-être ! 

Si vous voulez vous mettre au tâi -chi, Marion Chancerel vous donne quelques conseils. Elle explique notamment que dans ce sport la lenteur doit aider à atteindre un état de profonde relaxation. 

« Face B » parle de Jun Togawa, une excentrique chanteuse nippone, star dans son pays depuis longtemps mais peu connue en dehors de l’archipel.

En arrière toutes

Ce reportage creuse en quelque sorte le sillon de la rubrique «  Au nom de la loi » en se focalisant sur la situation actuelle en Europe. La question de l’avortement est revenue sur le devant de la scène dans des conditions très différentes selon les pays. En Pologne, en 2020, on assiste à sa remise en question tout comme au Texas. En France en 2021 on discute de l’allongement de la durée possible pour avorter. Le cas de la Pologne est décortiqué avec la possibilité de l’IVG qui est refusée, même en cas de trisomie. Le reportage s’intéresse surtout à faire voir qui porte cette politique au sein du PIS, le parti au pouvoir dans le pays. On constate que c’est surtout une organisation appelée ordo iuris, soit 30 catholiques ultra-conservateurs. Plus inquiétant est le fait qu’ils s’organisent pour diffuser leur pensée en dehors de la Pologne. On voit également comment les tenants de cette ligne cherchent à infiltrer les organisations européennes et onusiennes. Ce qui est surtout glaçant, mais très instructif, c’est de voir comment cette branche mène aujourd’hui la bataille avec les moyens modernes de communication. Emile Duport n’hésite pas à détourner des éléments du discours féministe comme lorsqu’au lendemain de la mort de Simone Veil il lance un site pour faire d’elle une icône anti-IVG. D’autres exemples franchement effrayants sont montrés comme cette initiative en Lombardie où des tombes de foetus s’alignent sur plusieurs mètres dans les cimetières. 

Marseille année zéro

Après l’effondrement dramatique de deux immeubles à Marseille en 2018, Feriel Alouti et Benoit Guillaume empoignent la question du mal logement dans la cité phocéenne. A travers quelques cas significatifs, les auteurs donnent à voir la situation. Le tissu associatif local tente de panser les plaies et de lutter contre des décennies d’incurie politique. Après l’effondrement de 2018, quelques timides pas ont été faits. Une liste récapitule ainsi les obligations de la mairie en matière de relogement. La ville manque cruellement de logements neufs. On découvre que pour éviter de construire du logement social de nombreux programmes immobiliers sont constitués de 79 lots car l’obligation de faire du logement social commence à 80. A travers donc des portraits de mal logés et de militants associatifs on mesure le travail mené pour améliorer la situation. Obtenir un arrêté d’insalubrité est un très long combat très rarement remporté. 

Très chers docteurs 

Antoine Guirimand et Yann Chatelain parlent d’intérim mais dans un domaine qu’on n’attend pas forcément à savoir le domaine médical. Leur enquête est passionnante. Que penser d’un système qui permet à certains « mercenaires » selon les termes d’Agnès Buzyn de gagner plusieurs milliers d’euros par jour en palliant les défaillances de l’hôpital public ? On voit quelques cas, dont celui d’un anesthésiste, qui pour 24 heures peut toucher 1400 euros avec frais de déplacement, d’hébergement et de repas. Eux se voient plutôt comme les boucs émissaires révélateurs d’un système de santé à la dérive. Aujourd’hui, 30 % des postes de praticiens hospitaliers ne sont pas pourvus ce qui conduit à utiliser massivement l’intérim. Ce système a été estimé à 500 millions d’euros par an pour l’hôpital public. Depuis, quelques éléments ont changé, mais contourner la loi apparait toujours tout à fait possible. 

Pourquoi ce privé ? 

La crise de la Covid a mis sur le devant de la scène un métier parfois peu connu, celui des cabinets de conseil. Les noms de ces entreprises ne sont pas très connus mais on mesure combien ils travaillent en lien avec le secteur public, par exemple en matière de stratégie de vaccination. Le reportage se focalise ensuite sur le parcours de celles et ceux qui travaillent dans ces groupes et le moins que l’on puisse dire c’est que les conditions décrites montrent une exacerbation de la concurrence entre les prétendants. On voit aussi la porosité qui s’est installée entre secteur privé et secteur public avec des aller et retour parfois problématiques. Les auteurs du reportage se demandent aussi pourquoi sous-traiter ce genre de travail quand on a des ressources en interne ? On découvre en tout cas un monde des consultants marqué par une grande homogénéité de pensée avec ses codes et ses attitudes. L’exemple d’un CHRU fait frémir avec des discours qui mettent en avant productivité et efficacité, là les praticiens parlent de soins et de femmes et d’hommes. La double page termine par une réflexion sur l’externalisation des services publics.

En mars 2022, « La Revue Dessinée » parlera entre autres de réchauffement climatique en interrogeant des guides de montagne, mais aussi de la Polynésie française et des essais atomiques qui y eurent lieu. 

Jean-Pierre Costille