La société comme verdict s’organise en neuf chapitres alliant des explications de textes littéraires (Simone De Beauvoir, Annie Ernaux, Claude Simon, Paul Nizan, Raymond Williams, Richard Hoggart,…), une riche réflexion introspective sur l’illustration de l’édition de poche de Retour à Reims figurant une photographie d’Eribon adolescent, l’importance des textes de Pierre Bourdieu ou de Michel Foucault dans le cheminement intellectuel de l’auteur, mais aussi l’histoire, ou plutôt l’absence d’histoire de la vie de ses deux grand-mères issues des classes populaires. Il montre, qu’à défaut de sources disponibles, au contraire des familles bourgeoises qui transmettent non seulement un patrimoine immobilier, mobilier mais aussi culturel à leurs enfants, il lui est impossible de faire le portrait de ses aïeules.
L’ensemble de ces réflexions vise à montrer les mécanismes de la reproduction sociale, qui perdurent malgré les efforts de démocratisation (terme réfuté par Eribon au profit de la « massification scolaire ») offerts par le système scolaire. A ceux qui réussissent à s’émanciper de leur milieu manquent toujours les codes et le capital social pour être à l’aise dans leur vie professionnelle comme personnelle. « La force des habitus, le rapport que les milieux sociaux dépossédés depuis toujours de l’accès à l’éducation et à la culture, avec comme conséquence principale l’auto-exclusion, l’autoélimination – c’est-à-dire, en réalité, l’élimination automatique et inévitable qui est pensée et vécue comme un choix libre par ceux qui en sont victimes – sont dotés d’une puissance de perpétuation de l’ordre social hiérarchisé tout aussi agissante et efficace que les stratégies conscientes ou inconscientes des dominants. » (p. 175). Il tient pour preuve de cette réalité passée comme actuelle (il insiste sur ce point) la faible place tenue par les enfants d’ouvriers dans la production du discours « savant ».
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes