Crise mondiale et gouvernance globale

Point de vue

Dans un entretien, Pierre Lellouche, secrétaire d’État aux affaires européennes précise que l’Europe, vingt ans après la chute du mur, est en mesure de jouer un rôle d’acteur à part entière dans les affaires du monde. Ce sont les Etats-Unis qui le souhaitent explicitement, avec la nouvelle administration Obama, mais ce sont aussi les voisins proches, qui en expriment le désir, comme lors de l’affaire géorgienne de l’été 2008.
Toutefois, l’entretien se limite à un rappel des grands principes, tels qu’ils ont été définis à plusieurs reprises par le locataire de l’Élysée, sur le partenariat avec la Méditerranée, sur les engagements de l’Union en matière de rejets de CO², sur la politique énergétique et sur l’agenda européen en matière de défense. On peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de ce type d’entretien qui n’apporte pas aux lecteurs de cette revue de référence de grands éclaircissements dans le domaine qui est celui de la sécurité globale.

Beaucoup plus intéressant car donnant le point de vue d’un acteur intervenant sur la ressource qui est l‘objet de ce numéro, l’entretien avec Jean-Louis CHAUSSADE, directeur général de Suez environnement, sur « La gestion stratégique des ressources » est très éclairant sur la perception que l’on peut avoir, du point de vue d’un groupe privé sur l’utilisation de l’eau, entre autres. Il est clair ici que la cohérence des mesures préconisées va dans le sens de la constitution d’un grand groupe GDF Suez, qui affirme vouloir changer sa relation avec ses clients. Toutefois, on pourra s’interroger sur l’absence de cette notion de Droit à l’eau, revendiquée par différents acteurs, à commencer par les collectivités locales qui reprennent en régie la gestion de l’eau. Il ne suffit pas de rappeler que l’eau est un bien universel pour convaincre les usagers, notamment dans les zones urbaines des pays développés, lorsque cette eau est devenue de plus en plus inaccessible, du fait de la mise en œuvre de grands projets qui privatisent de fait l’accès à la ressource. (Situation à New Delhi).

Cet entretien qui ouvre le dossier de ce numéro 9 de sécurité globale est loin de poser les vraies questions sur la géopolitique de l’eau, de façon concrète comme le font les autres rédacteurs qui évoquent « La ruée vers l’eau » dans ce dossier coordonné par Franck Galland, également directeur de la sureté de Suez environnement, ce spécialiste auteur d’une géopolitique de l’eau parue en 2008 aux éditions d’une CNRS, ( L’eau, géopolitique, enjeux, stratégies) et de plusieurs collaborations dans des revues spécialisées dans les questions de sécurité et de défense revient sur deux pays majeurs du point de vue démographique qui ont à gérer une problématique de la ressource en eau, à savoir l’Inde et la Chine, c’est-à-dire un tiers de la population mondiale. À l’échelle de la Chine de nombreuses régions, du Nord-Est se situent en dessous du stress hydrique de 500 m3 par habitant et par an. L’Australie touchée par une sècheresse majeure est également dans une situation difficile et des partenariats sont en cours avec le géant démographique de la zone, à savoir l’Indonésie.

Eau et catastrophes : rassembler les compétences

Loïc Fauchon, président du Forum mondial de l’eau et directeur général de la Société des eaux de Marseille, aborde la nécessité d’une nouvelle posture de réponse face aux perturbations climatiques et à la croissance des catastrophes naturelles où l’eau est le plus souvent l’une des composantes essentielles.
Les risques de catastrophes liées à l’eau sont en augmentation à l’échelle mondiale, du fait de la croissance démographique, de l’urbanisation, du changement climatique et de la dégradation de l’environnement. Les récentes catastrophes survenues dans le monde rappellent combien leurs effets peuvent être dévastateurs, particulièrement pour les pays en développement. Un Groupe d’experts de haut niveau sur l’eau et les catastrophes/ UNSGAB a récemment lancé un plan d’action destiné à améliorer la prévention et la réponse aux catastrophes. Les pertes humaines et les dégâts matériels peuvent ainsi être considérablement réduits grâce à la mobilisation de toutes les couches de la société avant que la catastrophe ne frappe, mais également grâce aux systèmes d’alerte précoce et à l’intégration de la réduction des risques aux plans de développement. La réponse d’urgence doit également être améliorée afin d’assurer l’approvisionnement en eau et en assainissement des populations affectées. De nombreux progrès restent encore à faire, notamment en termes d’évaluation et de coordination des acteurs. C’est pourquoi la communauté internationale se doit de rassembler les compétences et d’encourager de nouveaux partenariats afin de répondre au mieux aux enjeux complexes des catastrophes.

Quelle stratégie régionale pour l’eau au Proche-Orient?

Fadi Georges Comair, directeur général des ressources hydrauliques et électriques du Liban, président fondateur du Water Environment Energy Research Center de l’Université Notre Dame de Beyrouth, présenteson projet pour la sécurité régionale de l’eau au Proche-Orient.

Le problème du partage équitable des bassins transfrontaliers apparaît avec une acuité particulière dans les pays du Moyen-Orient où les ressources en eau sont naturellement limitées. Ces pays, qui représentent une population croissante avec un taux supérieur à 2,8 %, ne disposent que d’un pourcentage infime de l’eau douce disponible dans le monde. Désormais, cette ressource naturelle importante est au cœur des préoccupations diplomatiques des différents gouvernements du Liban, de la Syrie, de la Jordanie, de la Palestine, d’Israël, de l’Égypte et de la Turquie. L’eau devient alors une source d’enjeux transfrontaliers et donc interétatiques, s’agissant notamment des principaux fleuves : le Jourdain, l’Oronte, le Nahr el-Kébir, le Tigre, l’Euphrate et le Nil.
Tous les États riverains des fleuves transfrontaliers devraient collaborer positivement dans le but d’assurer une véritable politique de gestion de l’eau de ces bassins, fondée sur un partage équitable et une utilisation raisonnable de la ressource.
Mais force est de constater que l’attitude ambiguë d’Israël dans le processus de paix freine le processus. Il est d’après l’auteur inévitable. La pression démographique sur l’État hébreu, à l’intérieur, avec les arabes israéliens, comme avec les palestiniens dont le taux de croissance est de 3 % par an rend absolument nécessaire un accord avec les pays voisins qui contrôlent les bassins amont qui apportent de l’eau au territoire israélien.
La solution serait l’adoption par ces nations du concept de gestion intégrée par bassin versant (GIBV) en fonction du concept de la « nouvelle masse d’eau » qui prendrait en considération les eaux conventionnelles et non conventionnelles pour la paix et la prospérité économique de ces pays. L’auteur insiste également sur les coûts et les usages des eaux non conventionnelles, notamment celles résultant des différents processus de désalinisation. Elles sont utilisées à 22 % pour la production de légumes primeurs en Espagne ce qui permet de les valoriser et qui offre des perspectives de développement rural dans les pays du sud et de l’Est méditerranéen.

Vers une sécurité hydrique extensive

Chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), Alexandre Taithe a choisi de montrer comment prévenir les tensions actuelles et futures sur les conflits d’usage de l’eau en intégrant les enjeux agricoles et énergétiques.

La perspective de conflits régionaux pour la maîtrise de l’eau douce concentre l’attention des médias et de quelques centres de recherche, les tensions liées à l’eau s’avèrent avoir une origine (et une réalité) locale, reflétant des usages inadaptés à la ressource disponible. L’irrigation traditionnelle est, on le sait, dispendieuse et peu adaptée à des situations de concurrence sur les usages de l’eau.
La réforme des politiques de l’eau est en effet compliquée, en premier lieu, par des contraintes internes: la dimension sociale et politique du secteur agricole, les conflits d’usages entre usagers agricoles et domestiques ou encore les tensions relatives à l’accès à l’eau potable dans les grandes agglomérations.
Les réponses adoptées par les décideurs politiques privilégient une gestion de la ressource centrée sur l’offre, ce qui accentue les vulnérabilités et dépendances quantitatives à l’eau. La gestion de l’agriculture, de l’énergie et de l’eau devient de plus en plus intégrée. La profonde imbrication de ces trois secteurs rend plus complexe encore la réforme des politiques de l’eau. Enfin, pour ce chercheur, le concept de sécurité hydrique gagne alors à être élargi pour une meilleure prise en compte de ces contraintes internes, qui restreignent les marges de décisions des responsables politiques.

La maîtrise de l’eau en Afrique de l’Est: tensions et territoires

Mathieu Mérino, chercheur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, présente la situation en Afrique orientale dans une zone marquée, comme d’autres par la progression des déserts et que la position géographique expose à de multiples sècheresses, catastrophiques pour les populations locales.

En Afrique de l’Est, comme sur le reste du continent, l’exploitation et la maîtrise de l’eau, tant en milieu rural qu’urbain, sont devenues des questions stratégiques au regard de l’accroissement démographique, de la diversification des activités économiques et de la dégradation actuelle de l’environnement.
Pourtant, la forte disponibilité de l’eau à l’échelle de la zone, grâce à de nombreux lacs dont la deuxième réserve d’eau douce du monde, le lac Victoria, tranche avec la situation de stress hydrique rencontrée par six pays: l’Érythrée, l’Éthiopie, le Kenya, l’Ouganda, la Somalie et la Tanzanie. La ressource hydrique est l’objet nombreuses convoitises devenues facteurs de tensions entre États mais également au sein des villes et des campagnes. Il est clair que l’on se heurte ici à un problème de manque de moyens, comment par exemple mettre en œuvre les transferts d’eau des zones de ressources aux zones de consommation mais aussi à des confrontations liées au découpage des frontières.

Géopolitique de l’eau en Afrique australe

David Blanchon, maître de conférence à l’Université Paris Ouest Nanterre, et Agathe Maupin, géographe et enseignant-chercheur à l’Université de Bordeaux, traitent des enjeux stratégiques liés à l’eau en Afrique australe, un ensemble régional rarement étudié sous cet angle.

La gestion des ressources en eau en Afrique australe est fondée sur un système complexe de relations de pouvoirs, qui a été modifié ces dernières années par l’augmentation du caractère stratégique des ressources en eau pour le développement des pays du subcontinent. Les évolutions politiques, économiques, sociales qu’ont connues les États d Afrique australe, ainsi que les événements hydrologiques violents (sécheresses, inondations) de ces vingt dernières années, ont contribué à l’émergence de risques hydropolitiques liés à la gestion des ressources en eau dans cette région. Les enjeux pour le contrôle de l’eau se sont multipliés, par le biais notamment de l’introduction de nouvelles politiques de l’eau et de nouveaux acteurs. Si l’Afrique du Sud semble affirmer sa position d’hydrohégémon en Afrique australe, des contre-pouvoirs émergent sous différentes formes, des Agences et Commissions de bassin à l’échelle nationale et transfrontalière aux actions locales menées par les associations d’usagers.

Lutter contre la vulnérabilité des réseaux d’alimentation en eau potable

Trois spécialistes de l’eau, le professeur Ilan Juran (Polytechnic Institute, New York University), Bruno Nguyen (directeur des opérations d’eau de Paris) et Sion Cohen (vice-président du planning et des infrastructures de Mekorot) présentent le positionnement et les ambitions de l’association internationale W-SMART qui regroupe les opérateurs publics et privés de l’eau sur les questions de sûreté et de gestion de crise.

À l’issue des attentats du 11 septembre, face aux défis posés par la vulnérabilité des réseaux métropolitains d’alimentation en eau potable vis-à-vis d’un terrorisme croissant à l’échelle planétaire, la solidarité internationale entre les gouvernements locaux et les opérateurs publics et privés de ces réseaux est devenue indispensable. À New York, le directeur général du Département de la protection de l’environnement, chargé de l’Eau et de l’Assainissement, a réuni des opérateurs nord-américains, européens et israéliens, afin de partager à chaud l’expérience de la crise, évaluer ses conséquences immédiates, aborder les impacts des stratégies mises en œuvre et explorer les moyens qui auraient permis de réduire ces conséquences.
Les sources de distribution d’eau sont en effet vulnérables à des attaques chimiques ou bactériologiques qui peuvent être organisées avec des moyens limités. Les moyens de surveillance ne semblent pas évidents à mettre en œuvre vu le nombre des lieux à contrôler.