La découverte de cet ouvrage, déjà un peu ancien, tient à la visite organisée par les Clionautes au château de Flaugergues, à Montpellier, où réside la famille de Colbert, dont plusieurs ancêtres ont combattu en Amérique et qui sont membres des Cincinatti, société qui regroupe les descendants des officiers français et américains ayant combattu ensemble lors de la Guerre d’Indépendance américaine.

Après plusieurs biographies en bandes dessinées, l’historien belge Louis-Bernard Koch et le dessinateur Philippe Cenci adaptent un roman historique du général des armées Gilbert Forray, Sur la route de Yorktown, paru en 2002. La société des Cincinatti a commandité l’ouvrage afin d’œuvrer à une meilleure connaissance des événements.

Il s’agit donc d’une fiction, dont le héros, Philippe d’Oraigny, est un officier des Gardes françaises à Versailles en 1776, dont le père est mort à Québec pendant la guerre de 7 ans. Il part en Amérique sur l’un des bateaux affrétés par Beaumarchais. Parlant Anglais, il va rencontrer tous les acteurs de cette guerre, à commencer par Washington et La Fayette, qui arrive quelques semaines après lui. On le suit dans les escarmouches avec les Anglais, le long des routes où il sert de courrier, puis à Saratoga. Il rentre en France en 1778 et prépare un débarquement en Angleterre, avant que le commandement soit confié à Rochambeau et qu’il embarque sur l’Hermione. Le retour en Amérique avec des troupes organisées et entraînées reçoit un accueil favorable des Américains, même si la jonction avec les forces de Washington tarde à se faire. L’attente donne lieu à un épisode de variole dans le camp, permet de faire connaissance avec le cartographe, futur maréchal d’empire Berthier, ou rencontre entre Rochambeau et les chefs indiens, tandis que les officiers fraternisent avec les élites locales. Le 20 mai 1781, les événements s’accélèrent, avec de multiples mouvements de troupes tant sur terre que sur mer, pour aboutir, le 19 octobre, à la reddition de Cornwallis à Yorktown. La dernière page conclut sur le 23 octobre 1801, où Bonaparte reçoit Cornwallis pour la signature de la paix d’Amiens, et complimente Rochambeau. La dernière image est un appel au souvenir.

La trame fictionnelle est excessivement légère, et il est difficile de s’attacher aux personnages, que ce soit le héros, sa fiancée française ou son ordonnance qui incarne le peuple. En effet, ils ne sont que prétexte à un ouvrage historique, qui met l’accent sur les faits. Le dessin est très classique, en ligne claire, avec un souci du détail, que ce soit pour les navires ou les uniformes. On peut regretter des figures un peu statiques et un manque de mouvement général. Malheureusement, le format très court de cette bande dessinée ne permet pas de détailler les événements. Cependant, bien des éléments sont esquissés et abordés, ce qui permet un point de vue original et bien documenté de la guerre d’Indépendance.

En effet, la grande originalité de cet ouvrage est de présenter cette guerre américaine du point de vue de l’Etat français. Il s’agit là d’un léger décentrement de l’événement pour le ramener à une logique française et étatique, où les considérations révolutionnaires et les débats des lumières sont absents.

Les premières vignettes sont à Versailles, lorsque Louis XVI est informé de la déclaration d’Indépendances des colonies américaines, avant son départ pour la chasse. Les auteurs souhaitent montrer le quotidien de la noblesse en 1776, entre obligations de Cour, bals, théâtre, domaines provinciaux, réseaux de solidarité, alliances entre familles. Beaumarchais apparaît comme auteur à succès et à scandale, Choderlos de Laclos, en capitaine qui s’ennuie. Le point de vue de l’Etat est clairement de faire le nécessaire pour affaiblir l’Angleterre pour contrer le traité de Paris en envoyant des armes et de l’argent aux insurgés, mais sans déclencher la guerre. La position de Sartine, ministre de la Marine, montre une certaine confiance en cas de conflit naval, tandis que le roi juge sage de ne rien décider…tout en laissant les entreprises privées de jeunes nobles se réaliser, avec le soutien de Silas Deane ou de Franklin. L’ouvrage insiste peu sur Washington et sa stratégie, et les membres du Congrès sont absents de l’ouvrage. Les escarmouches entre les deux armées ne donnent que des résultats de faible envergure, mais permettent de comprendre un peu l’armée anglaise, composée de mercenaires hessois et le tournant représenté par Saratoga : tandis que l’armée continentale est esquissée végétant à Valley Forge, le scénario ramène le lecteur à Versailles avec la signature du traité d’alliance du 8 février 1778, l’envoi d’un ambassadeur à Philadelphie, et l’organisation du conflit par les ministres français. Vergennes, Maurepas et Sartine sont à la manœuvre, et s’intéresse uniquement à la défaite de l’Angleterre. Un débarquement est donc prévu en Angleterre en même temps que l’envoi de renforts en Amérique. La puissance navale de la France, autour de l’amiral d’Estaing, de Grace, de la Motte-Piquet ou du bailli de Suffren est bien mise en valeur, avec par exemple la prise de Grenade, célébrée en France comme une immense victoire alors que non décisive, tandis que les préparatifs de l’hypothétique invasion de l’Angleterre depuis la Normandie semblent avoir un effet psychologique non négligeable sur les Anglais, sur la défensive tant sur leur île qu’obligés de rester aux Antilles. Aux entraînements des troupes succèdent les offensives diplomatiques, la France décidant l’Espagne à se joindre à ses offensives contre les Anglais.

La décision d’un envoi massif de troupes avec Rochambeau n’est effective qu’en avril 1780, la traversée nécessitant 38 jours. A ce moment, la situation de Washington est décrite comme désespérée, tant sur le plan militaire qu’économique (aspect qui n’est pas abordé pour la France), et les troupes françaises sont accueillies avec des fleurs et des feux d’artifice à Newport, mais ce n’est que le 20 septembre 1780 que Washington et Rochambeau réussissent à se coordonner, ce qui repousse toute opération après l’hiver, à mai 1781, même si La Fayette part en Virginie et en Caroline, ravagées par Cornwallis. Les troupes françaises font 1300km à pieds en trois mois et demi. Ces pages donnent l’occasion d’en apprendre un peu plus sur les soldats français : un jeune Dauphinois de 16 ans, par exemple, auquel le sergent recruteur avait caché le départ pour l’Amérique à l’engagement. La liste des régiments français montre des soldats venus de tout le territoire avec entre autres les régiments agenais, bourbonnais ou soissonnais. Sur le plan militaire, la grande réussite de Rochambeau et de Grasse est la coordination des actions à la fois sur mer et sur terre.

Le personnage de La Fayette est minoré : il est présenté comme un idéaliste, une forte-tête, arrogant et peu fiable (à qui fait-il allégeance, portant parfois son uniforme de dragon français, puis son uniforme de major américain ?). Washington est également peu présent, avec juste un rappel de sa plantation de Mount Vernon et de ses esclaves. L’objectif est clairement de mettre l’accent sur les forces de Rochambeau et de de Grasse, et de se focaliser sur le point de vue français.

Le paratexte du volume est là aussi très intéressant : il présente d’une part une explication sur la société des Cincinatti, fondée en 1783 dès le Traité de Versailles, et dont le nom fait référence à Cincinnatus, lié à la République romaine : si pour le côté américain, la relation à un républicain réputé modèle de vertu et d’humilité n’est pas surprenante, pour les officiers français, étant alors exclusivement membre de la noblesse, elle ne manque pas de sel, d’autant qu’elle est dûment autorisée par le roi. Dissoute en 1792, alors que les membres français partent en exil, elle est recréée en 1925. D’autre part, un état des forces en présence et une chronologie croisée de 1773 à 1783 qui facilité la lecture et apporte d’importantes précisions. Enfin, une carte permet de situer les différents lieux évoqués dans l’ouvrage. On apprend donc beaucoup avec ce volume, tout en restant en dehors des grands débats historiographiques actuels.

Sur les mêmes thèmes, avec une approche cette fois plus américaine, je ne saurai trop recommander la visite du château de Blérancourt, dans l’Aisne, où se trouve le musée franco-américain, avec la volonté de montrer que les deux pays partagent les mêmes valeurs et la même culture : Trois salles évoquent les Lumières et la guerre d’Indépendance, puis une très grande salle traite de la première guerre mondiale, deux petites de la seconde guerre mondiale et une de la guerre froide. Parallèlement, des salles d’art pictural montrent les influences réciproques entre les artistes. Là aussi, la volonté de renforcer les liens entre les deux pays est plus politique qu’historique, mais n’en demeure pas moins très intéressante et facile à appréhender avec des élèves de 4e (la maison de Saint-Just est dans le même village) ou de 3e.