Dans cet essai polémique très structuré, Paul Ariès nous propose une réflexion sur les mots à la mode, leurs usages et leurs sens. Un texte vif et décapant contre la croissance et l’incontournable P.I.B. Il s’oppose au «recyclage » du vocabulaire par les divers groupes politiques, syndicaux, associatifs qui visent à se donner bonne conscience face au saccage de la planète en prônant le toujours plus, contre l’illusion mortelle d’une société d’abondance impossible pour tous.

L’auteur est enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université de Lyon, directeur du journal d’analyse politique Le Sarkophage, rédacteur au mensuel La Décroissance, collaborateur à Politis. Il est l’auteur d’une trentaine de livres qui traitent tour à tour de sujets en rapport avec notre société: les sectes, la scientologie, la mondialisation de Mac do à Disney, la consommation, le harcellement au travail ou le capitalisme vert.

Cet essai, volontiers iconoclaste, propose une lecture des positions idéologiques du capitalisme à l’extrême gauche face à la crise écologique avant de se faire le chantre de la sobriété et de la gratuité. L’auteur développe ses idées en appuyant son propos sur les analyses de nombreux auteurs.

Le capitalisme vert

Cette première partie est une analyse du Grenelle de l’environnement et du concept de développement durable qui semble être bientôt au cœur des programmes de géographie pour le lycée.

C’est tout d’abord une critique au vitriol du capitalisme vert et des des technosciences qui promettent de sortir de la crise écologique tout en continuant à faire le maximum de profits. A partir d’exemples de projets futuristes comme la ferme néerlandaise Deltapart qui prévoit de nourrir 1 million d’humains, l’auteur montre comment il s’agit d’adapter la planète au capitalisme.

Le second chapitre est une critique argumentée de la monnaie carbone qualifiée de spéculation boursière du droit à polluer, c’est l’occasion d’un survol de différents modèles économiques selon lesquels le progrès technique réglera tout.

Enfin Paul Ariès, reprenant les alertes de spécialistes de l’éthique comme Jacques Testart ou Bernard Baertschi, dénonce les théories « transhumanistes » qui permettront d’adapter les humains.

Le productivisme, maladie honteuse des gauches ?

Il s’agit de voir comment l’évolution du capitalisme et de l’entreprise toujours plus intrusifs dans la vie privée sont désormais plus difficiles à combattre. L ‘analyse du poids des marques et de la publicité, qui semble un passage utilisable en éducation à la citoyenneté, pose la question: Quelle culture peut-on opposer au capitalisme? Quelle autonomie face à la culture marchande?

Après la critique virulente du capitalisme dans la première partie, l’auteur ne fait ici aucun cadeau aux idéologies de gauche. Une occasion de prendre connaissance des récentes et diverses analyses du marxisme entre lutte de classe, remise en cause du productivisme et de redécouvrir des auteurs comme Paul Lafargue et son éloge de la paresse écrit en 1880. le chapitre se termine sur une analyse chiffrée de l’évolution du pouvoir d’achat depuis 1970.

Le pessimisme des gauches antiproductivistes

L’auteur nous propose un tour d’horizon des utopies socialistes depuis le XIX ème siècle et des raisons de leur échec: de Pierre Leroux aux anarchistes : Kropotkine ou Élisée Reclus. La simplicité d’un Proudhon, le refus de l’industrie d’un Bakounine ou la désobéissance civile prônée par Henry Thoreau, les thèses d’Althusser, Marcuse ou Gramsci ont comme dénominateur commun la question de l’aliénation de l’homme face à l’économie.

Le pessimisme inscrit dans ces thèses se retrouve aussi chez Adorno ou Mattelart et au sein de l’internationale situationniste. L’auteur appelle à sortir de ce pessimisme

Un antiproductivisme optimiste est-il possible?

Selon Paul Ariès un anticapitalisme populaire et spontané existe depuis la fin du XVIII ème siècle: du refus des enclosures à la révolte des canuts. Il s’exprime aujourd’hui dans l’économie solidaire par le refus de la confiscation du travail, la défense des métiers complexes et de l’identité des acteurs économiques.

Cette résistance passe aussi par l’opposition aux produits standardisés, les « ersatz » selon l’expression de William Morris. L’auteur nous propose ici une liste des objets inutiles qui ne manque pas d’humour avant de conclure sur le droit d’être conservateur dans la défense d’un mode de vie, d’une identité, d’une culture populaire; en reprenant les propos de Moishe Postone (Temps, travail et domination, 2009).

Les chemins de la simplicité

Après la critique de l’hyperconsommation fut-elle verte, d’un monde barbare où disparaissent les identités collectives cette cinquième partie se veut force de proposition.

Et d’abord en recréant de la différence contre l’homogénéisation capitaliste, différence fondée sur des identités fortes, l’auteur nous invite à la grève de la consommation, appuyant son raisonnement sur les vertus de la gratuité et la notion de mésusage.

Pour l’auteur le choix individuel d’un mode de vie, conforme à ses valeurs est essentiel et déjà en tâtonnement aux marges du système dans les AMAP, les réseaux SEL, le tourisme sociale… Il oppose les objecteurs de croissance à un système de production capitaliste incapable de « faire société ». Il met l’accent sur la nécessité de retrouver la convivialité, la socialisation des risques, une symbolisation de la société.

Il est raisonnable de choisir la frugalité pour 8 raisons: combattre l’artificialité, pour l’homme plutôt que les machines; (re)découvrir son corps, contre le jeunisme; refuser de se voir comme un simple producteur, contre le travail précaire; refuser l’hyperconsommation et choisir l’utile et le durable ; choisir la reconnaissance des individus ; changer son rapport au temps, à l’espace et à la nature avec Michel Serres et Gilles Clément.

Une réflexion plus théorique que pratique, un essai polémique auquel nul n’est obligé d’adhérer mais qui a le mérite de poser de bonnes questions et d’être intellectuellement stimulant.

Christiane Peyronnard