11 % de bacheliers en 1960, 80 % aujourd’hui, des écrans très peu présents jusque dans les années 60 et qui sont partout aujourd’hui : voici deux comparaisons, parmi tant d’autres, que permettent le livre de Valérie Veyrclitte. Cette historienne, docteur en science politique, propose dans ce livre une approche en trois temps des transformations de la société française de 1945 à nos jours. Elle choisit un découpage chronologique qui rompt avec la traditionnelle coupure de 1973 en proposant celle de 1968. Isoler la période 1968-1995 s’explique par le fait qu’elle correspond, selon l’auteure, à la prise de conscience progressive par les contemporains d’une fracture sociale et à une remise en cause de l’Etat social d’après-guerre. Valérie Veyrclitte doit forcément procéder à des choix tant les thèmes possibles à aborder sont nombreux. Le livre comprend une bibliographie, précise ses sources et fournit un index.

De l’État social à la société de consommation 1945-1968

Il faut rappeler qu’en 1945 le PIB par habitant est inférieur à celui de 1894, qu’un édifice sur quatre est détruit. Le traumatisme est aussi humain avec 562 000 morts. Valérie Veyrclitte retrace ensuite la politique d’intervention de l’Etat pour redresser le pays. Le niveau de vie augmente ce qui peut expliquer le relatif calme social. Dans le même temps, la société change, que ce soit, par exemple, au niveau du syndicalisme ou du nombre d’agriculteurs. On voit naitre une certaine image mythifiée du paysan qui n’est pas exempte d’ambiguïté. L’auteure évoque la condition des femmes et rappelle aussi qu’en 1968 un tiers des Français a moins de vingt ans. Les changements liés à la société de consommation sont abordés à travers par exemple l’équipement des foyers. Il faut se souvenir qu’en 1954, seuls 8 % des foyers possèdent un lave-linge. Il est question aussi des pratiques culturelles avec le cinéma ou le théâtre. 1% des foyers ont une télévision en 1954, 39 % dix ans plus tard et plus de 82 % en 1974. La fin de cette partie est consacrée à Mai 68, un « événement Janus ». On peut utiliser cette expression en raison des ambivalences de cette période, que ce soit en termes de motivations des acteurs ou encore d’usages du passé.

Les espoirs douchés par la crise 1968-1995

La périodisation choisie par l’auteur permet d’insister sur les héritages de Mai 1968 et de moins centrer le propos sur la crise économique. Elle insiste d’abord sur de nouvelles formes d’engagement que l’on voit se développer à l’époque. L’économie se transforme avec l’expansion du secteur tertiaire qui occupe plus de 56 % des actifs en 1981. Les dépenses pour l’emploi passent de 65 à 240 milliards de francs entre 1980 et 1994 et l’emploi précaire se développe. La société commence à vieillir et la question de l’immigration retravaille la France comme à d’autres époques. La société de consommation est de plus en plus synonyme de loisirs, de vacances, avec une forte inégalité entre cadres supérieurs et ouvriers puisque les premiers y consacrent une part trois fois plus importante que les seconds. Valérie Veyrclitte cite plusieurs éléments pour percevoir l’évolution des modes de consommation avec globalement « plus de services et moins d’alimentation ». En 1980, on assiste à l’ouverture du premier fast food sur les Champs-Elysées et l’année d’après du premier Ikea en France. La télévision est également l’objet de profonds changements avec l’augmentation du nombre de chaines. Valérie Veyrclitte s’attache enfin à caractériser la France de la fracture sociale. Le taux de pauvreté reste stable et touche 13,5 % de la population en 1984.

En finir avec les Trente Glorieuses ? De 1995 à nos jours

Forcément, plus on s’approche de l’époque actuelle, plus il est difficile de proposer une analyse distanciée et complète. On retiendra les titres de chapitres qui permettent de ne pas perdre de vue les grands éléments structurants comme « la fin de la généralité fordienne et l’entrée dans la mondialisation ». La diversité des emplois en terme de statuts est croissante. L’auteure poursuit sur des « Français plus nombreux dans une France vieillissante » et on constate que l’espérance de vie est corrélée au niveau du diplôme. La famille change avec en 2014 un tiers des ménages qui est constitué d’une seule personne, un tiers de deux personnes et un tiers de trois personnes ou plus. Un tableau rappelle l’évolution de la perception de l’homosexualité dans la société française : en 1968, elle est considérée comme une maladie mentale par l’OMS, classification que la France abandonne en 1981. Les modes de consommation se caractérisent par une diversité toujours plus grande et à cet égard le numérique constitue un exemple particulièrement frappant. Il y a cependant un domaine où la dématérialisation reste limitée : c’est celui du livre. L’auteure consacre également un développement à l’école et s’interroge pour savoir s’il s’agit d’une machine à créer des inégalités. Elle consacre plusieurs pages à la question de la place des religions aujourd’hui. La dernière sous-partie pose le rapport entre égalité, cohésion et justice territoriale. C’est l’occasion d’interroger les inégalités territoriales qui existent à travers le pays.

En un peu plus de deux-cent pages, Valérie Veyrclitte dresse un panorama des évolutions de la société française, appuyant son propos de nécessaires références chiffrées mais sans que cela soit au détriment de l’analyse. Une bonne synthèse pour qui s’intéresse à la question.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes