De nombreuses difficultés.
Matthieu Boisdron s’attache à nous montre que La « Grande » Roumanie des années 30 n’est grande que sur la carte, tant les éléments de fragilité y sont importants.
Sur le plan économique la Roumanie reste un pays largement agricole. Une agriculture traditionnelle, que les timides réformes agraires des années 20 n’ont pas permis de moderniser. Le secteur industriel, malgré une forte croissance dans l’après-guerre, reste peu développé. Une grande partie des ressources du pays provient du développement de l’exploitation pétrolière dont la plus grande partie est exportée. Dans ces conditions, la crise de 1929 frappe durement l’économie roumaine. Celle-ci se révèle incapable d’y faire face sans assistance extérieure. Les difficultés économiques touchent autant le monde paysan qu’ouvrier. Les grèves de 1933 dans l’industrie font surgir le spectre d’une agitation communiste téléguidée par le grand voisin soviétique.
La situation est compliquée par la nature de l’état roumain,. Avec des frontières récentes issus du premier conflit mondial, il comprend de nombreuses minorités nationales. Une des plus actives est la minorité allemande (4,1% de la population) disséminée dans tout le territoire. Elle s’oppose de plus en plus au régime au fur et à mesure quelle est gagnée par l’idéologie nazie. Les intérêts politiques allemands rejoignent ici els intérêts économiques et stratégiques avec le pétrole roumain. De leur côté, les Ukrainiens (3,2%) et les Russes (2%) concentrés dans les régions frontalières de Bucovine et de Bessarabie restent peu roumanisées. Mais ils ne bénéficient pas d’un soutien étranger important qui puisse faciliter leur agitation. Quant aux Hongrois (7,9% de la population), ils sont tenus sous haute surveillance, les relations entre Roumanie et Hongrie étant mauvaise en raison des différents territoriaux. Malgré l’appui apporté aux revendications de la Hongrie par Mussolini, ce groupe reste peu organisé, les différences sociales nuisant à son unité.
La minorité juive reste peu importante (4% de la population) mais le nombre de Juifs dans le royaume a augmenté après les annexions et l’installation de juifs polonais et russes dans les années vingt. L’antisémitisme roumain est important et renforcé par la proximité de l’URSS qui fait assimiler Juifs et communistes. Il ne va cesser de progresser tout au long des années trente, étant repris par les mouvements et partis d’extrême-droite et la minorité allemande.
Une vie politique violente
Tout au long de l’ouvrage l’auteur nous relate comment les nombreuses difficultés que connait le pays ne facilitent pas l’émergence d’une vie politique démocratique dans un pays où la démocratie était déjà imparfaite
Matthieu Boisdron montre le retour inattendu au pouvoir du roi Carol en 1930. Et comment cela vient rajouter à la confusion d’un système politique. Désormais, le roi et les partis traditionnels vont se disputer le pouvoir ; l’un rêve d’instaurer un exécutif royal fort, les autres n’entendent pas se soumettre. Leurs luttes d’influence empêchent l’instauration d’un système stable. La multiplication des scrutins, et l’instabilité ministérielle sont de mises tout au long de la décennie. Les multiples partis politiques se discréditent par leur incapacité à résoudre la crise et par la pratique généralisée de la corruption et du népotisme.
L’auteur nous montre comment, dans ce contexte, loin d’en profiter, le roi hésite sur la meilleure manière de s’imposer à la tête d’un exécutif fort. Il se révèle incapable de canaliser la montée d’une opposition d’extrême-droite. A côté des partis politiques extrémistes, le mouvement le plus puissant se révèle être la Garde de Fer de Codreanu. Mouvement nationaliste et antisémite à l’organisation paramilitaire et dont les membres n’hésitent pas à faire preuve de la plus grande violence pour éliminer leurs adversaires. Face à eux Carol II oscille entre une attitude répressive et la tentation de tirer les bénéfices de la violence des légionnaires à l’égard des partis traditionnels pour récupérer tous les pouvoirs.
Triste fin de règne
Le roi finit par mettre en place un pouvoir personnel en 1938. Il tente des réformes sociales, mais les effets sont limités. La création d’un parti unique (front de la renaissance nationale) à son service n’a guère plus de succès. Le conflit avec la Garde de Fer s’accentue, les exécutions de légionnaires répondent aux assassinats politiques.
C’est alors le moment choisi par l’auteur pour replacer la Roumanie dans les tensions internationales des années 30. Le royaume adhère aux différents systèmes d’alliances mis en place : petite entente, entente balkanique. Mais de par les relations conflictuelles qu’entretiennent entre eux les différents pays balkaniques, ces alliances ne durent guère. Pris dans les conflits d’intérêts entre les grandes puissances, les Roumains sont démunis, eux les alliés traditionnels de la France. La défaite française précipite alors le démembrement du pays au profit de ses voisins soviétiques, hongrois et bulgares auxquels il est obligé de céder une grande partie des territoires qu’il avait obtenu après la Première Guerre mondiale. Cela finit de discréditer Carol aux yeux de ses derniers soutiens et plus rien n’empêche l’arrivée au pouvoir du Conducator Antonescu, avec l’appui de l’Allemagne nazie.
Au final, un ouvrage dense, surtout centré sur la vie politique roumaine et non un tableau exhaustif de la Roumanie des années 30. Mais il y a déjà là beaucoup à dire et Matthieu Boisdron nous guide à travers les méandres d’un royaume en difficulté. Une bonne approche de ce que pouvaient être les dictatures autoritaires de l’entre-deux-guerres.
François Trébosc ©