Evelyne Cohen est maître de conférences à l’Université Denis Diderot (Paris 7). Elle a publié « Paris dans l’imaginaire national de l’entre-deux-guerres »
Marie-Françoise Lévy est chercheur au CNRS et l’auteur notamment de « La télévision dans la République. Les années cinquante. »
Approcher la télévision des Trente Glorieuses, c’est aborder un phénomène de massification. En 1963, 27 % des ménages français possèdent un téléviseur. Six ans après la barre des 70 % est déjà franchie. Se fondant sur l’étude des programmes de télévision, le livre s’intéresse aux rapports entre la télévision et les citoyens. Quatorze articles regroupés en trois parties composent cet ouvrage. La question de la télévision arrive dans les programmes scolaires comme en témoigne la consultation lancée autour de la série STI en terminale.

Télévision et pouvoir

Dans une introduction des plus limpides, Evelyne Cohen et Marie-Françoise Lévy situent les enjeux du livre. Il s’agit tout d’abord d’étudier la « télévision comme facteur politique ».
Dans le premier sur « l’information entre contrôle, censures et libertés », il s’agit davantage de confirmation : entre 1954 et 1974, la télévision est aux mains du pouvoir politique. Celui-ci se montre souvent maladroit avec ce nouveau média. Lors de l’élection de René Coty par exemple, le spectacle de retransmission des élections présidentielles est interrompu au 7 ème jour d’un scrutin (qui en comptera treize) car l’on craint la mauvaise image transmise par ce spectacle. C’est assez étonnant lorsque l’on sait qu’il y a alors seulement 60 000 récepteurs en France. L’auteur précise aussi comment des émissions comme « Cinq colonnes à la une » font l’objet d’une certaine surveillance.
Un deuxième article s’intéresse aux productions gouvernementales, sujet moins souvent traité. Le tout est illustré par la genèse du programme Guerre ou paix consacré au nucléaire. On peut dans ce cas relier les archives écrites et audiovisuelles. Ainsi on découvre que, constatant la mauvaise image qu’avaient les explosions atomiques dans le Pacifique, le ministre de l’Information pense remédier à cela par une série d’émissions télévisées. Il faudra plusieurs allers et retours entre les ministères et plus d’un an pour que le programme apparaisse à l’écran. Guerre ou paix ce fut donc cinq émissions sur trois journées, déployant des moyens techniques considérables pour convaincre les Français du bien-fondé du nucléaire. Le Canard enchainé ne manqua pas de relever cette offensive télévisuelle.
Au fur et à mesure des contributions, on découvre que les archives de la télévision ne sont pas forcément bien préservées. Ainsi, on apprend que les journaux télévisés étaient systématiquement découpés en sujets et que l’on ne conservait que ce qui était jugé réutilisable ! Autant dire que les journaux complets conservés se comptent sur un peu plus que les doigts d’une main. Ils ne doivent leur entièreté qu’à une grêve ou à une maladie d’un technicien !

Télévision et culture

Ensuite, le livre se soucie des « apprentissages culturels et des mutations sociales ». Dans cette partie, un article passionnant s’interroge sur les dramatiques télévisées comme « lieux d’apprentissage culturel et social dans la France des Trente Glorieuses » C’est l’occasion de détricoter un certain nombre d’idées reçues sur la télévision d’avant, forcément beaucoup plus culturelle qu’aujourd’hui. Ainsi, si les auteurs du répertoire classique théâtral occupent une place importante sur le petit écran, ils ne sont pas les seuls à inspirer le contenu des dramatiques, comme on les nommait. Un utile tableau propose d’ailleurs une typologie des spectacles d’alors. L’auteur met bien l’accent sur le fait que le téléspectateur se voit proposer une variété de programmes.
Myriam Tsikounas livre ensuite une stimulante analyse sur « les circulations province-Paris dans les feuilletons télévisés ». L’auteur explique qu’elle s’appuie sur ces séries car elles ont été vues et suivies, sur la période 1961-1973, par un grand nombre de personnes. L’image de Paris change complètement. La capitale passe d’une ville vieille et pleine d’embarras à l’incarnation de la modernité. Là aussi on s’aperçoit que travailler sur les archives de la télévision relève du parcours du combattant et de la chance. Il reste visiblement encore beaucoup à faire pour préserver notre mémoire télévisuelle collective, même si le site internet de l’ina est remarquable. Il y a en tout cas matière à chercher en interrogeant, pendant qu’il est encore temps, ceux qui réalisaient ces séries. Comment choisissaient-ils leurs sujets ? Quelles contraintes pesaient sur eux ?

Télévision et rituels

Enfin, la troisième partie s’avère plus sociologique, traitant des « rituels, formes et langages ». Cette partie est moins convaincante, comme lorsqu’elle traite des « funérailles nationales ». De même, dans l’article consacré aux « installations des présidents de la République », on assiste plutôt à une narration et les nuances réelles qui sont notées entre les occupants de l’Elysée font souvent partie de notre mémoire collective. Evidemment, cela peut sembler plus neuf pour nos élèves et indéniablement les installations des présidents témoignent d’une certaine décrispation du pouvoir, initié par Valéry Giscard d’Estaing. On apprend dans un autre article que le générique de « Bonne nuit les petits » se modifie en 1963 pour offrir en arrière-fond, non plus des maisons individuelles mais un ensemble HLM. La télévision est bien fille de son temps.

Il s’agit donc d’un recueil d’articles certes pointus, mais d’une lecture facile et agréable. En cas de doute, on aura intérêt à relier les contributions à une histoire générale de la télévision ou des médias comme celle de Jean-Noël Jeanneney afin de ne pas perdre de vue les grandes tendances de cette époque. Certains articles livrent d’intéressantes anecdotes et, comme souvent dans ce genre de format, chacun puisera en fonction de ses goûts. En tout cas, et dans l’optique de l’apparition de ce thème dans certains programmes, cet ouvrage se révèle un outil précieux.

© Clionautes