Le comité scientifique de Maghreb-Machrek comprend les principaux islamologues français et un démographe spécialisé dans le monde arabe : Philippe Fargues.
a Syrie, ouverture ?
Le monde arabe et la question nucléaire
Maghreb-Machrek, numéro 203, printemps 2010, Choiseul éditions
Rédacteur en chef Jean-François Daguzan
Avertissement pour les sympathisants d’Israël : certaines expressions des auteurs sont assez rudes. J’en reprendrai quelques unes, sans donner mon sentiment, qui n’a pas d’importance, parce que j’estime de l’intérêt de toutes les parties de connaître l’opinion des autres et surtout leur fondement.
Le retour de la Syrie dans la politique régionale est l’un des objets de ce numéro. Suivent d’autres facettes de situation de ce pays, dont les relations et la France. L’autre grand sujet est le débat nucléaire régional.
La Syrie, ouverture ?
La politique régionale
La Syrie est revenue sur le devant de la scène. Pour les pays européens comme pour les États-Unis, il a paru important de la remettre dans « le concert des nations ». Elle est en effet un des acteurs de la guérilla sunnite irakienne, elle soutient Hebzbollah et le Hamas, elle est le seul État vraiment laïque du monde arabe, est en contact avec l’Iran et est l’un des points de blocage de conflit israélo-arabe à propos du Golan.
Malgré les « complications » ci-dessus, l’Occident oublie donc les accusations d’assassinat de Rafic Hariri, notamment en France depuis le départ de Jacques Chirac dont il était très proche, tandis que les Etats-Unis de Barak Obama ont envoyé plusieurs signaux d’apaisement, malgré les limitations que leur impose leur situation en Irak et leur proximité d’Israël. De leur côté la Russie et la Chine tentent également des approches.
Côté syrien, on reste profondément choqué par « l’impunité de la morgue israélienne, la veule complaisance de l’Occident à son égard en matière nucléaire (qui contraste avec la sévérité envers l’Iran), ainsi que face aux agressions israéliennes barbares contre le Liban et Gaza » (on retrouve des idées analogues, avec un ton hostile ou navré selon les pays, dans l’ensemble du monde arabe). Tout en ne rejetant pas les avances occidentales, la Syrie reste donc très liée à l’Iran, au Hezbollah et au Hamas, le blocage des discussions avec Israël au sujet du Golan envenimant bien sûr la situation. Les contradictions dans lesquelles s’est empêtré l’Occident expliquent les fluctuations des relations diplomatiques depuis 2 ans. Officieusement, on serait assez près d’un accord, y compris sur l’eau du Golan, vitale pour la Syrie comme pour Israël, mais le gouvernement israélien actuel ne peut rien décider et encore moins proclamer dans ce domaine. Du moins cette détente relative a permis à la Syrie de débloquer ses rapports avec la Turquie et l’Arabie.
Et elle n’est pas pressée de conclure , ayant elle aussi ses problèmes internes que la tension internationale permet de mettre de côté. Son gouvernement sectaire (alaouite dans un pays à majorité sunnite), dictatorial, économiquement inefficace, laïque (ce qui n’est pas bien vu de tous) a besoin de la diversion nationaliste. Il tente de désamorcer la pression économique par les privatisations et la libéralisation du commerce, mais elles sont freinées ou détournées par l’appareil politique. La croissance a repris (hors crise actuelle) mais le retard reste considérable.
Les relations culturelles avec la France
Isabelle Feurstoss décrit l’importance des échanges culturels et universitaires entre la France et la Syrie, souvent occultées par celles, certes plus profondes, avec le Liban. Elle rappelle que si la France est « une mère » pour beaucoup de Libanais (car ayant permis la création de leur État), pour la Syrie, elle est a au contraire celle qui leur a arraché le territoire libanais.
Comme au Liban, ces relations culturelles étaient bien antérieures à la période mandataire, et ne s’étaient jamais arrêtés. Elles ont trouvé un nouveau départ sur fond de résistance à la mondialisation anglo-saxonne : le français est maintenant « deuxième langue étrangère » et surtout une part importante des nouvelles élites a une formation universitaire francophone, relayant ce qui reste des élites traditionnelles.
Cela dit, le cloisonnement de l’administration française fait que cette proximité culturelle a peu de conséquences économiques ou politiques.
Une montée de la société civile ?
Laura Ruiz de Elvira et Salam Kawakibi décrivent la situation interne du pays, et notamment la montée du rôle des O.N.G. caritatives et des médias privés, le tout restant entièrement sous contrôle et très loin des espoirs de « printemps » entrevu lors de l’arrivée au pouvoir de Bachar El Assad. Le seul progrès est la légère libéralisation économique nécessitée par l’échec économique du régime.
La question nucléaire
L’autre sujet de la revue, traité par Ali Rached et dont l’importance est soulignée, est celui du nucléaire régional. On a tendance en Occident à se concentrer sur l’Iran dont l’affirmation d’ambition « purement civiles » se heurte au scepticisme le plus total, notamment de ses voisins arabes. Or en fait la donnée fondamentale est celle du monopole nucléaire israélien. L’auteur n’a pas de mots assez durs contre « l’hypocrisie occidentale » qui veut ignorer ce point, ce qui sape tous ses efforts pour limiter la non-prolifération régionale. Cela d’autant plus que la demande de nucléaire civil grandit de la part de tous les acteurs arabes, que le traité de non-prolifération nucléaire l’autorise, mais que l’Occident y répugne de crainte d’un dérapage vers le militaire. La pression sur Israël devrait croître, une évolution de ce côté étant la seule alternative à une prolifération arabe dont le risque s’accentue depuis que l’Iran apparaît à ces pays comme une deuxième menace.
Abdullah Öcalan
La revues se termine par un petit article sur la figure du leader historique des Kurdes de Turquie. Philippe Boulanger nous rappelle l’histoire de ce personnage et le mythe qu’il a réussi à édifier, mais estime que malgré son succès médiatique, il est maintenant dépassé et que l’histoire kurde se fera maintenant sans lui et à partir de la situation irakienne
Bref cette revue est l’occasion d’avoir une analyse à partir d’un point de vue inhabituel dans les médias français.