Anne-Marie Duranton-Crabol est une spécialiste de l’histoire de l’extrême droite et elle s’est déjà intéressée à ces mouvements qui tout en étant marginaux ont pu disposer d’une large couverture intellectuelle, notamment au sein de la nouvelle droite. Cette histoire de l’OAS n’est pas à proprement parler un récit des différentes actions de ce mouvement qui s’est constitué pendant la guerre d’Algérie et qui réunit les milieux ultra de la colonisation européenne et quelques secteurs de l’armée engagée dans ce que l’on a pendant très longtemps hypocritement appelé : « les opérations de maintien de l’ordre en Algérie ».
Cet ouvrage est une recherche intime sur les ressorts qui ont pu conduire des acteurs, mais aussi des intellectuels, et notamment deux historiens éminents comme François Bluche et Raoul Girardet et quelques autres, à soutenir des actions qui relevaient très clairement du terrorisme. Du moins si l’on se base sur la définition traditionnelle de ce mot. Même si l’on peut qualifier cette forme de guerre asymétrique d’actes de résistance selon les périodes et surtout selon les points de vue.
L’OAS, l’organisation armée secrète se situe dans la continuité de la guerre subversive apprise aux militaires et se perçoit comme une minorité agissante, espérant entraîner avec elle une masse d’un peu plus d’un million d’Européens et de musulmans ralliés à la lutte contre la rébellion mais surtout à la sécession d’avec une métropole qui a trahi ses engagements.
Ce que l’auteur démontre c’est dans une certaine mesure l’aveuglement dont les responsables de ce mouvement ont pu faire preuve. Contrairement à ce qui a pu se passer avec les militaires responsables du putsch des généraux en avril 1961, il n’est pas question ici d’amateurisme. Ou peut-être de lucidité lorsque ces officiers français, à l’exception d’un seul, s’opposent à l’idée de faire couler le sang des Français et d’engager le peuple pied-noir dans la voie de l’insurrection.
Dans le cas de l’OAS, il n’est pas question d’amateurisme, mais dans certains cas d’une reprise à leur compte des théories de l’insurrection à partir d’une avant-garde éclairée qui ont été celle des mouvements léninistes et de leurs dérivés sur tous les continents.
L’OAS a pu réaliser quelques coups d’éclat et il s’en est fallu de peu, lors de l’attentat du Petit-Clamart, que l’histoire ne bascule. Quelques centimètres en fait. La mort prématurée du fondateur de la Ve République aurait sans doute très largement modifié la situation politique de la France et fait courir à notre pays le risque d’une convulsion majeure.
L’OAS a fait le choix de la violence, sous toutes ses formes, en essayant cette fois-ci d’associer la population européenne par différents moyens. L’idée est de reprendre les vieux principes maoïstes de l’immersion au sein de la population, d’obliger celle-ci à donner des gages en matière de soutien, et parfois, avec des actes de violence, de créer une situation irréversible.
L’échec de l’OAS peut s’expliquer par le rejet massif de la population métropolitaine et aussi des soldats du contingent engagé en Algérie à l’égard des méthodes que le mouvement a choisies. L’attitude du gouvernement du général De Gaulle a été par contre beaucoup plus ambigüe. Le drame du métro Charonne en est une parfaite illustration. Les services de l’État contrôlés par le pouvoir gaulliste ont fait le choix de l’action souterraine contre l’OAS mais, par crainte d’un parti communiste qui représente tout de même un électeur Français sur cinq et qui est capable d’organiser de vastes mouvements de masse, n’ont pas souhaité une forme de mobilisation populaire pour contrer la subversion.
Cet ouvrage, qui paraît pour le 50e anniversaire des accords d’Évian qui marquent la fin de la guerre d’Algérie, nous est apparu comme extrêmement utile. Dans une période où l’on a souvent tendance à vouloir « cliver » à tout prix sur les positions des uns et des autres, il n’est pas inutile de chercher à comprendre précisément et sans complaisance aucune les mécanismes intellectuels et politiques qui ont pu conduire à certaines prises de position et à certaines formes d’action.
Cet ouvrage montre aussi quelques liens qui seront bien utiles pour comprendre ce qui peut parfois se passer dans le midi de la France, et les relations opaques que l’on y trouve entre certains mouvements d’extrême droite et ceux qui ont fait de la « Nostalgérie » leur fonds de commerce.
Il arrive parfois également que quelques personnalités de l’UMP aient du mal à résister à certaines tentations.
Bruno Modica