L’histoire débute à Paris, au début des années 1750. Angélique du Coudray, sage-femme jurée au Châtelet reconnue pour son savoir et son expérience, exerce son métier auprès d’une clientèle aisée et intervient dans des situations critiques. Elle doit cependant faire face à une pression de plus en plus forte des chirurgiens dont certains comme André Levret sont des accoucheurs réputés. Les philosophes des Lumières, à l’instar de Denis Diderot qu’elle rencontre au salon de Madame du Deffand, considèrent même que la disparition des sages-femmes au profit des chirurgiens accoucheurs est une marque de modernité et de progrès. C’est dans cette ambiance de forte concurrence et de tensions entre les sages-femmes et les chirurgiens accoucheurs à Paris qu’Angélique du Coudray reçoit une demande du baron de Thiers. Il lui demande de venir s’installer en Auvergne où il n’y a pas de sage-femme, mais uniquement des matrones qui ont alors pour seule connaissance le fait d’avoir elles-mêmes un jour enfanté. Après quelques hésitations, et conseillée par son ami le chirurgien frère Côme, Angélique du Coudray quitte la ville de Paris et s’installe à Thiers. À son arrivée en Auvergne, elle est pourtant loin de faire l’unanimité. Bien qu’elle soit soutenue par le baron de Thiers et l’église locale, les matrones voient en elle une concurrente, voire même une avorteuse, et déconseillent aux femmes de lui faire appel. Plutôt que de donner l’impression de vouloir prendre leur place, Angélique du Coudray décide alors d’enseigner aux matrones les rudiments de son art de la même manière qu’elle le faisait à Paris avec ses apprenties.

La sage-femme du roi, d’Adeline Laffite et Hervé Duphot, publié aux éditions Delcourt en 2023, relate la décennie 1750 au cours de laquelle les médecins et les administrateurs prennent conscience d’une trop forte mortalité puerpérale et infantile. La pratique soignante est dévolue aux hommes, exception faite des sages-femmes pour des raisons morales et religieuses. C’est ainsi que naissent des pratiques différentes. Si les médecins ont une approche plus scientifique, les sages-femmes pratiquent un savoir-faire empirique et manuel. Au début des années 1750, seul l’Hôtel-Dieu de Paris délivre un apprentissage officiel pour une vingtaine de femmes par an qui exercent ensuite dans les grandes villes à l’instar d’Angélique du Coudray. En arrivant en Auvergne, elle prend conscience des écarts qui existent entre Paris et les provinces du royaume dans le suivi des femmes enceintes. Ce contexte lui permet de mettre au point « une machine », un mannequin de conception artisanale pour lui permettre d’enseigner les techniques de l’accouchement. Au cours de cette même période, elle rédige un Abrégé de l’art des accouchements, publié en 1759 lorsqu’elle reçoit un brevet royal. Alors soutenue par le roi, Angélique du Coudray est dès lors missionnée pour dispenser ses cours sur la pratique des accouchements dans tout le royaume de France.

Avec sa trame chronologique, La sage-femme du roi se lit sans difficulté tout en apportant son lot de précisions et d’explications. Le dessin est agréable, simple mais réaliste et adapté à l’histoire. Il donne à voir au lecteur les paysages urbains et ruraux de l’Auvergne du milieu du XVIIIe siècle. Les personnages variés sont plutôt reconnaissables (pour ceux dont le portrait est connu) et les couleurs, quant à elles, donnent vie aux planches sans être agressives. On pourra cependant regretter l’absence d’un dossier documentaire en fin d’ouvrage qui aurait été bienvenu pour apporter des compléments d’information à la fois sur les prémices du métier de sage-femme, sur la personnalité d’Angélique du Coudray et sur sa machine. Malgré tout, on ne peut que constater le travail remarquable d’Adeline Laffite et Hervé Duphot qui ont su, au travers de cette bande dessinée, redonner vie à Angélique du Coudray un personnage injustement méconnu, au regard des progrès qu’elle a apportés dans la formation des sages-femmes en France.