Numéro bienvenu que celui-ci ! La revue Carto qui est maintenant bien installée dans la documentation des enseignants d’histoire-géographie, propose un dossier excellent sur la Syrie.
Fabrice Balanche, enseignant à l’Université Lumière-Lyon II et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO) présente un riche dossier avec pas moins de treize cartes sur la situation actuelle de la Syrie (pp. 10-21), « Un Etat en déconstruction ». Il rappelle les éléments historiques de la constitution du pays après la première guerre mondiale et la mémoire d’un territoire amputé. Il aborde le cas particulier des alaouites qui constituent un Etat propre entre 1920 et 1936 au nord du Liban. Après l’épisode de la République arabe unie avec l’Egypte de Nasser, il montre la montée du parti Baas et la lutte des différentes factions à l’intérieur de celui-ci (alaouites, druzes, chrétiens, ismaéliens…) jusqu’au coup d’état d’Hafez al-Assad en 1970. Le contrôle du pouvoir sur le territoire est montré par un maillage administratif soigneux et le soutien d’un groupe de solidarité alaouite « asabiyya » fondé sur la tribu des Kelbyin ; le pouvoir réel est aux mains des services de renseignements, les « moukhbarat » dominés par les alaouites. Élément central des difficultés actuelles, la situation économique est également décrite avec ses déséquilibres démographiques, l’inégal développement du pays, le rôle des deux villes dominantes, Alep et Damas, ainsi que les dernières réformes hasardeuses de Bachar al-Assad. Les cartes sont une réelle aide à la compréhension de la complexité syrienne pour les non-spécialistes : réseau des transports p. 16), hiérarchie urbaine, centre et périphérie (p.17), répartition communautaire en Syrie et au Liban (p. 15) sans négliger les migrations intérieures depuis 1990 (p. 14). Enfin, la présentation de l’insurrection et de la contre-insurrection (cf. carte 12 et 13 pp. 20 & 21) met en évidence la fragmentation du pays. L’auteur n’est pas optimiste et craint après un long conflit –en raison des aides internationales- l’impossible réconciliation nationale qui pourrait alors entraîner de nouvelles frontières, fondées sur les lignes de fractures communautaires…
Toujours en liaison directe avec l’actualité, « Le Mali, un Etat en voie de somalisation ? », Tigrane Yégavian rappelle la géopolitique régionale du conflit malien.
J’ai également trouvé intéressante par Nicolas Ressler la « Querelle frontalière sur le lac Malawi » entre Tanzanie et Malawi, peu médiatisée, et qui repose sur des revendications de frontières dans un contexte de prospection pétrolière. Si la Tanzanie appelle à une médiation africaine, le Malawi veut en appeler à la Cour internationale de justice. A suivre…
Mathias Strobel oriente le regard vers le sud avec « Les espaces maritimes autour de l’Antarctique » (pp. 34-35). Si la situation actuelle de l’arctique est maintenant bien connue et présente dans tous les derniers manuels de géographie, le cas de l’Antarctique gelé (c’est le cas de le dire…) jusqu’en 2048 par le traité de 1959, connait pourtant des évolutions avec les demandes d’extensions de plateau continental qui permettent une augmentation de la ZEE (Australie, puis Argentine et Norvège). De plus, la Russie qui n’a jamais jusqu’à présent émis de revendication territoriale sur ce territoire, annonce son intention de lancer des prospections minières sur l’Antarctique et les océans proches.
Tigrane Yégavian propose une carte de « Rio de Janeiro : en attendant les Jeux olympiques » de 2016 et la coupe du monde football l’année prochaine. La carte permet de visualiser les zones stratégiques et l’article montre les difficultés que tente de gérer la ville (pp. 36-37).
Caroline Ronsin rebondit sur la candidature de Mitt Romney avec « Le moment mormon » : une carte des Etats-Unis avec le poids numérique des mormons dans chaque Etat et un planisphère montrant l’implantation de la secte dans le monde (pp. 38-39).
Ceux qui s’intéressent aux exportations des jouets de la Chine pourront se référer aux cartes et documents proposés par la même auteure (pp. 41-44).
Myriam Hamache sur le thème de l’ « Indonésie : le récit d’un miracle économique » affiche une carte du pays quelque peu complexe (mais avec plus de 17 000 îles, la chose n’est pas simple…) qui met en avant les grands progrès du pays qui sera probablement classé dans les émergents rapidement. On peut noter l’indication des routes maritimes, toujours utiles pour ceux qui ont en charge les classes terminales (pp. 48-49).
Guillaume Fourmont attire l’attention sur le confetti qatari qui occupe une place de plus en plus grande dans les investissements mondiaux, un planisphère bien utile pour repérer l’implantation spatiale de cette activité tous azimuts (pp. 50-51)…
Une autre carte sur les troubles chiites en Arabie saoudite (p. 52) montre un danger potentiel pour le pouvoir.
L’œil du cartographe aiguise toujours la vision du lecteur, Cécile Marin propose cette fois les anamorphoses qui conservent le fond : résultats des élections américaines de 2012 ou revenu des ménages en France en 2009, lorsque les surfaces sont déformées en fonction des habitants, les résultats sont vraiment intéressants (pp. 54-55).
Enfin, pour terminer un dossier de Stéphanie Petit sur les forêts (pp. 58-63), à consulter en parallèle avec les Dessous des cartes récents de Jean-Christophe Victor sur ce même thème et les superbes pages de Jean-Yves Sarazin sur la cartographie et la géographie arabe (pp. 65-71) ; il est possible d’écouter sur France-Culture l’émission de Planète terre consacrée à ce sujet : http://www.franceculture.fr/emission-planete-terre-mondes-chinois-arabes-et-europeens-la-circulation-des-savoirs-geographiques-2#.UP_midhMgws.facebook
Toujours pertinente, l’utilisation des cartes dans les caricatures que Frank Tétart présente avec sans surprise le conflit israélo-palestinien qui fournit plusieurs exemples mais aussi la Belgique (pp. 75-77)…
Bref, un excellent numéro utile comme toujours aux enseignants, on attend le prochain avec impatience !