Les éditions Rue de l’échiquier font leur entrée dans la Cliothèque de géographie avec cet ouvrage de géographie urbaine. Issue de la collection Les petits ruisseaux (« des livres pour avoir des idées claires sur des sujets d’actualité dans le domaine de l’environnement et du développement durable »), ce volume vise à faire le point sur la question de l’étalement urbain. Un sociologue urbaniste, Eric Hamelin et un journaliste free-lance, Olivier Razemon s’attaquent à cette épineuse question.
Préfacé par Roland Castro, architecte militant, père de l’Utopie concrète, l’ouvrage débute sur un exercice de géographie fiction : la France en 2037. « Les quelques premiers 250 km du trajet forment un paysage assez monotone. Sidonie observe les hangars de métal voués au petit et au gros commerce, les pavillons multicolores, les « parcs naturels citadins » et les plateformes artisanales. Rares sont les champs, les vaches et les vrais morceaux de nature. L’agriculture a été reléguée loin de là, dans des exploitations hors-sol où les champs sont empilés les uns sur les autres, ou alors dans les pays pauvres, où les grandes puissances ont acheté des millions d’hectares de terres cultivables. » Effrayant ! puisque cet étalement urbain s’accompagne d’un phénomène de ségrégation spatiale, matérialisé par un code couleur de drapeaux. Des exercices semblables à celui-ci figurent dans le livre. Ainsi, en est-il d’un exercice de comparaison d’annonces immobilières de biens situés dans le périurbain ou en centre-ville ! Le tout, pour faire prendre conscience qu’il vaut mieux avoir un espace un plus petit en ville mais avec tout sur place qu’un peu plus d’espace mais loin de la ville. Les auteurs usent de tous les moyens pour nous faire prendre conscience qu’habiter dans le périurbain est un mauvais choix : « (…) songez d’urgence à vous exercer au maniement d’une tondeuse à gazon. Aurez-vous envie de renouveler cette pratique deux ou trois heures chaque semaine, de mars à octobre, voire en plein froid hivernal ? Si cela ne vous fait pas peur, pensez à vos enfants, qui, bientôt, deviendront adolescents. » Si vous n’êtes pas convaincus, relisez donc, comme vous l’invite la courte bibliographie, le tome 4 des Bidochon dans lequel ils deviennent « Propriétaire ! » d’un pavillon situé sur une ancienne décharge !
Si l’objectif affiché de l’ouvrage est de démonter les idées reçues sur l’étalement urbain, il s’avère à sa lecture que le parti-pris des auteurs est certain. Comme tous les volumes de la collection, le plan s’organise de la manière qui suit : les faits, les causes, les enjeux, les perspectives. C’est un plan qui se veut objectif, ce qui n’empêche pas les auteurs d’utiliser un ton très engagé. Ils usent pour cela un vocabulaire coloré, mettant en scène des situations caricaturales (et véhiculent en cela les idées reçues qu’ils voulaient démonter !) de la vie dans les lotissements périurbains. Les entrées de ville sont fustigées ainsi que la croissance des zones périphériques (« boomburbs » vulgarisées dans la presse par Laurent Chalard). Il en ressort une vision pessimiste de l’étalement urbain et le lecteur en vient à se demander si la France de 2037, décrite dans l’exercice de science fiction, n’est pas déjà réalité en 2012. Si la première partie consacrée aux faits est la plus polémique, il faut reconnaitre aux auteurs de bonnes analyses dans les parties suivantes. Ainsi, en est-il de la réflexion sur les noms de rues donnés dans les lotissements (fortement marqués par les références bucoliques et champêtres), de la mise en perspective de la place des infrastructures comme du COS (coefficient d’occupation des sols) dans la consommation de l’espace. Le ton est engagé et un discours anti croissance fleure de temps en temps au fil du texte. Des responsables de l’étalement urbain sont identifiés : le « mille-feuille administratif » et plus particulièrement le maire, qui détient le formidable pouvoir d’accorder des permis de construire. Le mode de vie périurbain est montré du doigt tout au long de l’ouvrage, chiffres à l’appui. Ainsi, les auteurs rappellent qu’un périurbain produit deux à trois fois plus de Co2 qu’un habitant du centre-ville. Si cela est vrai, il est toutefois nécessaire de changer d’échelle. En effet, l’habitant du centre-ville n’est peut être pas un mauvais citoyen la semaine mais il produit sa dose de Co2 le week-end. Ayant soif de nature, d’espace ou de dépaysement, il bouge davantage que le périurbain, qui reste plus chez lui le week-end, car il y est mieux. Globalement, l’Homme, tout au long de l’ouvrage, est vu comme un prédateur et cela achève de lasser au fil des pages. Dans le cadre d’une projection future, les auteurs évoquent la dégradation du périurbain et comparent leur avenir au sort des grands ensembles construits au temps des « Trente Glorieuses ». Si vous avez encore envie d’acheter un pavillon en périphérie après tout cela, votre cas est désespéré !
La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux solutions à mettre en œuvre. Après avoir tant décrié le périurbain, la lectrice est heureuse de lire : « Et si dénoncer les zones pavillonnaires c’était, finalement une lubie de citadin teintée de mépris social ? » Une batterie de solutions est proposée. Certaines sont intéressantes mais sont encore loin de la réalité. Le VSD (versement pour sous-densité) est construit sur le même principe que la loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain). Les communes qui auraient un COS trop faible se verrait imposer une amende. D’autres solutions sont exposées et tiennent en quelques verbes d’action : empiler (ce que fait Roland Castro à Gennevilliers en proposant des appartements avec jardins), recycler (les friches industrielles), partager (des équipements sur le modèle original de la Cité radieuse de Le Corbusier), densifier (phénomène Bimby « Build in my backyard »), empêcher et réduire (l’accès des lieux aux automobiles), réorganiser – fusionner les communes (une commune par aire urbaine, et tant pis si cela ne plaît pas aux élus locaux ! L’Eglise catholique a bien fait cela pour pallier la baisse d’affluence). Les auteurs vont même jusqu’à remettre en cause la propriété en proposant la mise en place de baux emphytéotiques ! Ces mesures révolutionnaires ne pourront, d’après les auteurs, devenir réalité que dans un contexte de « crises graves mais salutaires » ou pour le dire autrement : « Rien de mieux qu’une bonne guerre ! » pour lutter contre l’étalement urbain !
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes